Alain Juppé aime à le répéter : Bordeaux est la quatrième ville cyclable du monde, et la première de France selon le classement établi par un bureau d’études danois, le Copenhagenize index, sorti en mai 2013. De quoi soulever le sourcil de quiconque s’est promené au Danemark, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne, où la part modale du vélo (la proportion de trajets effectués sur deux-roues par rapport à d’autres modes de déplacements) excède largement les 8 % mesurés à Bordeaux par la dernière enquête exhaustive sur le sujet, en 2009.
Dans un document de « décryptage » des sondages sur Bordeaux régulièrement évoqués par le maire sortant, Vincent Feltesse corrige ainsi ce palmarès danois, selon lequel « la part modale du vélo atteindrait 10% à Bordeaux » : elle est « en réalité de 6,4 %. Les 10 % ne sont atteints que dans l’hyper-centre », souligne le challenger socialiste. Il ajoute que « Bordeaux se situe loin derrière les villes européennes où la pratique du vélo est la plus développée. Dans près de 40 villes européennes de plus de 100 000 habitants elle est supérieure à 20 % » (elle dépasse par exemple les 50 % dans le centre d’Amsterdam, ville N°1 du Copenhagenize index).
Même dans l’Hexagone, la cité girondine est dans la roue de Strasbourg, selon les chiffres 2010. Et la pratique « stagne », estime carrément Muriel Sola, de l’association d’usagers Vélo-Cité, qui regrette au passage que « le vélo et le développement durable ne soient pas à l’honneur dans cette campagne municipale ».
Faux, répond Michel Duchène, adjoint au maire en charge de la mobilité. Bordeaux compte toujours plus de cyclistes, et aurait même dépassé l’agglomération alsacienne :
« Le Copenhagenize récompense en fait la dynamique en faveur du vélo, et je pense que Bordeaux a connu l’explosion de la pratique la plus forte en France. On est en effet passé de 2 % d’utilisateurs en 1995 à probablement 11 % aujourd’hui, si on extrapole à l’ensemble de la ville les comptages réalisés sur certains axes stratégiques, comme le pont de pierre. Car l’enquête déplacements de la CUB de 2009 n’a pas pris en compte les VCub, arrivés en 2010. »
Les vélos en libre service « pèsent » entre 4 et 11 000 utilisations par jour. A comparer aux 2,5 millions de déplacements quotidiens dans la CUB, dont 59 % s’effectuent encore en voiture, contre 64 % en 1998.
Ces résultats, insistent Michel Duchène, n’ont été possible qu’en restreignant la place des bagnoles pour favoriser le tram et les deux-roues – pistes et contre-sens cyclables, autorisations de tourner à droite, anneaux pour attacher les vélos…
« Cela vient aussi du “signal” donné par Alain Juppé lui-même, qui s’est mis au vélo, et au prêt gratuit par la ville de 2000 vélos, ceux-là même qui vont être progressivement remplacé par les Pibal », ajoute Michel Duchène.
Le REVE de la Cub : tripler la circulation à vélo
Selon l’élu UMP (un temps passé chez les Verts), l’effort doit désormais être fait par la communauté urbaine, « où la part modale du vélo n’est que de 4 %, toujours selon l’enquête de 2009.
« C’est inquiétant, quand on sait que 60 % de tous les déplacements font moins de 3 kilomètres. Les habitants de Pessac ou Mérignac pourraient faire davantage de vélos s’ils y étaient plus incités. »
Clément Rossignol, qui tient le guidon de la politique vélo à la Communauté urbaine, contre-attaque :
« Au doigt mouillé, on est aujourd’hui plutôt autour de 7 %, et notre objectif est d’atteindre 15 % en 2020. Nous avons pour cela un plan vélo, doté de 30 millions sur 8 ans. »
Il prévoit notamment le bouclage d’un Réseau vélo express (REVE, sorte d’autoroutes dédiée aux cyclistes), de 137 km à l’horizon 2017, l’aménagement d’un réseau intercommunal de 247 km ou encore l’installation de 3 000 arceaux supplémentaires dans les parkings et 9 000 sur la voirie. Et il devrait permettre de relâcher les deux freins principaux à la pratique du vélo : la peur d’être renversé par un chauffard et celle de se faire faucher sa bécane.
