Sa silhouette fluette et sa voix douce sont trompeuses : on devine rapidement que la nouvelle directrice du musée d’art contemporain de Bordeaux, Maria Inés Rodriguez, n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et que cette voix ténue est de celles qui obligent tout le monde à se taire autour pour mieux l’écouter. Cette calme autorité et son apparente discrétion lui seront probablement utiles pour s’imposer à Bordeaux, où la Franco-Colombienne n’a pas d’attaches.
Née à Bogota, en Colombie où elle a passé 20 ans, elle a ensuite étudié en Suisse et vécu longuement à Paris – obtenant ainsi sa naturalisation française – mais aussi en Espagne et au Mexique où elle a exercé des fonctions de commissaire indépendante et de directrice de musée. Bordeaux n’est tout de même pas pour elle une totale découverte, puisqu’elle a déjà été invitée plusieurs fois en tant que conférencière et jurée à l’école des Beaux-Arts. « Bordeaux avait alors une toute autre couleur », se souvient-elle, « aujourd’hui, la lumière est partout. »
Après trois ans passés à la direction du musée d’art contemporain de l’université de Mexico, Maria Inés Rodriguez a donc postulé au CAPC, un musée qui l’attirait pour plusieurs raisons :
« Sa collection tout d’abord, fondamentale dans l’histoire de l’art, et le projet de musée développé ici depuis le début, proche de l’idée que je m’en fais – une plate-forme pour la connaissance, un espace où l’on peut développer un échange de savoirs entre les artistes et le public. L’équipe aussi est intéressante, composée de personnes de générations différentes, certaines présentes depuis le début, d’autres depuis quatre ou cinq ans seulement, et qui ont des visions différentes de l’art contemporain. Enfin, le CAPC s’inscrit dans un projet urbanistique très important, et je pense qu’avec l’art contemporain, on peut aussi contribuer à une certaine façon de construire la ville. »
Le quart de siècle de célébrité du CAPC
Maria Inés Rodriguez évitera-t-elle au musée de subir une crise de la quarantaine ? De l’avis de différents spécialistes, le CAPC a perdu son aura, jadis éblouissante, au tournant des années 90 et, sans avoir à rougir de ce qu’il est devenu, n’a plus la réputation d’un lieu de référence incontournable sur le plan international. Le critique d’art et commissaire d’exposition Didier Arnaudet, qui a vécu l’aventure de ce musée depuis le début, se refuse pourtant à toute nostalgie :
« Les vingt première années du CAPC ont été intimement liées à la personnalité de son fondateur, Jean-Louis Froment, qui était un visionnaire et savait mettre à profit ses relations avec les collectionneurs et les galeristes. Il savait détecter les futurs grands artistes, il leur demandait de faire à Bordeaux une expo qu’ils ne feraient nulle part ailleurs, de proposer un projet qui ferait date, et grâce à son accompagnement intellectuel, les artistes osaient prendre des risques. Il ne faut pas espérer refaire ça dans le contexte d’aujourd’hui, c’est impossible. »
Les temps ont changé, la cartographie de l’art contemporain aussi, avec une concurrence bien plus grande aujourd’hui entre les lieux d’exposition. C’est l’analyse que fait, depuis Paris, le commissaire d’exposition indépendant Christian Alandete, même s’il trouve toujours enthousiasmante la programmation actuelle du CAPC :
« Dans les années 80, il y avait très peu de lieux qui exposaient de l’art contemporain en dehors du Centre Pompidou : le Nouveau Musée à Villeurbanne et le Consortium à Dijon, ces deux derniers étant des projets embryonnaires dans des espaces beaucoup moins imposants que ceux du CAPC. Sans rien enlever à la qualité de la programmation de l’époque, c’était le seul lieu en province à pouvoir produire des projets d’une telle envergure. En outre – et on a beaucoup critiqué les lieux d’art sur ce point – ils avaient moins qu’aujourd’hui la nécessité de toucher un large public. Désormais, soit les lieux sont “populaires” au niveau local et attirent beaucoup de monde, soit ils sont très pointus et très visibles sur le plan international, mais au risque d’avoir peu d’écho sur le plan local. »
Nouer des partenariats pour étoffer le budget
Le budget actuel du CAPC est-il par ailleurs suffisant pour redorer son blason ? Lors de son départ l’an dernier, l’ancienne directrice Charlotte Laubard déplorait le montant trop maigre de l’enveloppe allouée à la production d’expositions : 250 000 euros par an. Didier Arnaudet souligne pourtant :
« Ce n’est pas une grosse enveloppe qui fait une belle exposition, il faut surtout saisir l’artiste au bon moment. »
Interrogée sur ce point névralgique, Maria Inés Rogriguez confie qu’elle dispose du même budget et qu’elle a accepté le poste en connaissance de cause :
« Toute la question est de trouver des partenaires, locaux, nationaux et internationaux pour travailler ensemble. Le CAPC est un musée très important pour la ville, et il y a ici des entreprises très puissantes qui pourraient participer à ce beau projet. C’est le genre de soutien qu’il faut rechercher. »
Son crédo : le travail en réseau. Son nomadisme l’a poussée au fil des ans à côtoyer des profils très variés et à tisser des liens qui résistent à la distance géographique. Elle imagine un CAPC plus ouvert, qui nouera des partenariats enrichissants avec d’autres institutions, pour créer par exemple une « école de médiation » profitable aux équipes de différents musées ou des coproductions avec des centres d’art, comme celui du Jeu de Paume. Elle cite également le FRAC, l’école des Beaux-Arts, l’université ou encore l’école d’architecture de Bordeaux.
Une direction ambitieuse et indépendante
Autre objectif notable de Maria Inés Rodriguez : redonner au CAPC son caractère de musée.
« J’ai l’impression qu’il est devenu progressivement un centre d’art, perdant son aspect muséal. Je voudrais redonner toute sa place à la collection, l’explorer, la restaurer, l’enrichir et créer un centre de recherche autour des archives extraordinaires du CAPC. »
Comment la nouvelle directrice envisage-t-elle ses futurs rapports avec la mairie de Bordeaux, à laquelle le musée appartient ? Elle s’étonne un peu de la question avant d’assurer, de sa voix délicate mais ferme, qu’elle dispose d’une totale indépendance pour sa programmation. Quant au nouvel élu en charge de la culture, Fabien Robert (qui doit présenter sa feuille de route en septembre prochain), Maria Inés Rodriguez raconte qu’elle l’a rencontré le jour même de sa nomination, le 4 avril, lors du vernissage de l’exposition de Tomoaki Suzuki au CAPC :
« Je pense que c’est quelqu’un de très ouvert, qui s’intéresse vraiment à la culture. Nous allons travailler ensemble, pour la même ville, dans la même équipe. »
De manière plus générale, qu’a-t-elle pensé de l’accueil qui lui a été réservé à Bordeaux. « Excellent », sourit Maria Inés Rodriguez, qui trouve tout de même curieuse cette question que tout le monde lui pose depuis son arrivée : pourquoi Bordeaux ?
« Certains semblent surpris. Peut-être parce qu’ils ne se sont pas rendu compte que le CAPC est un musée très important au niveau international, un lieu mythique, qui a une richesse extraordinaire. Donc la question ne se pose même pas. Mon envie de développer un projet ici, c’est une évidence. »
Chargement des commentaires…