C’est l’avant-dernier entrainement avant la finale. Les filles du Sport Athlétique Mérignac (SAM) rencontrent les garçons du club bordelais de Villa Primrose sur le terrain du domaine de Rocquevielle. Un jeu amical, entre voisins, pour ajuster les schémas tactiques.
Les cris des joueurs résonnent au milieu des installations sportives, à peine couverts par le bruit régulier des avions de l’aéroport Mérignac, tout proche. L’entrainement bat son plein sur le terrain, pourvu d’une vieille tribune en bois délabrée. Près des bancs de touche, la tension est palpable. Les entraîneurs ne quittent pas l’action des yeux.
Samedi, il faudra gagner. L’équipe féminine affronte Lille en finale du championnat de France de division élite. La plus élevée. En demi-finale, le SAM a battu l’équipe de Lambersart – une revanche de la finale de l’an passé, où les Nordistes avaient battu les Girondines à Mérignac. Au début du mois, les filles ont déjà remporté l’une des compétitions européennes de hockey sur gazon.
« On me demande depuis quand je patine »
Dans l’agglomération, trois clubs perpétuent la longue tradition bordelaise de hockey sur gazon dans des compétitions de haut niveau. Le SAM, exclusivement féminin, les Girondins de Bordeaux, exclusivement masculin, et Villa Primrose, mixte. Pourtant, ce sport reste seulement connu d’un petit nombre d’initiés.
« Quand on me voit me balader avec ma crosse dans son étui les gens s’imaginent que je fais du golf. Ou alors ils confondent le hockey sur gazon avec le polo. Parfois même ils me demandent depuis quand je patine », s’amuse Laura Baron, l’une des joueuses du SAM.
Pour ce hockey là, pas besoin de patin à glace. Il faut courir. Comme au football, deux équipes de onze joueurs s’affrontent. Comme au handball, une zone entoure la cage du gardien. Mais ici, il faut être à l’intérieur pour pouvoir tirer. Et pas question d’utiliser ses mains.
Au hockey sur gazon, les hockeyeurs sont munis d’une crosse et poursuivent une balle colorée au faux airs de boule de pétanque, le poids en moins. Le placement et la tactique revêtent plus d’importance que la forme physique.
Une histoire centenaire
La Vie au Grand Air du Médoc pratiquait le hockey sur gazon depuis sa fondation en 1907. Il est devenu le SAM en 1972. C’est l’un des premiers clubs de France. La pratique de ce sport, déjà très répandue au Royaume-Uni, est importée en Gironde par une famille de négociants en vin britannique. Rapidement, les équipes fleurissent. Comme l’explique Marcel Gomez, président de la section hockey du SAM, le port de Bordeaux facilite ce développement :
« Les équipages des navires marchands du Commonwealth avaient presque tous leur équipe de hockey. Les formations bordelaises recevaient de nouveaux adversaires tous les jours. Si Bordeaux est le seul endroit du quart Sud-ouest de la France à avoir une telle pratique du hockey sur gazon, cela s’explique d’abord par les échanges maritimes. »
Aujourd’hui encore le SAM garde cette culture internationale. L’entraîneur adjoint est britannique et quatre joueuses viennent d’Argentine, le pays champion du monde en titre. Laura Baron, elle, est Écossaise :
« En Ecosse le hockey sur gazon est un sport populaire. A l’école, les garçons font généralement du foot et les filles du hockey. J’ai commencé à le pratiquer à cinq ans, au tout début de ma scolarité. En France, c’est un sport peu connu qui n’a pas une dimension populaire comme peut avoir le football par exemple. »
Une image de marque
Dans nos contrées, le hockey sur gazon se cultive dans les milieux aisés. S’il s’est (un peu) démocratisé, il conserve cette image. C’est particulièrement vrai pour la section du prestigieux club de Villa Primrose, l’un des plus importants par la taille avec ses 400 licenciés. Le plus ancien club de tennis de France possède aussi plusieurs équipes de hockey sur gazon depuis 1924.
« Primrose a une culture aisée héritée du tennis. L’image d’un Primrose huppé est vraie pour une partie des joueurs et une partie de notre public. Beaucoup font le pont entre les deux disciplines et pratiquent à la fois le tennis et le hockey », explique Géraldine Bonenfant, l’entraîneur de l’équipe féminine de Primrose.
Le public fortuné du hockey contribue d’ailleurs à sa survie. Au SAM, plus de 50% des ressources du club proviennent de partenariats privés conclus avec des particuliers ou des entreprises. Marcel Gomez, le président, va même plus loin :
« On peut parler de mécénat car nous ne pouvons rien leur offrir en échange, en dehors de notre jeu. Nous utilisons le terrain des Girondins de Bordeaux pour nos matchs et nous ne pouvons donc pas y apposer les publicités de nos sponsors. »
Alors qui sont ces généreux donateurs ?
« Essentiellement des amateurs de hockey, des anciens joueurs ou des personnes dont les enfants ou l’entourage pratique ce sport. »
Car le hockey est une histoire de famille. On manie souvent la crosse sur plusieurs générations. Peggy Bergère, l’une des arrières du SAM, est devenu hockeyeuse pour « suivre l’exemple de son père ». Pour Sylvine da Cunha, la gardienne, son grand frère a ouvert la voie. Quant à Marcel Gomez, il succède à son oncle et sa femme, ses filles et son beau-frère pratiquent aussi la discipline.
Reproduction sportive
Pour se faire connaitre et se développer, le hockey mise sur la formation. La pratique fréquente de ce sport dans les écoles privées a renforcé son image de sport réservé à une élite. A Bordeaux, les formateurs des écoles de hockey interviennent dans plusieurs établissements catholiques comme l’école Saint-Gabriel, Saint-Joseph de Tivoli ou l’école Jeanne d’Arc au Bouscat.
Au fil des décennies, leur soutien a permis de pérenniser la pratique du hockey sur gazon dans le bordelais. Les écoles de formation assurent un revenu régulier aux clubs et, surtout, une augmentation continue du nombre de licenciés. Les équipes du SAM rassemblent aujourd’hui 280 jeunes filles.
Mais, comme l’explique Nicolas Roche, l’entraîneur du SAM, les clubs ne se limitent pas aux écoles privées par choix :
« Il nous est difficile d’obtenir l’agrément du ministère de l’Education pour intervenir dans les écoles publiques. Le hockey sur gazon souffre de sa méconnaissance. Il traîne une image de brutalité en raison des encombrantes protections dont sont équipés les joueurs. Mais en réalité, les chocs violents ne sont pas légion. »
Tout pourrait changer bientôt avec la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Le hockey sur gazon espère bien se poser en alternative originale pour les heures d’activités périscolaires prévues par les nouveaux emplois du temps. Une façon de grandir encore et de gagner en visibilité, sans renier l’héritage du passé.
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