Média local avec zéro milliardaire dedans

A Bordeaux, 5 millions de touristes, combien d’emplois ?

Alors que la ville sera peut-être élue mercredi « meilleure destination touristique européenne » pour 2015, les études manquent pour évaluer précisément les retombées de la manne touristique en terme d’emplois. Le secteur représenterait selon les estimations entre 13 500 et 32 210 salariés.

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A Bordeaux, 5 millions de touristes, combien d’emplois ?

Visiteurs devant le monument des Girondins (SM/Rue89 Bordeaux)     Visiteurs devant le monument des Girondins (SM/Rue89 Bordeaux)
Visiteurs devant le monument des Girondins (SM/Rue89 Bordeaux)

Dans la nuit de mardi à mercredi on saura si Bordeaux, sélectionnée aux côtés de 19 autres métropoles pour postuler au prestigieux label touristique « European best destination 2015 », décroche le fameux logo orné d’une couronne de lauriers, source de retombées médiatiques et touristiques importantes. Mardi à minuit, le vote du public via Internet sera clos.

Quant à ces retombées, il faudra attendre plusieurs mois pour en mesurer l’impact sur l’emploi.

« Couronnée en 2014, Porto a connu un bond de 16% de sa fréquentation avec des retombées médiatiques équivalentes à une campagne publicitaire de 10 millions d’euros », affirme Maximilien Lejeune, directeur d’European best destination (qui organise le concours depuis Bruxelles).

Difficile de mesurer l’impact d’un touriste

De façon générale, les données sur l’emploi lié au tourisme dans « l’unité urbaine de Bordeaux » manquent. C’est un peu surprenant quand on sait que Bordeaux est depuis plusieurs années citée comme destination touristique majeure, avec notamment un doublement du nombre de nuitées en 10 ans (2 millions en 2013), et entre 5 et 6 millions de touristes dans la métropole.

« Mais on n’a aucun chiffre sur Bordeaux en matière d’emplois, reconnaît Stephan Delaux, adjoint en charge du tourisme à la mairie de Bordeaux. Je n’arrête pas de relancer pour en avoir. »

Pour résumer, on sait que le tourisme a eu depuis la rénovation de la ville et son classement au patrimoine mondial de l’Unesco un impact considérable sur l’activité économique de l’agglomération, et au-delà du département, mais on n’a pas encore chiffré précisément cet impact en terme d’emplois.

« L’emploi touristique n’existe pas forcément en tant que tel, nuance une source contactée à l’INSEE. Il est notamment difficile de mesurer l’activité induite. Par exemple, une boulangerie a une activité partielle liée au tourisme : comment l’évaluer ? »

Les recettes alléchantes du tourisme

L’étude la plus globale sur le sujet a été fournie en décembre 2014 par l’INSEE. Selon cette enquête menée sur les années 2009-2011, il y avait en 2011 en Aquitaine 53 800 emplois liés au tourisme, soit 42 000 en équivalent temps plein (ETP). Un nombre en forte augmentation depuis 2009, avec aussi de fortes variations saisonnières. La majorité de ces emplois concernent les secteurs de l’hébergement et de la restauration.

La consommation touristique, évaluée à 7,4 milliards d’euros en 2011 – plaçant l’Aquitaine au 3e rang des régions pour les recettes tirées du tourisme – « a un effet notable sur l’économie de la région et l’emploi » notait l’INSEE.

Avec 53 800 emplois liés au tourisme, l’Aquitaine est selon l’institut la 5e région française. L’emploi touristique y représente 4,5% de l’emploi total. À titre de comparaison, l’aérospatial « pèse » 14 000 salariés de moins, et la filière bois, 16 000 de moins.

Le bateau école Cuauhtemoc, de l’armada de Mexico, à quai à Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)

A Bordeaux, 13 500 emplois selon l’INSEE…

L’INSEE consacre un paragraphe à « l’unité urbaine de Bordeaux », qui se distingue des autres zones touristiques « par une forte concentration des emplois dans la restauration, les cafés, le patrimoine et la culture. Avec 36 % des contrats touristiques à temps partiel, c’est la zone comptant la plus faible part de temps complet. Mais elle est aussi celle où les salaires sont les plus élevés (11,3 euros net de l’heure en moyenne) ».

