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Gaëtan Huard ne prend pas de gants dans ses ongleries

Si Gaëtan Huard était souvent irréprochable dans les buts des Girondins de Bordeaux, il l’est beaucoup moins en tant que patron d’instituts de beauté. Alors qu’il poursuit aux prud’hommes d’anciennes salariées accusées de concurrence déloyale, il est critiqué pour son management par la terreur et pour abus de formations rémunérées par Pôle emploi.

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Gaëtan Huard ne prend pas de gants dans ses ongleries

Gaëtan Huard gère des instituts d’onglerie depuis 2007 (photo DR)

La reconversion des sportifs de haut niveau n’est pas toujours un modèle à suivre. Beaucoup connaissent la deuxième carrière de Gaëtan Huard comme consultant sur Canal Plus, puis BeIn Sport, où il s’est récemment illustré. Mais on sait moins que l’ancien gardien des Girondins investit aussi  dans des corners beauté à Bordeaux. Et on ignorait totalement que si le footballeur avait la main ferme – lors de la saison 1992-1993, ses cages sont restées inviolées durant 1176 minutes en championnat de France, un record qui tient toujours –, c’est aujourd’hui un patron à poigne.

C’est sa rencontre en 2000 avec Annia Wojciechowski qui a conduit Gaëtan Huard à faire du business dans les salons de beauté.

« J’ai monté mon institut en 2004, ça tournait bien, se rappelle l’ancien mannequin, actuellement en pleine procédure de divorce avec l’ex international. Gaëtan m’a incité à monter une franchise et j’ai eu l’idée de créer les kiosques pour la manucure dans les centres commerciaux. »

Sans laisser d’Empreinte

En 2006, le couple s’associe. Il gère les kiosques installés dans les centres commerciaux Mériadeck et Bordeaux-Lac – un concept novateur pour lequel  les entrepreneurs ont été primés –, un institut près du Grand Théâtre et un centre de formation via sa société KF Développement et elle un institut au Haillan, ainsi que la marque Empreinte avec la Sarl Empreinte. A terme, Gaëtan Huard prend la main sur toute l’activité en tant que locataire-gérant.

Depuis 2010, date de la séparation du couple, Annia est évincée de la société et Gaëtan Huard se retrouve seul aux commandes d’Empreinte. Malaise des salariés, heures non rémunérées, important turn-over, tensions entre patron et employées… Sa petite entreprise est loin d’être d’exemplaire.

Dans les mois à venir, il va d’ailleurs retrouver deux de ses anciennes salariées aux Prud’hommes. Il les a assignées en justice pour violation de la clause de non-concurrence inscrite à leur contrat de travail, valable dans toute la communauté urbaine de Bordeaux durant un an. Selon une source proche du dossier, le patron des instituts aurait constaté une baisse de son chiffre d’affaires de 58% à l’issue de leur départ et de la création de leur autoentreprise.

L’une des ex employées de Gaëtan Huard, Laura*, ne recense parmi ses 80 clientes actuelles que huit anciennes d’Empreinte.

« Elles m’ont toutes fait des attestations expliquant que je ne les ai pas démarchées », assure-t-elle.

La non-concurrence exigée, mais pas indemnisée

Interrogé par Rue89 Bordeaux, Gaëtan Huard a réagi via un communiqué transmis par son avocat :

« La société KF DEVELOPPEMENT, qui exploite des instituts d’ongles sous l’enseigne EMPREINTE, a subi deux démissions consécutives en août et septembre 2013 de la part de deux salariées qui se sont immédiatement installées à leur compte dans un périmètre interdit, en violation des clauses de non-concurrence inscrites dans leurs contrats de travail. La société KF DEVELOPPEMENT a donc saisi la justice pour demander la cessation de ces activités concurrentes et l’indemnisation du préjudice subi par le détournement de sa clientèle. »

Seul détail omis par l’employeur, le contrat précise également que si la société maintient cette clause lors de la rupture, elle s’engage à verser à la salariée un dédommagement de 30% du salaire mensuel perçu, durant un an.

