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A Bordeaux, des commerces en vrac et sans sacs

Dans les épiceries comme dans les hypermarchés la vente de produits en vrac fait son grand retour. Plus écologique et plus économique, elle profite à la fois au consommateur et au vendeur. Elle permet surtout d’éviter les gaspillages par la suppression des emballages et la possibilité de consommer selon ses besoins.

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A Bordeaux, des commerces en vrac et sans sacs

Mathias Cangina vend de la lessive artisanale en vrac sur les marchés : un succés (Yoann Boffo/Rue 89 Bordeaux)
Mathias Cangina vend de la lessive artisanale en vrac sur les marchés : un succés (Yoann Boffo/Rue89 Bordeaux)

Au rayon du vrac, la viande, le poisson et les fruits et légumes ne sont plus seuls. L’huile, les céréales, les bonbons, le lait et même la lessive les ont rejoint.

Le vrac avait quasiment disparu des étalages depuis les années 1960 et l’avènement des hypermarchés. Il revient aujourd’hui sur le devant de la scène. Et Bordeaux n’échappe pas au phénomène. La Recharge, une épicerie entièrement dédiée à ce mode de consommation doit ouvrir ses portes en centre-ville au mois de juillet. Le concept est unique en France.

Pas de boîtes de conserve ni de cartons. Ici, chacun vient avec ses propres récipients ou se procure des boîtes réutilisables en plastique sur place. Les rayonnages habituels ont cédé la place à des distributeurs contenant la plupart des produits du quotidien.

Les clients remplissent leurs contenants avec la quantité au plus juste de ce dont ils ont besoin et réalisent une économie de 20 à 60 % sur les prix des produits grâce à la suppression des emballages :

« Au total nous avons presque 300 références, toutes sans emballages. Des classiques, comme les pâtes, le riz ou les céréales mais aussi des produits rarement vendus en vrac comme le papier toilette ou les détergents. La majorité des articles sont bios et tous sont locaux, nous y tenions », explique Jules Rivet, l’un des deux fondateurs de l’épicerie.

La Recharge propose aussi des liquides comme l’huile, le lait ou les jus de fruits grâce à un système de consigne. Les clients sont invités à rapporter leurs bouteilles vides afin qu’elles soient nettoyées et réutilisées.

Le magasin n’est pas encore ouvert mais déjà le concept séduit. Pour boucler son financement, la Recharge a lancé une campagne de financement participatif. Le public a répondu présent en donnant en moins d’un mois 4170 € au lieu des 3500 € demandés.

Les pionniers

Les emballages et les sacs plastiques représentent une part significative des 430 kg de déchets ménagers produits par personne chaque année. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estimait en 2012 que les emballages de dix produits de grande consommation représentaient à eux seuls 1,1 million de tonnes de déchet, soit le même impact écologique que 200 000 personnes et l’ensemble de leurs activités économique pendant un an.

Au début des années 2000, les chaînes de supermarchés bios comme Biocoop ou So Bio ont été les premières à proposer des rayons vrac avec pour principale motivation la diminution de l’impact écologique.

Les magasins Biocoop proposent ainsi près de 400 références. Au côté des plus communes, on peut même y trouver depuis quelques années du yaourt ou des pastilles pour lave-vaisselle en vrac. Dans le magasin de l’enseigne à Bordeaux, cours Pasteur, le rayon vrac est régulièrement pris d’assaut :

« C’est une des parties du magasin les plus prisées par nos clients. Le vrac est important pour nous mais le consommateur y trouve aussi son compte avec des prix sans emballage inférieurs de 25% en moyenne et des produits essentiellement locaux », explique Brice Humbert, le directeur.

Une recette locale

Pour fonctionner le vrac doit reposer sur des circuits courts. Le transport des produits non-emballés complexifie la logistique et leur proximité facilite l’acheminement. Pour s’assurer de remplir, son rayon Biocoop a dû participer au financement d’un silo à grains à Saint-Jean-d’Angély et inciter un agriculteur à reprendre la production de graines de tournesol non destinées au pressage.

La Recharge, elle, s’appuie notamment sur le réseau des Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap). Une quarantaine de producteurs commencent déjà à alimenter la boutique. Le fruit d’un travail de recherche de neuf mois :

« Certains producteurs faisaient déjà du vrac avant, mais pour d’autres il a fallu se montrer convaincant. Expliquer le bénéfice écologique de l’opération et la viabilité de notre projet. D’autant que faire du vrac peut être plus contraignant pour certain que vendre de l’emballé », regrette Jules Rivet.

