Quelques portes, planches de bois et de plexiglas pour faire les murs. Une bâche en plastique en guise de toit. Au sol, tout et n’importe quoi pour éviter la boue. Rive droite, sous le pont Saint-Jean, quai de la Souys, on peut voir une vingtaine de logements vétustes autant que précaires. « Regardez, c’est ça la France ! » lâche Farid (les prénoms ont été modifiés).
Ce quadragénaire à la barbe blanchissante vit ici depuis trois mois. Il n’est pas le seul. Ils seraient au moins trois cents – que des hommes – à se serrer ainsi sous la voie de chemin de fer, coincés entre la circulation automobile et la Garonne. La pluie fine, ce jeudi, perce tous les vêtements. Les capuches, bonnets et parapluies n’y changent rien.
« Ici on n’a pas droit à la santé. »
Farid, qui est électricien, veut témoigner. Il n’en finit pas de s’insurger. Ses conditions de vie n’ont fait qu’empirer avec l’arrivée de l’hiver. Les grandes marées du week-end dernier ont ajouté à cela le stress de voir le camp inondé. La maigre rigole creusée dans le sol ne permet déjà pas d’évacuer les eaux de pluie. Bien au contraire, elle a entrainé la formation d’une flaque de plusieurs mètres carrés à l’entrée du campement. Il faut la franchir en marchant tant bien que mal sur de grandes planches. Le sol sous les habitations est gorgé d’eau. Les conditions sanitaires sont exécrables. « Certains tombent malades parmi nous ! »
Son jeune voisin, âgé d’une vingtaine d’années, ne dit pas mieux :
« Ici, on n’a pas de droit à la santé. Aussi, on entend les trains au-dessus de nos têtes. Il est impossible de dormir. »
Tout le monde veut prendre la parole : « il n’y pas d’eau ici, on ne peut pas se laver », « nos vêtements, ils ne sont même pas à nous ! Ce sont des associations qui nous les donnent. » Pour les commodités, les hommes s’éloignent de quelques mètres du camp. Pour les déchets, il n’y a pas de poubelle et tout finit par terre.
« Ce n’est pas un squat, c’est un bidonville », explique Jean-Claude Guicheney de la Ligue des Droits de l’Homme en Gironde. L’association qu’il préside comme celles de la Cimade (comité inter mouvements auprès des évacués) et d’Asti (association de solidarité avec les travailleurs immigrés) ont été prévenues ce mercredi soir. Toutes trois décrètent l’urgence humanitaire pour ces demandeurs d’asiles politiques. Le Centre d’accueil des demandeurs d’asiles (CADA) est plein. Les solutions pérennes ne sont pas trouvées.
Pour Jean-Claude Guicheney, cette situation rappelle celle des hommes qui ont trouvé refuge à Libourne où ils travaillent dans les vignes « sans être aidés par les châteaux » et ceux qui dormaient l’année passée dans des wagons abandonnés près de la gare de Bordeaux.
Le jeune homme reprend :
« C’est un conflit politique qui nous conduit ici. Notre espoir se trouvait en France, mais malheureusement en arrivant ici on a eu une grande surprise. On n’a pas trouvé de meilleures conditions de vie. »
Lui, comme une majorité de ses voisins de fortune, viennent de Dakhla, ville côtière de 60 000 habitants dans le Sahara occidental. Entre les volontés indépendantistes (voir encadré), les répressions de l’Etat marocain et le niveau de vie très bas, ils sont des milliers à quitter cette région.
Des abris baignent dans l’eau
L’un d’entre eux nous explique son cheminement. Il a traversé le Maroc, l’Algérie puis l’Espagne. Arrivé en France à Hendaye, il a pris la direction de Bordeaux où il est depuis plus d’un an et demi. Certifiant être aidé par un avocat, il demande l’asile politique comme ses compatriotes. « Je veux juste un passeport et travailler. » Mais en attendant, il veut aussi sortir de son bidonville.
Lui ne dort pas sous les rails du train, mais sous la bretelle d’accès au pont Saint-Jean. Près d’une dizaine de tentes compose ce deuxième camp. Ici aussi les conditions de vie sont déplorables. Leurs abris baignent dans l’eau.
Ali s’attriste de « cette France en 2015 qui propose une situation sociale déplorable ». Jean-Claude Guicheney accuse des autorités qui, « ne soyons pas dupes, sont au courant ». D’ailleurs, la semaine dernière, à la veille des grandes marées, la police est venue. Non pour expulser mais pour prévenir. « Ils nous ont dit qu’il y avait un risque d’être en danger de mort ici ! » explique un Sahraoui.
Jean-Claude Guicheney soupire : « Si les autorités ne font rien, c’est sûr les conséquences de la marée du siècle – le 21 mars prochain – seront terribles. » Eclaircie à l’horizon : près d’une cinquantaine de Sahraouis a pu être hébergée par la préfecture dans un hôtel. Seulement, selon les associations, préfecture et mairie se renvoient la balle pour savoir qui doit gérer leur dossier. Un gymnase pourrait être ouvert. Des négociations se tenaient en ce sens ce jeudi après-midi mais, selon un représentant d’Asti, aucune solution n’a été trouvée.
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