Une clause que Gaëtan Huard n’a pas dénoncée et dont il réclame l’exécution, bien qu’il n’ait versé aucun dédommagement à ses employées. Sur ce point, il semble s’adoucir – ou douter –  car Anaïs, tout juste démissionnaire, craignait d’en faire les frais, comme le lui avait promis son patron lors de l’annonce de sa démission. Elle vient de voir cette clause annulée au moment de la rupture du contrat. Un soulagement pour la jeune femme qui s’inquiétait pour son avenir.

La CFDT rappelle que « la clause de non concurrence doit impérativement prévoir une contrepartie financière à l’obligation. (…) C’est un salaire de remplacement destiné à indemniser le salarié de la limitation imposée dans les recherches d’emplois ».

Gaëtan, « c’est un sanguin »

C’est donc sûres de leurs droits que Cécile et Laura se sont engagées sur la voie judiciaire. Elles sont tout de même sur leurs gardes. « C’est un sanguin, le jour de l’audience en référé (le 3 avril 2014, NDLR), il nous a attendues devant le tribunal, il nous a dit que nous étions des voleuses et qu’il ne lâcherait rien », ajoute l’ex-salariée. L’acharnement de cet ex-mari « procédurier » ne surprend pas Annia Wojciechowski. Elle se bat contre lui depuis plusieurs années pour récupérer les 72 000 € de loyers non perçus dans le cadre de la location-gérance et faire valoir ses droits sur sa société.

photo OD/Rue89 Bordeaux
L’institut Empreinte près du Grand Théâtre (photo OD/Rue89 Bordeaux)

L’ambiance au sein d’Empreinte est tendue et la communication difficile. Une salariée a encore en tête l’agressivité de son patron en 2013 quand elle l’interpelle sur son lieu de travail pour un retard de paiement de salaires.

« Me voyant pleurer, une cliente est intervenue en lui disant qu’elle venait faire ses ongles dans son kiosque depuis 5 ans, qu’elle avait vu défiler beaucoup d’employées et qu’au bout d’un moment c’était peut-être à la direction de se remettre en question. Il l’a remise à sa place de manière agressive. Quelques jours plus tard, notre responsable nous a dit qu’il fallait qu’on apprenne à la  “fermer”. »

Au fait des risques encourus, Cécile et Laura insistent sur le fait qu’elles se seraient bien gardées de parler de leurs projets aux clientes d’Empreinte. Elles étaient déjà fébriles à l’idée de lui donner leur démission : « On avait toutes la boule au ventre quand il fallait lui parler », témoigne une ancienne salariée.

Dans cette ambiance, Anaïs, une nouvelle recrue, a du mal à évoluer.

« J’étais stressée, je faisais des crises d’angoisse, je suis allée deux fois à l’hôpital… J’ai décidé de partir. »

La jeune femme ne pensait pas que sa démission mettrait son patron dans une telle colère.

« Après avoir reçu ma lettre, il est venu à l’institut. Il a hurlé et cogné dans le mur en me disant que j’étais irrespectueuse, que je manquais d’éducation et qu’il me traînerait dans la boue comme les autres si je faisais un pas de travers. »

Choquée, elle se retrouve en arrêt maladie jusqu’à son départ.

Pôle Emploi paye rubis sur l’ongle

A l’image de sa gestion du personnel, le patron d’Empreinte a également une conception particulière de la formation professionnelle. Depuis 2012, plusieurs personnes ont débuté chez Empreinte en tant que stagiaire de la formation professionnelle – deux en 2014 et quatre en 2013 – grâce à l’allocation de formation préalable au recrutement (AFPR) délivrée par Pôle Emploi, tout en travaillant comme des salariées.