En 2011 selon l’institut, 13 500 emplois (10 200 ETP) sont liés au tourisme dans l’unité urbaine de Bordeaux, soit +8,8% par rapport à 2009 pour une richesse dégagée touristique de 464 millions d’euros.

« La zone concentre ainsi 25 % des emplois touristiques aquitains et 27 % de l’emploi régional. L’emploi touristique augmente fortement entre 2009 et 2011. Jouissant d’un tourisme urbain, à la fois culturel et d’affaires, l’emploi touristique y est moins affecté par la saisonnalité. Entre janvier et août, le nombre d’emplois liés au tourisme est multiplié par 1,5 contre 2,2 pour l’ensemble de la région. »

… et 32 210 selon la CCI

Au-delà, c’est la Gironde (22 300, soit 17 300 en ETP, +6,8% par rapport à 2009) – avec les Pyrénées Atlantiques – qui porte la croissance de l’emploi touristique aquitain.

Pour en savoir plus, il faut aller à la pêche tant les informations sont dispersées, ou noyées dans d’autres données. En attendant une étude plus précise sur l’emploi qu’elle est en train de concocter et qui devrait être publiée d’ici le printemps, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux estime à 32 210 le nombre d’emplois liés au secteur touristique sur Bordeaux Métropole en 2013. Soit plus de deux fois les estimations de l’INSEE en 2011…

« Nos chiffres ne tiennent pas compte des variations saisonnières, justifie Thierry Charpentier, directeur adjoint de la CCI, chargé du tourisme. On observe une forte hausse de l’emploi liée au développement de la restauration et de l’hôtellerie. Il y a à Bordeaux un dynamisme naturel sur la restauration traditionnelle mais aussi un boom de la restauration rapide (food truck…). L’hébergement au sens large est en très fort développement. »

Hébergement haut de gamme : le boom

Que ce soit dans le haut de gamme, les formes alternatives (tel le concept Yindo, 12 chambres 5 étoiles ouvert rue Abbée de l’Epée il y a cinq mois), les chambres d’hôtes (comme la Maison Fredon, aménagée par Jean-Pierre Xiradakis, de la Tupina) ou les appartements loués par des particuliers (sur des sites comme Aibnb), le secteur est en effet en fort développement. De belles initiatives ont magnifié certains immeubles tout en étant créateurs d’emplois.

« Nous avons créé 190 emplois depuis l’ouverture en 2007 », souligne Claire Casimir, responsable communication du Grand Hôtel de Bordeaux.

Le prestigieux établissement, qui avoue s’adapter aux nouveaux modes de consommation (« on est de plus en plus sur du last minute », la veille pour le lendemain), confirme la nouvelle tendance à l’œuvre à Bordeaux.

« On voit arriver de nouveaux groupes hôteliers ou concepts à Bordeaux, comme la Grande Maison de Bernard Magrez. Il y a de plus en plus de grands hôtels. Bordeaux a une image très positive. C’est une ville où il fait bon vivre. »

Ce que confirme Cécile Despons, directrice adjointe du Gabriel :

« Depuis le classement de Bordeaux au patrimoine mondial le nombre de touristes en ville a augmenté de 20%. Bordeaux est aujourd’hui une destination touristique et commerciale qui plait, et que les élus ont su rendre présente au niveau national et international. On le voit avec la clientèle qui nous appelle, les agences qui nous contactent. »

Têtes de gondoles

Depuis son inauguration en août 2008, le Gabriel emploie 36 salariés en CDI et s’apprête à renforcer ses équipes.

« Selon Atout France, les deux plus grandes concentrations d’investissements touristiques en Aquitaine sont localisés à Bayonne/Anglet et Bordeaux, et ce depuis de nombreuses années », commente Thierry Charpentier, de la CCI.

Avec en tête de gondole des équipements destinés à assurer le rayonnement de Bordeaux à l’étranger. Ce sera la mission la Cité des Civilisations du Vin (CCV), dont les concepteurs attendent beaucoup de retombées positives : 600 emplois ETP sur le chantier, puis 750 pour l’exploitation, notamment l’animation, les visites, la gestion de la cave, du restaurant et de la plateforme œnotouristique qui enverra les visiteurs (450 000 espérés par an) vers les partenaires (châteaux…).

