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Pesticides : le combat de Marie-Lys Bibeyran bientôt reconnu ?

La mort du frère de Marie-Lys Bibeyran en 2009 pourrait être reconnue comme la suite d’une maladie professionnelle due aux pesticides qu’il devait pulvériser. La cour d’appel de Bordeaux rendra son délibéré le 16 avril, et fera jurisprudence.

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Pesticides : le combat de Marie-Lys Bibeyran bientôt reconnu ?

Marie-Lys Bibeyran entourée de ses soutiens (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Marie-Lys Bibeyran entourée de ses soutiens (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

« Nous avons marqué des points » affirme fièrement Marie-Lys Bibeyran à la sortie de l’audience ce jeudi matin. Elle a désormais bon espoir que la justice reconnaisse la maladie professionnelle de son défunt frère, après avoir été déboutée en première instance : le 7 janvier 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bordeaux donnait raison à la caisse girondine de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), selon laquelle la maladie de Denis Bibeyran n’était pas due à son activité de vigneron.

Ce jeudi à Bordeaux, dans une salle trop petite pour contenir les soutiens à la famille Bibeyran et les journalistes, maître François Lafforgue a donné de nouveaux arguments à la cour d’appel :

« Le tribunal nous reprochait de ne pas apporter d’arguments suffisants sur l’utilisation de produits qui pourraient être à l’origine de la pathologie. Aujourd’hui, nous avons apporté beaucoup de documents scientifiques, notamment sur l’utilisation de produits à base d’arsenic et le lien entre ces produits et le type de pathologie dont a été atteint M. Bibeyran. »

Mortel Listrac-Médoc ?

Denis Bibeyran est mort en 2009 à l’âge de 47 ans. Son cancer du foie l’a emporté. « Un cancer assez rare qui d’habitude ne se déclare que vers 70 ans », assure Me Lafforgue. Selon lui, les lymphomes se sont déclarés à cause de ses années d’activités, notamment lors du traitement des vignes d’un château de Listrac-Médoc de 1984 à 2008. Il rappelle que le cancer a des causes multiples mais dans le cas de Denis Bibeyran « ni alcoolique, ni fumeur », l’avocat martèle que « l’infection est dû à l’arsenic contenu dans les produits ».

Le témoignage d’un de ses collègues enfonce le clou. L’homme qui a travaillé avec Denis Bibeyran affirmait, dès avant l’ouverture de la procédure judiciaire, l’avoir vu cracher du sang durant un mois.

Maitre François Lafforgue (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

L’avocat pointe également le fait que l’utilisation de l’arsénite de soude a été interdite dès 1973 dans l’agriculture française sauf… pour la viticulture. Il faut attendre 2001 pour que les ouvriers viticoles, comme Denis Bibeyran, ne le disséminent plus à travers les pieds de vignes, « alors qu’il est complètement interdit depuis 1961 en Grande-Bretagne, depuis 1983 aux Pays-Bas et que sa dangerosité a été signalée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé, NDLR) depuis 1987 » ajoute l’avocat, précisant que Denis Bibeyran n’avait pas la chance de travailler sur un tracteur avec une cabine « filtrée et climatisée ».

Débat technique et ironique

Le débat est technique. François Lafforgue cite les définitions des pathologies dans le dictionnaire médical.

« J’ai des articles de Wikipedia, je ne sais pas si je peux vous les verser Madame la Présidente ? », ironise l’avocate de la caisse de la MSA qui rappelle que l’organisme qu’elle défend ne fait « qu’appliquer ni plus ni moins le code de la sécurité sociale. »

La mutuelle est selon elle « liée aux avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles » ; or ceux de Toulouse et de Bordeaux ont choisi de ne pas déclarer comme maladie professionnelle celle de Denis Bibeyran.

Mais ses arguments n’ont fait que conforter les espoirs de Marie-Lys Bibeyran :

« La MSA n’est pas venue contester nos arguments car elle sait qu’ils sont incontestables. Je pense que nous avons marqué des points. »

Paul François, président de l’association Phyto-victimes, est du même avis.

« Maître Lafforgue a très bien argumenté le pourquoi de cette demande. L’avocate de la MSA n’a fait qu’apporter des réponses sur la forme et non sur le fond. La MSA ne peut pas classer systématiquement quelqu’un qui en fait la demande en maladie professionnelle. Dans le tableau des maladies professionnelles pour le moment, il n’y a que la maladie de Parkinson – et bientôt, nous espérons, les lymphomes. Mais si vous n’êtes pas dedans, il faut vous retourner vers les comités qui donnent un avis dont tient compte la MSA. Sauf qu’ils ne sont pas forcément compétents. Le plaignant ne peut pas apporter ses arguments et dans ce comité, certains ne sont ni cancérologues ni toxicologues, mais peuvent être pédiatres. »

Agriculteur charentais, Paul François connaît bien le tribunal de Bordeaux où il a gagné son combat pour faire reconnaître les conséquences de sa maladie professionnelle : une intoxication aiguë aux pesticides en 2004.

Paul François, président de l’association Phyto-victimes (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

En février 2013, l’entreprise Monsanto a aussi été reconnue responsable de cette intoxication qui a provoqué chez lui une amnésie de 11 jours. La firme internationale a fait appel. Depuis le quinquagénaire a quitté l’agriculture intensive et a fondé l’association Phyto-Victimes.

Il est venu soutenir Marie-Lys Bibeyran qui porte son combat depuis bientôt quatre ans. Valérie Murat, soutien indéfectible, est aussi à ses côtés. La Girondine a perdu son père en 2012, mort d’un cancer des poumons après avoir passé 40 ans dans les vignes et les pesticides.

Silence dans les vignes

Pour François Lafforgue, « on n’en serait pas là si les MSA instruisaient les dossiers sur la base de tous les éléments portés à leur connaissance et si ces comités régionaux constitués de médecins nous recevaient. »

Mais il se refuse à parler d’omerta, qu’il faut plutôt chercher dans les rangs des vignes. Marie-Lys Bibeyran n’est certes pas assurée d’obtenir la reconnaissance par la cour d’appel – le délibéré ne sera rendu que le 16 avril – mais déjà elle repart « libérer la parole des salariés viticoles. Aujourd’hui un salarié agricole ne peut toujours pas aborder le problème de son exposition aux pesticides sans mettre en péril son avenir professionnel. »

Marie-Lys Bibeyran devant le Tribunal de Bordeaux (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Elle n’oublie pas de rappeler qu’elle-même est salariée agricole sur la commune de Listrac :

« Donc cette exposition [aux pesticides] je la vis moi-même. Leurs conditions de travail sont les miennes. C’est effectivement une audience très importante pour l’ensemble des salariés agricoles pour qu’ils sachent que, si un jour ils sont confrontées à ces pathologies, c’est possible de faire cette démarche. On peut être entendu. On peut être écouté, et pourquoi pas, reconnu. »

Sa détermination est intacte. Hasard des calendriers, son QG, la boulangerie de Listrac-Médoc, ferme le même jour que cette audience. Sur sa page Facebook, elle rend un vibrant hommage à ce « lieu de résistance, [ce] haut lieu d’échange » qui disparaît. Si son fief baisse le rideau, Marie-Lys ne baisse pas les bras. Si la cour d’appel va dans son sens, ce serait la première fois qu’une maladie professionnelle serait reconnue post-mortem.

 


#cour d'appel de Bordeaux

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