Les laitiers ou les producteurs de jus de fruit doivent par exemple mettre en place une procédure sanitaire complexe s’ils souhaitent pouvoir réutiliser leurs bouteilles en verre. Le nettoyage doit répondre à un cahier des charges contraignant, mis au point par le producteur et validé par les autorités sanitaires.

Le flou juridique accroît les difficultés. Il existe peu de textes prenant des dispositions spécifiques pour la vente en vrac. Des questions essentielles restent en suspend.

Les denrées périssables en vrac n’affichent pas toujours clairement une date limite de consommation. De même, les avertissements d’usage comme la mention « ne pas ingérer » sur les produits ménagers ou la liste des allergènes présents dans les produits transformés passent parfois à la trappe. La loi précise simplement que le consommateur doit pouvoir obtenir ces renseignements auprès d’un vendeur.

Les producteurs s’y mettent

Malgré les difficultés, la vente en vrac continuent de faire des émules. A commencer par les producteurs eux-mêmes. Pour beaucoup la suppression des emballages a permis de faciliter la vente directe au consommateur. Elle permet aussi de proposer une offre plus attractive pour se démarquer des grands magasins.

Pour s’approvisionner en miel, La Recharge mise sur les apiculteurs des Ruchers du Born. Ils se sont convertis au vrac il y a un peu plus d’un an. Outre les livraisons à l’épicerie, ils vendent aussi le miel au poids directement au consommateur :

« Nous ne sommes pas spécialement écolos. Nous avons commencé car il y avait une forte demande de la part de nos habitués. Les clients viennent se servir avec leur récipient directement au robinet. Nous vendons surtout du miel d’acacias car il reste liquide plus longtemps. Grâce à la suppression du contenant, de l’étiquette et du carton le prix du kilo de produit a diminué d’un euro », explique Thomas Mollet, l’un des apiculteurs du groupement agricole.

Mathias Cangina, fabricant des produits ménagers 100 % Gironde, vend lui sa lessive à base d’eau et de cendre de bois sur les marchés pour trois euros le litre. Derrière son étal, une vingtaine de bouteilles d’eau vides de toutes les tailles attendent d’être remplies de produit nettoyant :

« Ma clientèle est essentiellement constituée d’habitués. Ils reviennent me voir régulièrement avec leurs récipients vides pour faire le plein. Vendre en vrac était en accord avec les valeurs écologiques de mon entreprise mais ce n’est pas toujours simple.
J’ai créé seul des étiquettes pour avertir mes clients des précautions d’emploi. La loi n’est pas claire en la matière et la chambre des métiers était incapable de m’expliquer la marche à suivre »

Distributeurs de vrac dans une grande surface (Wikipedia)

Vrac contre hard-discount

A l’autre bout de la chaîne, la grande distribution mise aussi sur le vrac depuis une dizaine d’année. Les magasins Auchan ont été les premiers à se lancer en 2005 avec la création des rayons « self-discount ».

L’objectif affiché est alors de contrer le développement des magasins de hard-discount. Aujourd’hui, ces rayons écoulent prés de 250 millions de produits par an et sont devenus incontournables pour la quasi-totalité des Auchan.

La logique écologique s’efface ici derrière des intérêts économiques. La vente de produits « non marketés », sans frais d’emballage ou de publicité, permet de casser les prix sans rogner sur la qualité. Les produits vendus en vrac proviennent pour la plupart des mêmes fournisseurs que ceux des produits emballés de marque distributeur.

La pratique du vrac permet aussi un gain de place conséquent. Elle permet d’optimiser la gestion des stocks et de mettre plus d’articles en rayon.

D’autres hypermarchés ont suivi le mouvement et expérimentent le vrac, notamment pour leurs rayons bio, comme Carrefour ou Système U. En revanche, sa généralisation n’est pas toujours à l’ordre du jour.

Sur son blog, Michel-Edouard Leclerc, PDG du groupe E.Leclerc, évoque le vrac comme « une fausse bonne idée » :

« Je pense qu’il ne générera pas forcément moins de pertes ou de gaspillage alimentaire. Qui dit généralisation du vrac dit manipulation accrue des produits et donc altération de leur qualité.
Ensuite, rien ne garantit que le consommateur “saura” acheter en vrac la quantité exacte de ce dont il a besoin.
Enfin, le vrac génère des problèmes de qualité et d’hygiène alimentaire qu’on ne peut oublier (risques accrus de contamination microbienne, d’introduction de corps étrangers et perte de traçabilité). »

Pourtant l’opération est rentable. Pour une étude, le fabricant de lessive Henkel a distribué ses produits avec des distributeurs automatiques installés dans les rayons de cinq grandes surfaces. Résultat : des ventes multipliées par cinq en moyenne de 100 à 500 litres de produits écoulés par mois.


#agriculture

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