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Guillaume Hillairet : quelques notes dans la cité-jardin

Loin de l’enseigne des paysages urbanisés, Guillaume Hillairet est venu déposer quelques « Notes » à la Cité Frugès Le Corbusier de Pessac. Il présente jusqu’au 27 septembre une installation, d’une tonne en acier brut, répartie dans les jardins et les terrasses des maisons privées de la cité.

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Guillaume Hillairet : quelques notes dans la cité-jardin

Guillaume Hillairet "Notes" (DR)
Guillaume Hillairet « Notes » (DR)

La proposition du plasticien Guillaume Hillairet s’inscrit dans un parcours artistique « Les arts aux murs & aux champs » piloté par l’artothèque de Pessac dans le cadre de la 3e édition de l’Eté métropolitain. Cinq artistes interviennent sur 5 lieux : à Bordeaux, Jeanne Tzaut à l’Institut Bergonié, à Pessac, Yves Chaudouët à la Médiathèque Jacques Ellul, Laurent Lacotte à l’Hôpital Xavier Arnozan – CHU de Bordeaux, Jean Daviot sur le site du Bourgailh, et Guillaume Hillairet à la Cité Frugès. Une visite des sites de l’itinérance en présence des artistes est prévue le 20 septembre à 15h. Les réservations sont ouvertes auprès de l’artothèque « Les arts au mur » de Pessac.

La cité ouvrière

La construction de cette cité entre 1924 et 1926 résulte de la rencontre entre Henry Frugès, industriel sucrier et Le Corbusier qui avait déjà étudié les questions urbanistiques, l’habitat collectif et les maisons standardisées. Frugès souhaite alors loger ses ouvriers sur « une vaste prairie entourée de bois de pins, en y édifiant une cité-jardin ».

Ces quartiers modernes sont donc nés de leurs échanges, avec des principes fonctionnels, des formes géométriques simples. 130 maisons étaient programmées, 50 pavillons seulement en 1926 ont été réalisés. Les habitations sont réparties en 6 modèles différents : « zigzag », « quinconce », « jumelle », « gratte-ciel », « arcade » et « isolée ».

C’est aussi, au moment des Journées Européennes du Patrimoine, les 20 et 21 septembre, l’occasion de découvrir le premier projet à grande échelle de Le Corbusier et notamment la « HARG House », laquelle est une des maisons miroirs de type « gratte-ciel » sur un site classé témoignant du patrimoine architectural moderne en France.

Un habitant temporaire

Guillaume Hillairet "Notes" (DR)
Guillaume Hillairet « Notes » (DR)

La proposition d’intervention faite à Guillaume Hillairet par l’artothèque de Pessac intervient en février 2014, dans la totale continuité de sa résidence en 2013 à la Maison Municipale Frugès dont le directeur, Cyril Zozor s’est trouvé être un écho pour le plasticien afin d’entraîner les habitants dans une aventure collective.

Guillaume Hillairet arpente la cité-jardin et observe les quartiers modernes depuis la terrasse de la Maison municipale Frugès. Il se définit sur ce projet comme « un habitant temporaire » de la cité où il élabore depuis deux ans une recherche à partir de sa perception des lieux qu’il associe au geste d’investigation géographique.

Une installation ou les restes d’un chantier ?

L’œuvre éphémère en équilibre est composée de 10 stèles en acier brut adossées aux maisons. L’acier se révèle être une matière vivante, les plaques sont livrées aux intempéries, à la chaleur comme les bâtiments. Les multiples nuances de rouille cuivrée naissante sur l’acier bleuté font corps avec la palette des marbrures du béton de la cité polychrome et évoluent au cours de la journée. La lumière dématérialise le support en traversant les mots qui révèlent la couleur du mur.

L’ensemble des plaques d’acier rassemblées présente la même surface qu’un module de construction pensé par Le Corbusier (5m x 5m). Chaque plaque nous rapproche également des dimensions du Modulor. En plus de l’enjeu de ne pas surajouter des volumes, Guillaume Hillairet procèdera par extraction de matière, la justesse et la pertinence des choix semblent de fait massivement pesées.

Les stèles se posent sous la forme d’un questionnement avec pour chacune, deux mots inscrits en creux. L’évidement des mots au laser est le même que celui utilisé sur certaines signalétiques des éléments de chantiers, à la différence près que Guillaume Hillairet y introduit certains décalages poétiques. Le caractère typographique choisi, avec des accents, fait sens et confère un aspect littéraire en contraste avec l’acier.

Un jeu de connexion de sens

Guillaume Hillairet "Notes" (DR)
Guillaume Hillairet « Notes » (DR)

Guillaume Hillairet semble faire de ses recherches la matière première à valoriser plastiquement. Sur le plan d’architecte à disposition des visiteurs, des points minuscules signifient l’emplacement des stèles afin d’inviter chaque participant à organiser son cheminement.

Le lexique vient inscrire la propre lecture de l’artiste de la Cité Frugès : un jeu de construction, de connexion de sens empirique avec une règle du jeu qui se définit dans un périmètre ouvert. En effet, les plaques sont posées en équilibre contre dix maisons mais pas seulement les maisons Le Corbusier, c’est toute une cité qui est interrogée jusqu’avant sa création.

