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Bordeaux, son vin, son maire, sa foire aux palmarès

Meilleur maire de l’Hexagone selon L’Express, économie la plus dynamique de France d’après Les Echos… Souvent bien placés dans les palmarès, Bordeaux et son édile se délectent de cette avalanche de Top 50 dont les médias raffolent. Tant pis si leur sérieux laisse parfois à désirer. Notre classement des classements, signé Anne Chaput et Simon Barthélémy.

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Bordeaux, son vin, son maire, sa foire aux palmarès

(capture d'écran)
(capture d’écran)

« Juppé superstar », titre L’Express à la une de son édition parue ce mercredi 26 février. À un mois des élections municipales, les affichettes de l’hebdomadaire placardées sur tous les kiosques vont donc rappeler aux Bordelais étourdis que leur maire est, en toute simplicité, le meilleur de France, de Navarre et d’Outre-mer. L’équipe du candidat UMP en a fait dès mardi ses choux gras, celle de son challenger socialiste s’est aussitôt offusquée de ce nouveau classement, dernier en date d’une série plaçant régulièrement le Port de la Lune et son édile aux nues.

Les critères sont parfois baroques, les experts sortis de leur préretraite, quand il ne s’agit pas de simples sondages. Mais ce n’est pas cher à réaliser et ça rapporte un max de reprises média. La preuve : Rue89 Bordeaux s’y met aussi, avec son premier et inédit palmarès des palmarès. And the winner is…

1 – Le plus « vote par procuration » : Alain Juppé meilleur maire de France selon L’Express

2 – Le plus « fait maison » : Bordeaux, 2ème grande ville artistique de France d’après le Journal des Arts

3 – Le plus « fumeux » : Bordeaux, ville la plus dynamique sur le plan économique,  dans Les Echos

4 – Le plus « love » : Bordeaux, « ville préférée des Français » (loin derrière Paris)

1 – Le plus « vote par procuration » : Alain Juppé meilleur maire de France selon L’Express

Selon un témoin proche de la scène, Vincent Feltesse a avalé son cannelé de travers en l’apprenant. Au cas où vous rentreriez tout juste de Kiev, L’Express a sacré Alain Juppé meilleur maire de France du monde. Précisément, un « jury de 18 grands connaisseurs des collectivités locales » a noté (de 1 à 5) les performances des 34 maires des plus grandes villes françaises sur 9 thèmes. Dans ce premier palmarès du genre, le maire de Bordeaux, arrivé en tête sur quatre critères, grimpe sur la plus haute marche du podium.

L’équipe du candidat socialiste à la mairie de Bordeaux s’est indignée dans un communiqué de ce classement réalisé sans chiffres, et par des experts selon elle aussi objectifs que des juges russes au patinage artistique. On retrouve ainsi dans la liste plusieurs anciens ministres de Jacques Chirac – Jean-Paul Delevoye, Dominique Perben, Jean-Pierre Raffarin…

Rédacteur en chef du service Régions de L’Express, Michel Feltin-Palas, défend l’équilibre politique de son panel, avec plusieurs personnalités de gauche dans le jury : Jean-Louis Guigou, ancien de la Datar et époux de l’ex-ministre Elisabeth, ou Jean Viard, sociologue proche du PS et auteur de La Décennie bordelaise, livre d’entretien avec… Vincent Feltesse.

Dans son communiqué ce dernier souligne surtout que « les domaines où Alain Juppé est bien classé relèvent partiellement ou exclusivement des compétences de la Communauté urbaine de Bordeaux ». Par exemple :

« Pour rendre hommage à Alain Juppé en matière d’urbanisme, les membres du jury (dont à notre connaissance aucun n’habite à Bordeaux) prétendent à “l’embellissement de la rive droite”. En la matière, laissons les Bordelais juges d’une telle affirmation. Plus curieux encore, L’Express justifie son classement par la construction du nouveau pont. Le projet de pont Bacalan-Bastide d’abord refusé par Alain Juppé était enlisé jusqu’à ce qu’il soit pris en main par Vincent Feltesse et financé par tous les partenaires publics […] à l’exception de la Ville de Bordeaux ».

Même topo pour le tramway – si la première phase a été lancée par Alain Juppé président de la CUB, les deux suivantes, poursuit Feltesse, sont de son initiative et de celle d’Alain Rousset –, le tri sélectif. les composteurs… Michel Feltin-Palas reconnait ce biais dans l’analyse de la situation de Bordeaux :

« Avec la cogestion à la bordelaise, on peut considérer que le bilan est partagé, et que Juppé est crédité de tout ce que l’agglomération fait de bien. Mais c’est aussi parce qu’il a fait en sorte que les maires tirent tous dans le même sens. Pour un honnête citoyen, c’est compliqué de savoir qui fait quoi dans une communauté de communes, et cela le sera tant que subsistera cette anomalie démocratique de présidents d’agglo non élus au suffrage universel. »

La « Juppémania » des jurés

Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef du service Régions à L'Express (DR)
Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef du service Régions à L’Express (DR)

Quels ont été les critères évalués par les jurés de l’hebdomadaire ?

