Vogue la galère pour l’équipe du bateau de l’I.Boat. Corinne Bauer, gérante de l’établissement, et Benoît Guérinault, programmateur et médiateur culturel, avalent de travers la décision du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux. Ce dernier vient de rejeter la demande de référé porté par leur avocat, maître Pierre Blazy :
« Ce dossier est vide. Cette fermeture est préjudiciable à mes clients, déclare ce dernier. Elle est vécue comme une sanction. On prend de telles décisions sans imaginer l’impact économique que cela peut avoir sur une entreprise qui emploie une trentaine de personnes. Nous avons affaire à un préfet qui ferme à tout va… »
Le petit frère du Batofar
Souvent comparé au Batofar – le navire parisien ancré dans le 13e arrondissement de la capitale en face de la bibliothèque Francois-Miterrand –, l’I.Boat en est même le petit frère.
Le ferry s’amarre à Bordeaux en 2011. La holding qui possède la société détentrice du Batofar a fait appel à Corinne Bauer et François Bidou pour tenir la table de l’I.Boat. L’ambition des anciens du restaurant Le Cirque sur les quais était suffisamment grande pour tout prendre en main et fixer le cap de ce lieu insolite sur les bassins à flots de Bordeaux, devenu un lieu incontournable de la musique électro et de la culture digitale.
Les trois étages accueillent un restaurant, un bar, un lieu d’exposition et une salle de concert avec une jauge de 350 personnes tournée vers la musique indépendante.
« Plus qu’une surprise, cette fermeture a été un choc ! »
Calé dans son fauteuil, Benoît Guérinault est un ancien du duo fondateur du Zoo Bizarre devenu L’Hérétique, rue du Mirail. Déjà habitué à une scène underground, il insiste sur la « vigie musicale » et les découvertes de groupes programmés en dehors des tournées toutes faites.
Assise à ses côtés, Corinne Bauer rêvait de meilleures vacances pour cette année. En effet, les deux dernières semaines de juillet prévues pour la pause annuelle se transforment en plan de bataille pour la survie de son entreprise. Elle dénonce la démesure des événements :
« Notre programmation est délocalisée chez Darwin, le H36 et Les Vivres de l’Art. Mais le resto lui, il est à l’arrêt. Un restaurant, ça ne se délocalise pas ! »
Un manque à gagner d’environ 123 000 euros, une image ternie par des accusations mal supportées… « Plus qu’une surprise, la fermeture administrative a été un choc ». Entretien avec la patronne et le programmateur culturel de l’I.Boat.
Rue89 Bordeaux : Une enquête policière sur un réseau de dealers avait entrainé la fermeture de deux lieux à Bordeaux, Le café des Moines et Le Bellini. Cette enquête avait conduit les policiers jusqu’à l’I.Boat. Pourquoi ?
Corinne Bauer : La police avait des doutes sur un dealer qu’elle a mis sur écoute téléphonique. Ces écoutes ont révélé des appels donnés par deux de nos employés qui voulaient trouver de la drogue pour des artistes de passage chez nous.
Ça s’arrête là. Rien n’a pu prouver que la drogue tournait chez nous. D’ailleurs aucun des dirigeants n’a été mis en examen. Aucune descente n’a été faite, aucune surveillance non plus.
Ce sont deux cas isolés qui ont été mis en garde à vue le 29 avril. Ils ont reconnus les faits. Ils ont été présentés à la justice qui leur a interdit de remettre les pieds à l’I.Boat. On a donc mis fin aux contrats qui nous liaient à ces deux personnes : la responsable de communication et le régisseur général, et non pas le régisseur son comme ça était dit.
A partir de ce moment, nous avons été entendus, les gérants et le chef de la sécurité. Rien ne pouvait nous impliquer dans cette affaire. On a cru l’affaire classée.
Benoît Guérinault : Il faut savoir que nous avions toujours été sensible à cette question. Toutes les dispositions avaient été prises comme dans n’importe quel club. On avait mis une personne dans les toilettes et elle était censée nous prévenir si quelque chose d’étrange pouvait se dérouler.