Joint par Rue89 Bordeaux, Pôle Emploi n’émet aucune réserve sur cette société, mais l’organisme reconnaît avoir « refusé des AFPR car certains candidats semblaient employables immédiatement ». En cette période économique difficile, Empreinte pouvait alors passer pour une entreprise bienfaitrice impliquée dans la formation et l’embauche des demandeurs d’emploi. Elle était indemnisée à ce titre à hauteur de 3200 € par salariée « formée » durant trois mois.

« La formation doit être la plus courte possible et correspondre à un besoin précis, la durée ne peut pas être la même pour tout le monde », précise un syndicaliste de chez Pôle Emploi.

Pourtant, qu’elles soient tout juste titulaires du diplôme ou expérimentées, la plupart ont signé pour une formation de 400 heures (durée maximale imposée par Pôle Emploi) prévue sur le centre de formation du Haillan. Cet organisme qui vante sur sa plaquette des sessions de quinze jours pour les débutantes, alors que des prothésistes déjà expérimentées étaient prévues pour trois mois… Cette information étonne Annia Wojciechowski, elle-même responsable d’un institut de beauté aujourd’hui : « Pour des professionnelles, il faut une semaine pour s’approprier le protocole d’Empreinte ! »

Lucie en a fait partie. Cette prothésiste ongulaire titulaire d’un certificat de compétence ne s’est pas méfiée quand elle a réalisé, à l’issue de son entretien, qu’elle ne serait pas salariée :

« Monsieur Huard m’a expliqué que j’allais être en contrat de formation avec Pôle Emploi durant trois mois, après si je convenais je signerais un CDD de six mois et après, s’il était satisfait, on envisagerait un CDI. »

Elle ne rencontre toutefois pas de conseiller de Pôle Emploi, comme le prévoit normalement cette procédure.

Après quelques jours passés au centre de formation, Lucie est envoyée dans un des kiosques en tant que remplaçante et ce, sans tuteur. Durant ces trois mois, elle ne remet plus les pieds au centre de formation du Haillan, mais se charge des ouvertures et fermetures, encaissements, soins des clientes 35 heures par semaine pour… 665 € par mois, payés par Pôle Emploi.

Éthique et esthétique

Laura a aussi emprunté ce circuit malgré ses six années d’expérience professionnelle.

« J’ai vu l’annonce sur le site de Pôle Emploi, mais je me suis rendue directement à l’institut. Ils m’ont demandé si j’étais indemnisée par Pôle Emploi, j’ai trouvé ça bizarre », témoigne-t-elle.

Après quatre matinées au centre du Haillan, elle démarre elle aussi dans les kiosques.

« Tout en travaillant, je piochais dans mes indemnités chômage, je n’ai pas eu de congés payés… », s’insurge-t-elle.

Esthéticienne de formation, Anaïs est restée un mois au Haillan. Elle allait tout de même faire des épilations à l’institut de Bordeaux Opéra deux jours par semaine, alors qu’elle était formée sur la manucure.

« Si la personne est autonome, ce n’est plus de la formation, s’insurge une source syndicale à Pôle Emploi, cette allocation ne doit pas servir de méthode de recrutement et ne doit pas concerner des personnes déjà formées ! »

Pourtant, au moins huit personnes ont été recrutées chez Empreinte de cette manière depuis 2011 pour une société qui compte dix postes de travail.

« Les AFPR signées sans ce cas concernent des personnes n’ayant pas de qualification en prothèse ongulaire. L’AFPR était donc nécessaire pour avoir les compétences nécessaires à la prise de poste », argumente Pôle Emploi.

Bien que considérées comme « non qualifiées » par Pôle Emploi, ces jeunes femmes ont pourtant pris leur poste rapidement. Un tremplin express vers le monde du travail et de la beauté.

Sur son site, Empreinte vante l’opportunité de rejoindre son réseau de franchises à partir de… 2010. Le modèle économique semble peiner à faire des envieux.

* Tous les prénoms ont été modifiés.


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