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Ecrivain, métier à la page pour public en marge

Inscriptions à Pôle Emploi, dossiers d’aides, lettres à la CAF… Ces formalités peuvent être source d’angoisse et éloigner l’administration et les usagers. Ces derniers – étrangers, illettrés ou personnes manquant de confiance en elles… – se tournent de plus en plus vers des professionnels. Rencontre avec ces scribes modernes.

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Ecrivain, métier à la page pour public en marge

Jean-Louis Dubourg au réseau Paul Bert (photo OD/Rue89 Bordeaux)
Jean-Louis Dubourg au réseau Paul Bert (photo OD/Rue89 Bordeaux)

Ils étaient scribes dans l’Égypte ancienne et clercs au Moyen-Âge. Ils sont aujourd’hui écrivains publics et rédigent pour les autres. Dans la communauté urbaine de Bordeaux, ils sont 70, dont une partie seulement se consacre aux démarches administratives. Leur carnet de rendez-vous ne désemplit pas.

Depuis cinq ans, Jean-Louis Dubourg s’installe à son bureau dans le hall d’accueil du centre social et culturel réseau Paul Bert. Cet ingénieur dans le BTP à la retraite, aujourd’hui bénévole, a commencé par des CV et des lettres de motivation, mais rapidement, il a dû élargir son champ d’action. Il intervient gratuitement deux après-midi par semaine. Et deux autres bénévoles constituent l’équipe.

« J’aide les gens à remplir dossiers de CMU, de demande de logement, de carte de séjour, déclarations d’impôts… Ils ont des difficultés avec l’écrit, la langue, les démarches administratives ou avec l’accès internet. Parfois, ils viennent juste pour que je leur imprime une attestation Pôle Emploi ou que je leur explique le sens d’une phrase. Je vois régulièrement une personne qui m’amène tout son courrier, même les publicités. Ensemble on fait le tri. »

Les « clients » de Jean-Louis affluent. Une demi-heure après l’ouverture du réseau Paul Bert, neuf personnes patientent déjà au bar. Un Sénégalais qui doit remplir son dossier pour la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) s’installe. Quelques cases à cocher, vérification des pièces à fournir et le voilà rassuré.

Seuls 44% d’écrivains publics formés

Un couple d’habitués prend le relais – « On vient faire tous nos papiers ici, c’est compliqué pour nous », témoigne le mari. Ils confient à Jean-Louis un document très « important », sans vraiment comprendre, en réalité, de quoi il relève. Un dossier de succession qu’il faut juste signer et renvoyer au notaire. Ils insistent pour le signer sous les yeux du bénévole, qui leur fait bien comprendre qu’il ne sait pas à quoi ils s’engagent en le signant. Le couple ne réagit pas. Jean-Louis a lu le dossier, et pour eux, c’est une garantie.

(photo OD/Rue89 Bordeaux)
(photo OD/Rue89 Bordeaux)

Ce cas de figure – l’hésitation de Jean-Louis liée à son manque de connaissances – illustre les limites du bénévolat chez les écrivains publics, que dénonce le syndicat national des prestataires en conseils et en écriture (SNPCE). « De nombreuses personnes exercent bénévolement tout en portant le titre (non réglementé) d’écrivain public, biographe, écrivain privé, écrivain de famille, ou autre », indique cet organisme sur son site. Selon une enquête du SNPCE réalisée en 2013, seuls 44% ont une formation spécifique.  Et le besoin de professionnalisation se fait sentir.

« Il y a de plus en plus de points d’accès aux droits dans les collectivités locales, au même titre que l’avocat, l’écrivain public en fait partie. Nous voyons passer des appels d’offres. Le besoin de professionnalisation est reconnu », explique Anne Steier, présidente du SNPCE.

Le droit donne des devoirs

L‘Atelier Graphite, association reconnue d’intérêt général depuis peu et partenaire de la mairie de Bordeaux grâce à son implantation dans les quartiers sensibles, estime également que les compétences techniques sont essentielles pour ce métier.