Dont une large part venue de l’étranger via l’aéroport de Bordeaux, qui voit son trafic international exploser. « En 2014 le trafic global atteint 4,95 millions de passagers (3,3 millions fin 2009) dont 2 150 300 pour le trafic international, une croissance exceptionnelle de +113% en 5 ans » souligne Sophie Vergnères, chargée des relations presse à l’aéroport de Bordeaux.

Paquebot à quai à Bordeaux (SM/Rue89 Bordeaux)

Les croisières s’amusent

Ce trafic est fortement porté par les compagnies low-cost : « L’aéroport c’est 11 marchés lointains, 17 nouvelles liaisons en 2014, dont 15 internationales » précise Thierry Charpentier. Turkish Airlines ou Air Transat (vers le Canada) figurent parmi les compagnies au décollage de Mérignac. Avec des retombées en terme d’emplois certaines, mais l’aéroport ne dispose que de données parcellaires. Ainsi on sait que Volotea a créé en installant sa base à Bordeaux une cinquantaine d’emplois.

Du côté des services, agences de voyages, transports, l’activité explose aussi.

« Mais les données sont noyées dans le code 9 de la nomenclature nationale, qui inclut aussi les musées, casinos… » regrette Thierry Charpentier.

L’activité des croisiéristes a aussi été génératrice de fortes retombées sur l’économie locale et l’emploi. Mais là encore, difficile d’évaluer l’impact sur par exemple le commerce en ville.

« Pour les croisières, il y a aujourd’hui trois opérateurs, commente Stephan Delaux : CroisiEurope (avec deux navires), Uniworld (1) et Viking (1). Deux nouveaux sont attendus en 2015 : Grand Circle (1) et Scenic (1). Pour les grands paquebots, la saison s’étale sur 45 semaines. Ils amènent 30-35 000 touristes par an avec 10-12 000 hommes d’équipage. Pour le tourisme fluvial, c’est 35 000 passagers pour 200 croisières. Le seul chiffre que nous ayons en terme d’emplois concerne ce dernier : les opérateurs ont créé 208 postes d’équipage sur les bateaux. »

 

« De plus en plus, le facteur shopping joue pour la clientèle touristique, note Thierry Charpentier : les plus grandes enseignes nationales sont à Bordeaux, telles les Galeries Lafayette ou Cartier. Ils voient très nettement progresser cette clientèle étrangère. »

On voit aujourd’hui que les Espagnols sont très présents en ville, comme les Américains (en saison) et les Asiatiques.

Des mesures au doigt mouillé

Mais l’impact du tourisme sur le commerce en terme d’emplois est très difficile à mesurer.

« Il n’existe pas aujourd’hui de données sur le nombre de création d’emplois dans le commerce lié au tourisme, poursuit Stephan Delaux, qui attend néanmoins les résultats d’une étude d’impact concernant Bordeaux fête le vin. Actuellement tourisme et commerce ne sont pas séparables. Même chose pour les hôtels, pas de données globales sur le tourisme direct et induit sur Bordeaux. »

Et puis, « dans le commerce il y a 70 créations et suppressions d’enseignes par mois », précise Thierry Charpentier.

Pour Stephan Delaux, on ne peut procéder pour l’instant que par déduction :

« L’activité touristique a été multipliée par 2 sur la ville, on peut imaginer que le nombre d’emplois a lui aussi été multiplié par deux. On a enregistré 1,1 million de nuitées taxées à Bordeaux en 2011, 2 millions en 2013. Si on extrapole sur l’agglomération, on peut estimer ce nombre à 3-3,2 millions. On peut alors estimer que le nombre de touristes dans Bordeaux est de 5-6 millions. »

Pour l’œnotourisme là encore, les données globales manquent.

« On recense 12 000 chambres d’hôtes en Gironde – chiffre en forte progression – mais seulement 100 à 150 à Bordeaux, note Stephan Delaux. Sans compter les appartements loués par les particuliers », qui eux ne sont même pas comptabilisés.

Dernier élément échappant aux données statistiques : si le tourisme marchand représente 40% de l’activité touristique, le non-marchand (un particulier qui reçoit chez lui sa famille, ou qui échange son logement) 60%. Un véritable iceberg qui rend d’autant plus complexe la mesure des effets économiques.


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