« Plus on s’éloigne du centre, plus les gens redoutent de se mettre en selle du fait de l’omniprésence de la voiture, observe Muriel Sola. Il manque encore quelques franchissements sécurisés de la rocade. Mais il reste aussi quelques points noirs dans Bordeaux, notamment entre les boulevards et le centre-ville. Il manque des pistes cyclables, et pour faire au plus court, beaucoup de cyclistes prennent par exemple la rue Fondaudège à contre sens, ce qui est très dangereux. »
Dans une réaction à notre article sur le Pibal, un de nos lecteurs, Erwann Leal, trouve également « catastrophique » la liaison vélo entre Talence et Victoire « pourtant empruntée chaque jour par des milliers d’étudiants » :
« Il manque des pistes cyclables sécurisées pour rejoindre les principales barrières depuis la périphérie, une “rocade a vélo” au niveau des boulevards ou ailleurs, des parkings sécurisé à tous les points stratégiques (arrêts de tram, places principales, supermarchés, faculté, etc…) […]. Il devrait aussi être possible d’amener son vélo via d’autres transports à n’importe quelle heure (wagon réservé aux vélos dans le tram, attache vélo obligatoire sur les taxis comme à Berlin). »
Une DDE maillot jaune, des mentalités lanterne rouge
La requalification de Fondaudège avec le futur tram D, et celle des boulevards promise par les deux principaux candidats au Palais Rohan, devraient répondre à certaines inquiétudes. Globalement, pour Jean-Marie Darmian, maire de Créon (Gironde) et président national du Club des villes et territoires cyclables, l’agglomération bordelaise est bien « dans le peloton de tête », mais n’a pas encore rejoint les échappés.
« Quantitativement, Bordeaux et la CUB ont fait de gros efforts d’investissements, et accumulent les kilomètres de piste cyclables ou les tourne à droite. Mais il manque un volet qualitatif qui permettrait d’agir sur les mentalités bordelaises, pour que les gens s’approprient le vélo. Les aménagements de voirie doivent s’accompagner de mesures pédagogiques dans les écoles et les collèges et de politique encourageant les déplacements domicile-travail à bicyclette. Par rapport à Strasbourg ou Grenoble, il manque aussi des incitations, qu’elles soient financières pour s’abonner au VCub, ou pour garer les vélos : à la gare de Strasbourg, il y a 2000 places sécurisées, à Saint-Jean 400. »
Clément Rossignol reconnait que le stationnement est déjà saturé à la gare de Bordeaux, mais que de nouvelles places seront livrées côté Belcier. Il souligne aussi que la communication ne passe pas toujours très bien sur les coups de pouce de la CUB : les 90 000 euros d’enveloppe pour l’aide à l’achat de vélos électriques, pliants ou cargos (pour transporter ses enfants, ou des marchandises), n’ont par exemple pas été intégralement utilisés l’an dernier.
En revanche, chez Vélo-Cité, on dit manquer de subventions de la Ville et de la CUB pour pouvoir proposer de nouvelles « remises en selle ». Proposés une fois par mois aux adultes qui souhaitent se remettre au vélo, ces cours sont en effet complets jusqu’en octobre.
Surtout, Muriel Sola, la directrice de Vélo-Cité, comme Jean-Marie Darmian, plaident pour la création d’une Mission Vélo – à la CUB ou à la Ville, selon que la compétence échoira ou pas à la future Métropole. Michel Duchène, adjoint d’Alain Juppé, ne répond pas sur ce point, mais assure que le maire de Bordeaux fera des propositions pendant la campagne.
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