Ses deux écrivains publics salariés, Gaëlle et Dimitri, sont d’ailleurs juristes. Des professionnels qualifiés qui, pour mieux être à l’écoute, doivent souvent mettre de côté leurs bagages et leurs ambitions salariales – malgré des études à Sciences Po et deux Masters, Dimitri ne gagne que 1550 € par mois. En effet, à la permanence du cours Balguerie-Stuttenberg, la question principale à laquelle répond Gaëlle Laruelle est – « Comment fait-on pour venir ? » Bien que diplômée bac + 5, elle est aujourd’hui en contrat aidé, mais estime jouer son rôle.

« Je vivais dans un quartier défavorisé et depuis que je suis étudiante, j’ai toujours eu cette fonction. J’estimais que ma connaissance du droit me donnait des devoirs. Alors avec des amis en 2007, on a créé l’Atelier Graphite. »

La permanence a ouvert un jeudi, le vendredi elle était pleine. L’Atelier Graphite en crée de nouvelles chaque année. En 2014, l’association en tient 400 et rédige près de 2 000 courriers.

Même des bacheliers recourent aux écrivains publics

Ce service est gratuit, mais afin de ne pas être accusé de concurrence déloyale par les écrivains publics libéraux, les usagers doivent être orientés par des structures partenaires. Ce sont les maisons départementales de la solidarité et de l’insertion (MDSI), la mairie du Grand Parc, la maison de la Justice et le centre communal d’action sociale (CCAS) qui font le plus régulièrement appel à l’Atelier Graphite.

« Nous rencontrons des catégories sociales de moins en moins précaires, s’inquiète Gaëlle. Des jeunes retraités, des bacheliers qui ne savent pas écrire une lettre de motivation et qui cherchent un emploi,  une formation… Les informations ne manquent pas, mais il faut aller les chercher. Il y a par exemple beaucoup d’aides sociales, mais les gens doivent les demander… 80 % des personnes qui auraient droit au RSA activité l’ignorent. Il faut savoir que pour recevoir les informations de Pôle Emploi, par courrier, il faut le demander… Rien n’est fait pour l’illettrisme, alors les difficultés s’accentuent », regrette Gaëlle.

Dimitri Exertier de l'Atelier Graphite (photo OD/Rue89 Bordeaux)
Dimitri Exertier de l’Atelier Graphite (photo OD/Rue89 Bordeaux)

Et les rendez-vous à l’atelier Graphite se multiplient. Aujourd’hui, Dimitri Exertier s’installe dans la mairie du Grand Parc pour sa permanence. Cinq rendez-vous vont rythmer sa matinée. Lettre de résiliation d’assurance, demande d’échelonnement de créance, CV, formulaire pour l’école des enfants, une procédure d’appel à huissier… « Il n’y a pas deux rendez-vous qui se ressemblent », reconnaît-il.

Une « clandestinité » nécessaire ?

Si ce juriste parvient à répondre à toutes les questions techniques, il est parfois désarçonné par le besoin qu’ont les usagers de se confier. En rédigeant un courrier pour une jeune femme victime d’agressions répétées de la part d’une voisine, il apprend qu’elle a perdu son bébé, en écrivant une lettre destinée à apaiser des relations de voisinage, il fait la connaissance de toute la famille d’une vieille dame de 87 ans… S’il recadre ses interlocuteurs sur l’objet de leur visite, il reste à l’écoute.

« Ce que j’apprécie dans ce métier, c’est que nous sommes généralistes, on ne laissera jamais les gens sans réponse, même si on ne peut pas solutionner leur problème. C’est une bonne chose dans un monde ultra spécialisé où les démarches sont de plus en plus complexes. J’ai le sentiment que ma fonction est utile. Nous sommes le maillon manquant de la chaîne administrative », témoigne -t-il.

Alors lorsque l’on évoque la possibilité d’intégrer ce type de service au sein des administrations, comme Pôle emploi a pu le faire dans certaines communes ou des Centres communaux d’action sociale – la mairie de Bordeaux y a d’ailleurs songé –, il hésite.

« Le fait de rester indépendant nous laisse certes dans une sorte de clandestinité avec les contraintes financières que cela suppose, mais c’est un plus pour une population qui exprime une certaine défiance à l’égard des administrations. »

Une indépendance qui, aux yeux des gens, rime avec confiance.


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