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Google veut mettre la main sur l’éducation

Classroom est un outil gratuit de la suite Google Apps for Education qui permet aux enseignants de communiquer plus facilement avec leurs élèves. Google a assuré que les données ne seraient en aucun cas utilisées à des fins publicitaires. Comment en être sûr quand on connaît la stratégie globale de Google ?

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Google veut mettre la main sur l’éducation

Capture écran Google Education
Capture écran Google Education

Depuis quelques jours, Google propose « Google Classroom » : un outil qui permet « aux enseignants de donner et de planifier rapidement les devoirs, de communiquer facilement avec les élèves de leurs classes » et aux élèves « d’organiser leur travail, de faire et de remettre leurs devoirs et de communiquer directement avec leurs professeurs et leurs camarades de classe ». Pouvoir gagner du temps, organiser ses cours et mieux communiquer : le contenu est digne d’intérêt. Dur de résister !

Education, intelligence artificielle et contrôle des industries clés du XXIe siècle : une stratégie globale

Le problème avec l’utilisation de cet outil, c’est que l’on devient le pion de la stratégie mondiale d’une entreprise qui, non seulement veut dominer le domaine de l’éducation en proposant une gamme cohérente et complète d’outils dans une niche de marché (voir encadré), mais fait preuve d’une ambition bien plus vaste.

Avec une capitalisation boursière de 410 milliards de dollars en février 2014, et un chiffre d’affaire de 59, 8 milliards de dollar (+20% par rapport à 2012), Google a des moyens colossaux et s’en sert. L’objectif de ses dirigeants est clairement de transformer leur moteur de recherche en intelligence artificielle. Progressivement ils s’en rapprochent. En fait, personne ne l’a vu venir, ni les utilisateurs quotidiens du moteur de recherche, ni ses concurrents. Il a fallu du temps pour que la stratégie des dirigeants de Google soit comprise.

La captation des industries du XXIe siècle

Ils ont réussi en peu de temps à contrôler 3 industries clés du XXIe siècle.

Celui de la lutte contre la mort avec Calico, née en septembre 2013, une filiale qui a l’objectif fou d’augmenter l’espérance de vie de vingt ans d’ici à 2035 (et d’abolir la mort d’ici la fin du siècle). Dirigée par Arthur Levinson, l’ancien patron de Genentech, un des pionniers des biotechnologies, elle a investi dans le séquençage ADN avec sa filiale 23andMe.

Celui de la robotique. En 2013, Google a racheté les 8 principales entreprises de robotique. Mais aussi la domotique avec le rachat de la start-up américaine Nest qui développe des outils autour de la maison intelligente. Depuis l’année dernière, Google Car, un mélange incroyable de robotique et d’intelligence artificielle, roule seule sur des milliers de kilomètres sur les routes de Californie sans accident. Elle devrait être rapidement démocratisée.

Celui de l’intelligence artificielle : Depuis 3 ans, Google débauche les plus grands noms de l’intelligence artificielle. Comme Ray Kurzweil, le « pape » du transhumanisme (une idéologie née dans les années 1950 qui considère légitime d’utiliser tous les moyens technologiques et scientifiques pour augmenter les capacités de l’homme – son corps, son cerveau, son ADN – et faire reculer la mort) qui vient d’être nommé ingénieur en chef du moteur de recherche.

La révolution des NBIC

Google a été la première à comprendre la puissance de la révolution des technologies NBIC, cette convergence de quatre vagues (nanotechnologies, bio-ingénierie, informatique et cognitique) qui va construire le XXIe siècle et contrôler toutes les autres. Les découvertes dans ces 4 domaines progressent et convergent, en ce sens que les découvertes dans un domaine servent aux recherches dans un autre.

Cette synergie décuple la puissance de la recherche et permet des avancées spectaculaires et des vagues d’innovations. Parmi celles qui arrivent on peut citer :
– L’électronique médicale : les 1ères rétines artificielles pour traiter la cécité ou les lentilles intelligentes pour les diabétiques qui mesurent en temps réel votre glycémie…
– l’ingénierie du vivant, avec la manipulation de l’ADN, la régénération des cellules…
– la nano-médecine : Réparation de nos cellules, création des organes de rechange, intégration dans notre corps des implants électronique, interfaçage de nos cellules avec des composants informatiques, etc. Une santé numérisée et dématérialisée dans des serveurs à distance, des algorithmes que le médecin ne comprend pas, du big data. La médecine va rejoindre la physique nucléaire et l’astrophysique.

Le séquençage de l’ADN

L’ADN est un exemple frappant de la Nature exponentielle de ce progrès technologique. En 1990 existait un consensus mondial des généticiens : jamais les scientifiques ne parviendraient à décrypter 100 % de l’ADN. On ne pourrait séquencer les 3 milliards de combinaisons chimiques formant notre identité génétique et constituant les 21 000 gènes de notre ADN ainsi que leurs séquences régulatrices.