Ils se sont d’abord basés sur leurs propres connaissances, indique son rédacteur en chef, comme celles de Jean-Michel Gadrat, un ancien président du Gart (groupement des autorités régulatrices de transport), ou de l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Mais aussi sur les statistiques fournies par la rédaction sur chaque ville.

Bien. Comment Alain Juppé se retrouve-t-il alors honoré pour sa politique fiscale, alors que les Bordelais sont, selon le PS,  « parmi les habitants les plus taxés de France (200 euros de plus que la moyenne nationale) » ? Réponse embarrassée de Michel Feltin-Palas :

« Les experts ont été sensibles à la baisse de l’endettement cumulé de la ville et de l’agglomération. Bordeaux a su beaucoup investir et entre dans une phase de désendettement. Mais le jury a sans doute été un peu trop gentil, cédant à une forme de Juppémania. C’est vrai que le taux d’imposition est très élevé depuis l’ère Chaban, et que Juppé ne l’a pas baissé. De là en en faire le meilleur… »

Pour Vincent Feltesse, il aurait fallu communiquer des chiffres au jury, car « sur les trois dernières années, la dette par bordelais a augmenté de 21 % ». Pas comme les intentions de vote pour le président de la CUB dans les sondages, a fortiori après la une de l’Express… Le magazine est-il d’ailleurs toujours dans son rôle à presque un mois des élections municipales ?

« On s’est posé la question, concède Michel Feltin-Palas, mais on a jugé que oui. Comment les électeurs peuvent-ils savoir que leur maire est bon ou mauvais ? On apporte des éléments comparatifs et des explications sur leur gestion. Les maires des grandes villes ont beaucoup de pouvoir dans une France décentralisée et on sait qu’ils peuvent influer en bien ou en mal sur le destin de leur cité, à l’image du dernier mandat de Chaban où Bordeaux a pris du retard par rapport à Toulouse. Or c’est déterminant pour la compétitivité du pays – 60 % du PIB est créé par les 12 premières agglomérations. »

Si la croissance en dépend, alors…

2 – Le plus « fait maison » : Bordeaux, 2e grande ville artistique de France d’après le Journal des Arts

Pour établir ce « bilan objectif des politiques culturelles des villes de métropole [sic] de plus de 100 000 habitants hors Paris », dixit la Mairie de Bordeaux, le Journal des Arts s’est basé sur des chiffres qui lui ont été fournis par la direction générale des affaires culturelles de… la Mairie de Bordeaux. Un procédé qu’on peut juger discutable, d’autant que ces chiffres n’ont semble-t-il pas été vérifiés par le bimensuel de référence des professionnels et amateurs d’art.

Ainsi la Ville revendique-t-elle une biennale d’art contemporain, alors qu’après le flop d’Evento en 2011, celle-ci n’a pas été reconduite en 2013. Le nombre d’étudiants à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux s’élèverait d’après la Mairie à 400, alors qu’ils ne sont en réalité que 250, auxquels s’ajoutent quelque 150 auditeurs libres qui ne peuvent être considérés comme des étudiants stricto sensu.

Affiche du Musée du vin et du négoce de Bordeaux, vitrine de l'art local (DR)
Affiche du Musée du vin et du négoce de Bordeaux, vitrine de l’art local (DR)

Le nombre de musées revendiqués prête, là encore, à discussion : 11, d’après la Mairie de Bordeaux, qui englobe allègrement le « Musée Goupil » – en réalité un fonds qui n’a pas de domicile propre et se trouve hébergé par le Musée d’Aquitaine –, ou encore le Musée du Vin et du Négoce des Chartrons – créé en 2008 par un négociant en vin, musée privé adossé à un espace de dégustation et une boutique : on s’éloigne considérablement ici des arts plastiques.

Mais au fait, on en oublierait presque la thématique exacte de ce classement du Journal des Arts : « le patrimoine, les musées, les arts visuels, le marché de l’art ; elle ne couvre donc pas le spectacle vivant (danse, théâtre, opéra) et les bibliothèques qui représentent une part importante des budgets culture », croit bon de rappeler le magazine dans l’introduction de son dossier spécial.

La Ville claironne pourtant dans son communiqué de presse enthousiaste que « la culture à Bordeaux c’est une offre de plus de 300 manifestations chaque année, accessibles à tous les publics, rythmée par des événements culturels, concerts, spectacles, festivals, expositions, cinémas ». Et elle mentionne sous la bannière de ce palmarès du Journal des Arts, ses « 12 bibliothèques, sans oublier l’Opéra national de Bordeaux et son Auditorium, le Théâtre national Bordeaux Aquitaine, etc. », qui n’ont donc strictement rien à voir dans cette histoire.

3 – Le plus « fumeux » : Bordeaux, ville la plus dynamique sur le plan économique, dans Les Echos

L’information est tombée à point nommé, le 28 janvier dernier, alors qu’Alain Juppé présentait aux journalistes ses colistiers pour l’élection municipale. Agitant un exemplaire du quotidien Les Echos, le maire sortant s’est félicité d’un classement pour le moins affriolant, plaçant Bordeaux en tête des villes les plus dynamiques de France.

