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A Bordeaux (comme ailleurs), le vélo est au masculin

Le vélo est considéré comme l’exemple même de la bonne pratique écologique en termes de mobilité durable, un excellent moyen de soulager la ville des nuisances sonores et de la pollution, une solution pour la décongestionner du trafic automobile au moment des migrations pendulaires. Raison de plus pour ne pas négliger les écarts constatés dans la pratique du vélo entre femmes (40%) et hommes (60%) et en chercher les explications. Étude établie avec la complicité de Florianne Ulrich.

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A Bordeaux (comme ailleurs), le vélo est au masculin

LA pratique du BMX au skate parc sur les quais des Chartrons à Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)
La pratique du BMX au skate parc sur les quais des Chartrons à Bordeaux est essentiellement masculine (WS/Rue89 Bordeaux)


Le vélo a-t-il un sexe ? La bicyclette, pour Yves Montand, rime avec Paulette, la fille du facteur dont les garçons sont amoureux mais qu’aucun n’arrive à dépasser. Le vélo, c’est une autre affaire : les fans du Tour de France ont tellement peu regardé le tour féminin qu’il a fini par disparaître. Les championnes de cyclisme sur piste, VTT, cyclocross, vélo de descente se comptent sur les doigts de la main et se partagent des primes squelettiques.

La transformation artistique du vélo en BMX par les cultures urbaines n’échappe pas à la règle : les garçons raflent la mise en montrant leur courage et leur agilité sur des skates parcs qui leur sont consacrés. Les représentations sexistes des femmes à vélo dans les films et les publicités évoquent, à contre sens, des vols de jupettes et autres arrangements sexys entre la machine et sa monture.

Le sexe du vélo, c’est aussi la virilité de la chute, du risque, de la performance. Les hommes payent au prix fort leur passion : ils représentent 85 % des morts et 80 % des accidentés à vélo.

Le vélo en ville : incontestable !

Reste une autre facette du vélo, celle qui fait aujourd’hui sa réputation dans l’aménagement des villes et les bonnes pratiques du développement durable. En politique, vélo rime avec écolo : le nouveau maire de Grenoble ne se déplace qu’à vélo, comme naguère les vice-présidents verts de la CUB Gérard Chausset et Clément Rossignol. La mode du vélo dépasse les frontières partisanes : on se souvient de Christiane Taubira arrivant au premier Conseil des Ministres du quinquennat Hollande à bicyclette (et avec un casque), ou d’Alain Juppé (sans casque) testant dans la cour de la mairie les nouveaux VCub dessinés par Philippe Starck.

Résumons les arguments des élus et des associations qui font la promotion de son usage : le vélo ne pollue pas, il ne consomme pas d’énergie fossile. Le vélo est bon pour la santé. Le vélo est économique. Rajoutons ceux des urbanistes : le vélo réduit les embouteillages, fluidifie la circulation, rend la ville silencieuse. Bref, le vélo a toutes les qualités, il est in-con-tes-table.

L’homme, roi du vélo

La pratique du vélo est-elle la même pour les femmes et les hommes, en termes d’usage et d’accessibilité ? En ville, les femmes et les hommes sont-ils égaux à vélo ? Les statistiques éparses produites par les villes, les associations ou le ministère de l’écologie et du développement durable donnent à peu près le même résultat : la proportion des cyclistes urbains est de 60 % d’hommes pour 40 % de femmes. Ce sont également les chiffres de location de VCub sur l’agglomération de Bordeaux.

Florianne Ulrich, dans le cadre d’un mémoire de master en Géographie, précise ces chiffres par une enquête réalisée en 2013 sur l’échantillon de trois places bordelaises (La Victoire, Quinconces, Stalingrad), à des heures et des jours différents, mais communs aux trois places. Les résultats de l’enquête montrent que sur 10 932 passages de vélos comptabilisés, 62 % des cyclistes sont des hommes, pour 38 % de femmes. La proportion de femmes et d’hommes pratiquant le vélo est à peu près la même sur les trois places : 63 % d’hommes à la Victoire et à Stalingrad, 60 % aux Quinconces.

L’écart se creuse par temps de pluie, 78 % des cyclistes à la Victoire sont alors des hommes, 72 % à Stalingrad et 69 % aux Quinconces. Autre variable creusant les écarts : la nuit, particulièrement les matins d’hiver et les soirs de week-end. 64 % d’hommes à la Victoire entre 7h00 et 9h00, 67 % d’hommes à Stalingrad aux mêmes horaires et 67 % également d’hommes aux Quinconces entre 1h00 et 2h30 du matin. Au total le pourcentage d’hommes ne passe jamais en dessous de 56 % des cyclistes, toutes places, horaires et jours d’observations confondus.