Quand le gigantesque programme de recherche international Projet Génome Humain, destiné à dresser la carte de l’ADN d’un être humain, a démarré en 1990, beaucoup d’experts déclarèrent, au regard de la puissance des ordinateurs de l’époque et de la technique de séquençage utilisée, qu’il faudrait entre 3 et 5 siècles. C’était fait en 2003 !

Certes, le premier séquençage de l’histoire a coûté 3 milliards de dollars mais aujourd’hui, ce coût est tombé à 1 000  dollars. Bientôt 100  dollars… Aujourd’hui, un séquenceur de nouvelle génération décode 50  milliards de bases ADN à l’heure. La dernière puce d’Intel fait 1 000  milliards d’opérations à la seconde, ce qui est nécessaire pour analyser l’ADN. Or les progrès de l’industrie du vivant sont encore plus foudroyants que ceux des circuits intégrés : en 10 ans, le coût du séquençage de l’ADN a été divisé par 3 millions et devrait coûter moins qu’un plein d’essence avant 2020.

Cela nous permettra d’avoir une carte d’identité génétique et biologique, de connaître les codes de la vie à l’échelle moléculaire et ainsi d’ouvrir la porte au traitement personnalisé des maladies et aux traitements préventifs à partir des particularités de chacun. Dans la cancérologie par exemple, où chaque tumeur est différente, fruit de mutations spécifiques de l’ADN. Dès les années 2015, l’ADN de chaque tumeur sera intégralement séquencée pour optimiser le traitement car le cancer est toujours une maladie de l’ADN généralement acquise (85% des cas).

Dans le séquençage du fœtus que le comité d’éthique vient d’autoriser en France qui permet de réaliser un diagnostic génomique du futur bébé à partir d’une prise de sang – des algorithmes permettent de séparer l’ADN fœtal de l’ADN maternel. On peut donc avoir un diagnostic génétique très précoce, avant les 12 semaines légales. On entre dans l’univers de l’eugénisme 2.0 — une bombe éthique qui passe inaperçue. Un eugénisme libéral, pas étatiste. Mais un eugénisme quand même…

La montée en puissance de Google, et sa volonté de domination de l’intelligence artificielle

L’entreprise de Craig Venter, biologiste et homme d’affaires américain, rachetée par Google a réussi à créer artificiellement en 2010 un chromosome d’un million de bases chimiques suivant une modélisation informatique. Intégré dans une bactérie dont on avait auparavant supprimé l’ADN d’origine, elle a réussi à « rebooter », c’est-à-dire à faire redémarrer cet organisme d’un genre nouveau, désormais capable de se reproduire.

Pour la première fois, une forme vivante fonctionne avec un programme génétique conçu sur ordinateur, puis construit chimiquement en éprouvette. L’évènement est pour le moins incroyable : Il existe donc aujourd’hui deux lignées d’espèces vivantes sur Terre : toutes celles qui descendent de LUCA (Last Universal Common Ancestor) et JCVI-syn1.0, la création de Venter.

Une compétition industrielle mondiale aux enjeux financiers énormes est lancée pour créer des « super cellules », plus performantes, plus puissantes, à la durée de vie supérieure. Le passage de ces technologies à la médecine quotidienne est juste une question de temps. Il se compte en décennies et non en siècles.

Enfin, la technologie devrait dépasser, voire remplacer la vie. La montée en puissance de Google, embryon d’intelligence artificielle, prouve que cette étape n’est plus si loin. Sous l’influence des technologies NBIC, l’Homo sapiens deviendrait, selon les transhumanistes, la première espèce « libre » dans le sens où il serait libéré des incertitudes de la sélection darwinienne. Nous ne serions plus les jouets d’un tri accompli par des forces de sélection aveugles, mais les décisionnaires et véritables sélectionneurs actifs des attributs de notre humanité. L’homme biotechnologique aurait toutes les cartes en main pour « s’arracher à la nature ».

Autour de 2040 devraient émerger des machines dotées de la capacité du cerveau humain. Et d’ici 2100, elles devraient aussi nous dépasser en intelligence, ce qui pousserait l’homme à vouloir « s’augmenter » par tous les moyens. Imaginez si de tels robots, plus forts que nous, ayant accès à l’intelligence artificielle et à l’impression 3D, connectés et contrôlant Internet, existaient…

Et l’éducation dans tout cela ?

On est loin de l’éducation en évoquant ces problèmes mais en est-on si sûr ? Google soutient l’idéologie « transhumaniste » et cherche à maîtriser toutes les technologies qui la sous-tendent : la robotique, l’informatique, l’intelligence artificielle, les nanobiotechnologies, le séquençage ADN… Se servir des outils de Google dans l’éducation, c’est participer à son insu à un jeu de GO mondial, ses stratégies combinatoires, mais aussi dans « L’art de la guerre » du théoricien chinois Sun Tzu.


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