En grattant un peu, on s’aperçoit vite que ce ne sont pas Les Echos eux-mêmes qui ont réalisé un classement basé sur des critères objectifs, mais qu’ils se sont contentés de diffuser un sondage commandé à l’institut Think par le 21e Salon des entrepreneurs.

Un sondage totalement subjectif, réalisé auprès de mille personnes qui n’ont « qu’une connaissance un peu approximative du monde de l’entreprise », avouent Les Echos, et auxquelles on a pourtant demandé leur intime conviction sur le sujet suivant : « Parmi les 30 plus grandes villes de France, dites-nous selon vous celles dont le dynamisme économique s’est fortement amélioré ces dernières années ».

Ce sondage contraste singulièrement avec le moral des entreprises girondines, au plus bas depuis deux ans si on en croit le dernier baromètre trimestriel de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Bordeaux. Un signe ne trompe pas : seuls 26 % des industriels du département déclaraient avoir investi au cours des 3 derniers mois, soit le plus bas niveau enregistré depuis 2 ans, et ils n’étaient plus que 20 % à envisager d’investir au prochain trimestre.

La situation est un peu plus favorable dans le BTP, où près du tiers des entreprises se déclaraient prêtes à investir, notamment à Bordeaux. Mais selon Christian Surget, président de la fédération des travaux publics d’Aquitaine, « il y a des chantiers dans le Grand Bordeaux, avec le tramway et les autres grands travaux. Autour de la grande agglomération, toutefois, c’est le désert : il n’y a pas de grands projets prévus dans un futur proche, alors que le secteur des travaux publics a investi des sommes importantes, sur la formation notamment. »

Sur la question du dynamisme supposé de Bordeaux, Christian Surget invite à la vigilance :

« Bordeaux a une image positive, elle semble très séduisante et dynamique de l’extérieur, avec l’arrivée de la LGV, les chantiers du Bassin à flots et de Belcier. La ville a tout ce qu’il faut pour donner envie de venir entreprendre. Mais les infrastructures ne suivent pas. En pratique, il y a des problèmes récurrents qui rendent la vie des entreprises difficile, comme la circulation, notamment sur la rocade, et les faiblesses d’accessibilité aérienne. »

Ce dernier point est justement souligné dans une étude de l’agence d’urbanisme a’urba parue l’an dernier sur l’attractivité de la ville : comparée à 88 métropoles européennes de sa catégorie, « l’aire bordelaise se caractérise par la faiblesse de son accessibilité aérienne potentielle ainsi que le nombre réduit des sièges sociaux qu’elle accueille. Elle se montre en revanche à son avantage sur l’ensemble des indicateurs des dimensions “circulations culturelles et touristiques” et “société de la connaissance et de l’innovation”. »

Bordeaux affiche de belles performances en matière de trafic portuaire de marchandises, d’accueil de congrès internationaux et de nombre de projets NBIC (nanotechnologies, biotechnologie, informatique et sciences cognitives) rapporté à la population.

4 – Le plus « love » : Bordeaux « ville préférée des Français » (loin derrière Paris)

C’est le type de sondage facile à réaliser, simple comme un coup de fil, et qui n’engage à rien : celui de la « ville préférée » des Français. Préférée dans quel sens ? Pour y vivre, y passer quelques jours de vacances, y faire du shopping ou de l’échangisme, un bon repas ou une partie de pétanque ? La question ne le précise pas, mais à quoi bon chipoter, ce « top ten a été réalisé auprès d’un échantillon de plus de 6 400 Français », c’est dire sa fiabilité.

On doit ce classement à l’Institut BVA qui l’a réalisé par internet début 2013 et en a livré les résultats, bruts de décoffrage, à une presse régionale toujours friande de ce type d’« information » facile à vendre.

Conclusion : « parmi les dix plus grandes villes de France, Paris est la plus souvent préférée des Français (52 %), devant Bordeaux (37 %) et Toulouse (33 %) ». Et qu’importe si les sondés n’y ont jamais mis les pieds, Paris c’est beau, on l’a vu à la télé, et le Bordeaux c’est bon, on en a ouvert une bouteille à Noël, et Toulouse c’est sympa, tout le monde le sait.

En fait, si on se réfère au solde migratoire, Bordeaux arrive en deuxième position. Avec un solde positif de 21 799 nouveaux habitants, elle arrive loin derrière Toulouse (36 465 nouveaux habitants), mais bien devant Rennes et Nantes (13 153 et 9 547).

Et si on prend les chiffres du tourisme, Bordeaux décroche à la dixième place, et encore, sans compter Paris : la ville et son vignoble n’attirent que 2,7 millions de visiteurs, très loin derrière Lyon et Lourdes (10 millions chacune), mais aussi La Rochelle (4 millions) ou Strasbourg (3,1 millions). Sans parler de rattraper la cité de Bernadette Soubirous, un miracle est toutefois attendu à la descente du TGV, en 2017.


#Alain Juppé

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