Les définitions complètes des mots, issues du Robert, figurent sur le plan. Pour la stèle « Tolérance Volatil », le mot « tolérance » peut, par exemple, être décliné dans un sens double : soit la marge par rapport à une côte ou encore la tolérance dans le cadre de l’habitat collectif.

« Je prends beaucoup de notes, j’écris beaucoup lorsque je travaille avec des lieux, je procède à des tris, des associations. Je suis venu poser des mots comme on pose un mémo, un post-it dans le paysage. »

Un constat, des mots en question

Afin de rendre compte d’un ressenti qui lui est propre, Guillaume Hillairet a fait le choix systématique de regrouper, d’assembler deux mots par stèle. Ces noms et adjectifs font liaison mais restent indépendants, avec tout simplement, précise le plasticien, « la fonctionnalité du post-it pour se remémorer quelque chose, Il n’y pas de verbes, pas d’actions, que des questions ». Quelquefois les mots peuvent être lus tantôt comme substantifs tantôt comme épithètes…

Il ne s’agit pas de narration mais de réinterroger ce que c’est d’être habitant d’un espace aussi singulier constitué de maisons classées, ou encore la mixité dans le rapport à l’architecture Frugès au départ conçue pour une classe ouvrière et dont la classe moyenne s’est emparée très vite.

On connaît l’importance du sens des mots, des titres dans l’œuvre de Guillaume Hillairet : en choisissant le terme de « Notes », le plasticien nous invite à prendre en compte ses notes, mais aussi à penser en marchant pour peut-être attribuer des notes à l’utopie de l’architecture moderniste ?

Penser en marchant

Guillaume Hillairet "Notes" (DR)
Guillaume Hillairet « Notes » (DR)

Le public peut se promener à l’aide d’un plan de masse redessiné par Guillaume Hillairet. Un lexique nous invite, le public et les habitants, à re-questionner le sens de cet existant architectural en s’appuyant sur les « notes » du plasticien. Qu’est ce que ça veut dire d’habiter aujourd’hui un site classé ? – Quelles sont les contraintes d’un espace à la fois public et privé ?

Une déambulation libre et active

Guillaume Hillairet met en avant la capacité à reconstituer le lieu sous une forme « topocritique » développée par Nicolas Bourriaud. Le plasticien donne directement accès au sens des mots sans interprétation. Il permet au promeneur de penser en marchant et de laisser libre cours à sa propre lecture d’un parcours, tout en le mettant en question.

Lire à distance engendre différents rapports d’échelle. La notion du privé et du public sur un site classé est ici aussi appréhendée par le visiteur : Il n’est pas anodin de chercher du regard les mots sur les plaques en bords de rues et ou plus loin au fond d’un jardinet chez les habitants. Le lexique comme le plan nous invite à construire des prolongements et des déviations.

L’accueil à bras ouvert des habitants

Ils sont très sollicités pour faire visiter leurs maisons mais rarement sur un projet global, collectif. La Maison Municipale Frugès a permis cette mise en contact avec les locataires ou les propriétaires parfois éloignés. Rendre signifiante sa maison dans le cadre d’un projet artistique permet une ouverture au delà de Le Corbusier.

Les plaques deviennent des écrans sur lesquels chacun peut projeter du sens et les habitants y construisent des liens ainsi que les réminiscences de leur propre histoire pour les visiteurs comme pour eux-mêmes.

Signifier en évidant des mots semble être aussi une manière de souligner des notions à préserver dans le vivre-ensemble. L’appropriation des habitants est réelle au point qu’il arrive que l’on nomme un espace « nécessité sensible » ou « intime arrangement », « incertitude stable » à la place d’un numéro de rue.

Guillaume Hillairet, parcours

Guillaume Hillairet a grandi dans des lieux de fonction et a développé une intense fascination pour les endroits désertés à certains moments et chargés par la présence de ceux qui les parcourent. Il est né en 1971 à Périgueux et est diplômé de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux (1996). Il vit et travaille à Bordeaux. Nombreuses expériences collectives jalonnent son parcours artistique depuis 1997 (Vous Êtes Ici, À Suivre… lieu d’art, résidence au Japon, PointBarre…).

Son travail artistique questionne nos espaces quotidiens en rapport constant avec nos déplacements, à travers l’installation, la vidéo ou la photographie. Avec l’énergie d’un langage plastique dense et concis, il travaille à partir des espaces qu’il explore pour y mettre en œuvre un geste minimaliste, susceptible de porter une forte charge sensorielle et de réactiver le « génie des lieux ».

INFOS

Site de l’artiste

Journées du Patrimoine Cité Frugès

L’Été métropolitain 2014

Artothèque de Pessac Les arts au mur

Maison Municipale Frugès

Tous les sites de l’itinérance sont accessibles par la liane 4 ou le Tram B, en vélo, en VCub, en voiture… Accès handicapé.


#Été métropolitain

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