C’est un lieu festif. Nous ne pouvons pas tout prévoir. Nous avons aussi notre travail. Pour ce qui est de la chasse aux dealers et la circulation de la drogue, on ne peut pas tout nous mettre sur le dos. C’est facile de taper sur les clubs et les établissements de nuit. Pour éradiquer la drogue, on ne peut pas fermer tous les lieux festifs. C’est absurde.
Qu’est ce qui justifie alors la décision de la fermeture administrative prononcée par la préfecture ?
CB : Cette décision a été un choc. On croyait l’instruction en cours étant donné que rien de nouveau n’était survenu : pas de nouvelle convocation, pas de nouvel interrogatoire, rien ! Nous avons continué notre travail après avoir pris les mesures qui s’imposaient et fait ce qu’il y avait à faire.
Face à l’arrêté, nous ne pouvions rien faire que demander un référé. Malheureusement dans le dossier, aucune considération n’est portée à la question économique de notre établissement.
BG : On y croyait. Nous pensions que, passées deux semaines, on allait nous autoriser à repartir. D’autres affaires similaires ont été entendues en référé et la suspension de l’arrêté a été prononcé. Nous avons produit beaucoup de documents et nous commençions à espérer.
Quel sont les impacts économiques sur votre fonctionnement ? Une fermeture en été vous porte-t-elle particulièrement tort ?
BG : Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise saison. Notre chiffre d’affaire est constant. Nous organisons nos événements et nos activités de sorte à maintenir un équilibre toute l’année. Notre programmation est adaptée en fonction de notre capacité à produire et à accueillir du public.
CB : Cet été, nous avions installé une terrasse sur le quai. Il y a un bar extérieur et des terrains de pétanque ouverts jusqu’à 23 h. Tout est fermé !
Cette fermeture entraîne une perte dans notre chiffre, elle est estimée à 123 000 euros. L’économie est mise à mal. Les projets vont être étudiés et deviendront peut-être moins possibles, surtout les activités proposées gratuitement.
Ceci dit, c’est surtout la réputation de notre institution qui prend un coup. En dehors de notre programmation, nous avions aussi un volet culturel qui se retrouve entaché.
Comment vos propositions culturelles peuvent-elles être pénalisées ?
BG : Nous avions une programmation de la culture émergente. Celle-ci a besoin d’une certaine crédibilité. Nous étions surtout positionnés sur la culture digitale. Nous sommes devenus partenaires de la ville de Bordeaux qui nous demandait conseil sur le programme de la Semaine Digitale. Nous intervenons sur la direction artistique de l’événement qui allait devenir métropolitain.
Nous avons aussi en partenariat avec Novart, avec la bibliothèque municipale… Nous sommes sur des projets avec de nouvelles structures : nous associer avec un trafic de stupéfiants ne va pas aider les choses à avancer.
CB : Il y a également dans notre programmation une place faite aux activités pour le jeune public. Sans aucun doute qu’une affaire comme celle-ci va nous porter tort. Il va falloir reprendre la médiation pour répondre aux interrogations et effacer les doutes.
Tout comme le restaurant accueillait des repas de groupes et des séminaires. Là aussi, il va falloir regagner la confiance de nos clients.
Jeudi dernier, vous avez été accueillis aux Vivres de l’Art pour une soirée de soutien. Quelles ont été les retombées ?
BG : C’était l’occasion pour nous de réunir les associations avec qui on travaillait déjà, de les rassurer sur nos motivations. Nous avons aussi voulu soulever le débat. Nous avons voulu évoquer avec ces associations, qui travaillent pour d’autres lieux de diffusion de concert, le problème de la drogue auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Car ce problème ne se trouve pas uniquement chez nous. Il est certain que pour y remédier, il ne faut pas porter le regard uniquement sur les lieux de nuit.
Pour notre troisième anniversaire en septembre, nous souhaitons mettre cette question en débat et inviter les professionnels et les pouvoirs publics pour en parler.
CB : On nous demande si on sera encore là en septembre, voilà une bonne raison pour l’être !
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