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Délit de lèse-cheveux blancs pour Droit au logement

Cinq militants de Droit au logement ont comparu mercredi devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, pour violation du domicile d’une dame de 85 ans. Squattée quelques semaines par des familles SDF, la maison était inoccupée depuis deux ans. Soutenu par 150 manifestants, le DAL crie au délit de solidarité.

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Délit de lèse-cheveux blancs pour Droit au logement

Devant le tribunal de Bordeaux, 150 manifestants sont venus soutenir les militants de Droit au logement. Les manifestants sont floutés sur leur demande. (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Devant le tribunal de Bordeaux, 150 manifestants sont venus soutenir les militants de Droit au logement. (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Ils ont monté les marches du palais sous les applaudissements. Ce n’est pas à Cannes, mais ce mercredi au tribunal de Bordeaux, où 150 manifestants et plusieurs personnalités, comme Monseigneur Gaillot et Jean-Baptiste Eyraud (président de Droit au logement), sont venus soutenir les militants du DAL 33. Cinq d’entre eux sont jugés pour « violation du domicile » estimé vacant, d’une dame de 85 ans. Des faits  intervenus entre mars et juillet 2013.

En soutenant un squat de familles SDF chez Odette Lagrenaudie, l’association d’aide aux mal-logés aurait loupé sa cible, commettant un « ratage à cheveux blancs » (sic), selon le vice-procureur, Jean-Louis Rey : « Ce n’est pas une grosse propriétaire foncière, ni une capitaliste », mais une retraitée aux revenus modestes (900 euros par mois), de surcroît « victime d’un accident de la vie ».

A l’audience devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, ce mercredi, la plaignante est assise sur le banc des parties civiles. L’ancienne vendeuse au marché des Capus a en effet été opérée d’un rein à Cherbourg en 2011, et elle est restée depuis vivre auprès de son fils, dans le Cotentin. Jusqu’au 11 juillet 2013, peu avant l’expulsion d’une quinzaine de squatteurs occupant son domicile bordelais, elle n’était pas retournée à sa maison du quartier Saint-Michel, rue Planterose, dont la propriétaire, sa belle-fille, lui laisse l’usufruit.

Pages blanches

D’ailleurs, elle ne figure plus dans l’annuaire de Bordeaux, fait remarquer la présidente de l’audience, Cécile Ramonetxo, en écorchant le nom de l’ex tripière dès qu’elle s’adresse à elle.

« J’ai résilié mon abonnement téléphonique le temps de ma convalescence, et fait couper l’eau et l’électricité, répond Odette Lagrenaudie. On m’a dit que j’avais aussi pris tous mes papiers, tous mes vêtements et mes bijoux. Mais c’est parce que je ne suis pas riche, je n’ai pas grand chose, et j’ai emmené ce que je pouvais ».

Pour les avocats de la défense, ces signes de vacance du logement pouvaient encourager les squatteurs. Mais aucun d’entre eux, membres de familles bulgares, arméniennes et géorgienne que le DAL est suspecté d’avoir installé chez Odette Lagrenaudie, n’est à la barre.  Debout pendant plusieurs heures devant la présidente et ses assesseurs, les prévenus sont l’objets d’une plainte contre X et poursuivis par les parties civiles et le ministère public.

Pourquoi eux ? La plus jeune, Manon Laulan, saisonnière agricole de 21 ans, aurait pris deux fois contact en juin avec une famille bulgare vivant dans la rue, près du Conservatoire.

« Le sacré ratage, c’est que les autorités politiques ne puissent pas reloger des familles à la rue, vident les centres d’hébergement », ou encore n’appliquent pas la loi sur les réquisitions de logements vides, assène-t-elle.

Tarnac-sur-Garonne ?