Enfin si 38 % des usagers du vélo sont des femmes à Bordeaux, 58 % des porte-bagages enfants sont installés sur leurs vélos.

Des écarts qui pourraient aller en s’accroissant ?

Il faut d’abord rappeler que le vélo ne représente que 8 % des déplacements dans le centre ville de Bordeaux (3 % il y a 10 ans). Même si Bordeaux figure en bonne place, on est encore loin du record français détenu par Strasbourg avec 15 % des déplacements urbains. Afin d’expliquer les écarts entre femmes et hommes et de comprendre les empêchements qui pourraient les accroître, Florianne Ulrich a réalisé une deuxième enquête en 2013-2014, qualitative cette fois, auprès de femmes ne pratiquant pas ou plus le vélo. Les premiers résultats pointent d’emblée deux phénomènes majeurs : le mauvais temps et l’arrivée du deuxième enfant.

Le mauvais temps est mentionné comme un frein important. Marion nous explique que le vélo pour les femmes, c’est possible, si la météo le permet :

« C’est vrai, les gars ils n’ont pas ce problème-là, parce que même s‘ils doivent ‘bien présenter’ ils peuvent quand même sauver un peu leurs habits […] Une femme par exemple, elle prend le vélo, elle arrive ruinée, tu fais quoi ? Ou alors faut prévoir deux tenues. »

L’arrivée d’un deuxième enfant (et plus encore d’un troisième) est l’autre frein mis en avant par les femmes interrogées. A partir du deuxième enfant les femmes interrogées n’envisagent plus d’utiliser leur vélo pour se déplacer. Elles évoquent la multitude de leurs déplacements (accompagnement des enfants, courses, travail) plus complexes que ceux des hommes.

D’autres éléments sont évoqués de façon récurrente dans les entretiens : la question de la présentation de soi au travail lorsque jupes, tailleurs, talons, coiffure, maquillage font implicitement partie d’une « tenue professionnelle », peu compatibles avec la pratique du vélo. Certaines femmes (de tous âges) évoquent aussi leur manque d’aisance et leur crainte de tomber ou de se faire renverser ; d’autres l’embarras que représenterait une « panne » (déraillement, crevaison)…

Inégalités spatiales et peurs urbaines

Arrivent enfin les obstacles d’ordre relationnel avec les hommes, automobilistes, piétons, cyclistes : réflexions, moqueries, sifflets, comportements sexistes ou misogynes. Cependant cela ne semble pas spécifiques à l’usage du vélo et même moindre si on compare avec la marche à pied ou les transports en commun.

Les femmes ne bénéficient donc pas du même accès à la pratique du vélo que les hommes. Les principaux obstacles évoqués sont liés à leur « condition féminine ». Comme le montre une étude réalisée par l’Agence d’Urbanisme d’Aquitaine sur la Communauté urbaine (Usage de la ville par le genre-les femmes, 2011), ce sont les femmes qui, encore aujourd’hui, pour plus de 70 %, effectuent les tâches d’accompagnement et les courses. La même étude et d’autres travaux menés sur Bordeaux (Di Méo G., Les murs invisibles, Armand Colin, 2012) analysent que les femmes ont une plus faible emprise spatiale sur la ville, notamment dès que tombe la nuit. Elles anticipent sur leur sentiment d’insécurité en évitant de sortir seules dans certains quartiers ou certaines rues. L’insécurité est-elle réelle ou apprise dès l’enfance, lorsqu’on apprend aux filles qu’il faut être sur leurs gardes dans l’espace public ?

D’autres études enfin (Maruéjouls, 2011) montrent que les pratiques sportives des filles sont plus de deux fois inférieures à celles des garçons, quels que soient les quartiers de la ville où ont été effectuées ces enquêtes, ce qui peut expliquer aussi leur moindre aisance « à bicyclette ».

Une bonne pratique qui ne doit pas rester inégalitaire

Le vélo est considéré comme l’exemple même de la bonne pratique écologique en termes de mobilité durable. Prôné aujourd’hui par bon nombre de collectivités françaises, il jouit d’une réputation exemplaire. Ce mode de circulation douce apaise la ville, limite la pollution et décongestionne le trafic automobile au moment des migrations pendulaires. Raison de plus pour étudier de plus près les écarts constatés par Florianne Ulrich et leurs explications, toutes proches des solutions concrètes qu’on pourrait y apporter. La différence des sexes ne doit pas être négligée si l’on veut développer de nouveaux usages de la ville, afin qu’elle ne soit pas seulement pensée « par et pour les hommes ».


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