Myriam Eckert et Antoine Baluze, deux des cinq prévenus, entourent Jean-Baptiste Eyraud, président de Droit au logement (Xavir Ridon/Rue89 Bordeaux)
Myriam Eckert et Antoine Baluze, deux des cinq prévenus, entourent Jean-Baptiste Eyraud, président de Droit au logement (Xavir Ridon/Rue89 Bordeaux)

Les quatre autres font partie de la direction collégiale de l’association, qui ne dispose pas d’un bureau ni de dirigeants. « Une nébuleuse où personne n’est responsable de rien », adepte du « secret », martèle Jean-Louis Rey, comme pour justifier l’incroyable dispositif mobilisé pour une telle affaire : perquisitions menées par 30 policiers à 7 heures du matin au domicile des suspects, gardes à vue en juillet et en septembre, écoutes téléphoniques, géolocalisation…

Des moyens dignes de gros trafiquants de drogue, ironise d’ailleurs l’un des avocats de la défense.  Ce n’est pourtant pas un Tarnac-sur-Garonne : on reproche simplement à ces cinq militants d’être entrés par effraction dans un logement vacant et d’en avoir changé les serrures… Les prévenus nient. La présidente énumère les témoignages de voisins et de SDF qui pourraient démontrer qu’ils sont à l’origine du délit.

« Les familles sont effrayées, certaines font l’objet d’obligations de quitter le territoire français, le réflexe de dire “c’est pas moi” peut se comprendre, répond Myriam Eckert, musicienne de 40 ans. On reste solidaires. »

Cécile Ramonetxo évoque aussi des pièces à conviction – une enveloppe envoyée chez Odette Lagrenaudie avec le DAL comme expéditeur, pour un éventuel retour « n’habite plus à l’adresse indiquée », un manuel de crochetage des serrures trouvé au domicile d’Antoine Baluze, technicien informatique de métier, un cahier signalant les reconnaissances pour repérer des logements vacants -le DAL en compte plus de 10000 à Bordeaux…

L’affaire anime la fachosphère

Surtout, la juge souligne qu’un communiqué de presse paru en juillet, et une vidéo retrouvée chez Myriam Eckert, l’une des prévenus, ne laissent guère de doutes sur l’implication des cinq militants. Parfois déstabilisés, voire carrément émus, ceux-ci répondent qu’ils voulaient ainsi attirer l’attention sur eux. Suite à un article dans Sud-Ouest, le 12 juillet,  la fachosphère s’anime, les familles d’origine étrangères reçoivent des menaces, des appels à la ratonnade sont lancés sur Facebook.

Ils rappellent la détresse d’une des familles bulgares relogée rue Planterose, avec une mineure enceinte de 8 mois, et un enfant de 6 ans non scolarisé. Et ils soulignent l’accord verbal donné le 3 juillet par le fils d’Odette Lagrenaudie, pour l’occupation de l’immeuble jusqu’en septembre, le temps de trouver d’autres solutions d’hébergement.

Dans son réquisitoire, Marc Fribourg, l’avocat de la plaignante, regrette que les prévenus n’aient pas saisi la perche qu’ils leur tendait pendant l’audience pour s’excuser et reconnaitre qu’ils s’étaient « trompés de cible ».

« La réquisition des bâtiments vides est inscrite dans la loi, le DAL s’est mis dans la tête de l’appliquer, il se trompe, poursuit-il. Ou alors, qu’il réquisitionne les bâtiments publics, la mairie, les palais de justice… L’absence de discernement ou de respect me paraît inadmissible ».

« Un procès de l’engagement »

Maître Fribourg demande 10000 euros de dommages et intérêts, « sans se faire d’illusions sur le recouvrement de cette somme ». Sur les 5 prévenus, un seul est salarié en CDI, trois touchent des minimas sociaux, et une n’a aucun revenu. Ce qui, à un moment de l’audience conduit d’ailleurs le vice-procureur Jean-Louis Rey à faire une remarque déplacée qui fait vivement réagir la salle : les membres du DAL sont d’après lui très critiques envers le « système social français » alors que celui-ci « parvient à leur verser RSA, APL ou allocation pour adulte handicapé ».

« La propriété, c’est quelque chose qui gêne un peu les prévenus », juge-t-il avant de requérir de 2 à 6 mois d’emprisonnement avec sursis. Il demande des peines plus lourdes pour les deux « têtes pensantes » du groupe, selon lui, Myriam Eckert et François Marsot.

La défense demande au contraire la relaxe, torpillant tour à tour un dossier « fragile », sans preuve matérielle, et une accusation qui ne peut être « que politique ».

« C’est un procès de l’engagement, des convictions et des militants », résume Ophélie Berrier, avocate de Myriam Eckert.

Le jugement est mis en délibéré au 14 mai.


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