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Economie circulaire : l’Aquitaine dans la boucle ?

Réduire, recycler, réutiliser, de l’écoconception d’un produit à sa fin de vie : l’économie circulaire est l’objet d’un plan d’action du conseil régional. L’Aquitaine a des atouts, mais il reste beaucoup à faire, pointe un rapport du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser).

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Economie circulaire : l’Aquitaine dans la boucle ?

Chaîne de tri des papiers à l'usine Astria de Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)
Chaîne de tri des papiers à l’usine Astria de Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

L’économie circulaire, c’est quoi donc ? Derrière ce concept fourre-tout, qui succède au développement durable dans la novlangue « greenwashing », se cachent quelques réussites authentiques. Prenons le cas de Ouateco, dans les Landes : cette entreprise de Saint-Geours-de-Maremne (Landes) fabrique des matériaux en ouate de cellulose, utilisés pour isoler des maisons et des bâtiments comme le lycée Kyoto à Bègles, premier lycée à énergie positive de France.

Ces isolants sont conçus entièrement à partir de papiers recyclés, collectés dans un rayon de 250 kilomètres, grâce à quelques partenaires, comme le Village Emmaüs de Lescar, ou la Banque de France. Pour peu que ces journaux, prospectus ou ramettes proviennent de papeteries alimentées en pins des Landes, on tient là un exemple assez abouti de boucle économique.

L’enjeu est double : d’un côté, préserver l’environnement, en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre et notre production de déchets – d’où la mobilisation récente à Bordeaux sur ce sujet de l’association Surfrider Foundation, qui lutte contre la pollution des océans par les détritus de plastique ; de l’autre, prévenir la raréfaction des énergies fossiles – selon British Petroleum, les réserves mondiales seraient de 53 ans pour le pétrole, notamment -, et des minerais.

« Si le rythme constaté aujourd’hui de la croissance mondiale perdure, la plupart des ressources minérales stratégiques seront épuisées en 45 ans, souligne notamment le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) dans un rapport récent sur l’économie circulaire. Leur durée moyenne de vie elle ne pourrait dépasser significativement le siècle que si le taux de croissance mondial restait inférieur à +1 % par an ».

Fragilités

La plupart des grands métaux industriels (nickel, cuivre, plomb…) ont par exemple des réserves estimées entre 30 et 60 ans. Devant le spectre de leur raréfaction, et surtout la flambée des cours, les pouvoirs publics s’agitent : le projet de loi de transition énergétique, actuellement en débat au parlement, va pour la première fois introduire l’objectif de transition vers une économie circulaire.

La région Aquitaine se veut un fer de lance en la matière : elle « souffre encore de
fragilités, voire de retards, qui nécessitent de s’engager pleinement et rapidement sur la voie de l’économie circulaire », relève un rapport de la Section « Veille et Prospective » du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser).

« En effet, la région produit plus de déchets que la moyenne nationale et connaît une surconsommation énergétique par habitant (31,3 megawatt/habitant consommés en Aquitaine contre 30,3 au niveau national, deux conséquences de son attractivité touristique, NDLR). L’Aquitaine est la 1ere région française en termes d’augmentation de la température, avec 1,1° C gagné en un siècle. L’INSEE prévoyait dans une étude de 2009 que l’Aquitaine ferait partie des 5 régions connaissant le rythme de croissance de la population le plus élevé entre 2007 et 2040, attractivité impliquant une augmentation des besoins en énergie, eau et matière ».

Sept piliers

Aussi, la région a adhéré à la fondation de la navigatrice Mac Arthur, pionnière sur l’économie circulaire, et vient surtout de valider une feuille de route avec 20 propositions pour encourager son développement. Parmi ces mesures, la création d’un observatoire régional des déchets, celle d’une plate-forme de connaissance des flux ou le développement d’aide aux produits éco-conçus.

« L’Aquitaine dispose d’un terrain favorable à l’impulsion d’une politique en faveur de l’économie circulaire, estime le Ceser.

Récupération du papier à l’usine de tri et d’incinération Astria, à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Son rapport sur « l’état des lieux et les perspectives de développement de l’économie circulaire en Aquitaine », présenté par Jean-Michel Gautheron, énumère les atouts de la région : première de France par ses dépenses en recherche et innovation rapportées à l’ensemble de son budget – près de 150000 euros de subvention versés à la R&D de Ouateco, par exemple -, des « filières d’excellence mondialement reconnues » (aéronautique et spatial, agro-alimentaire, bois-forêt, laser) et structurées (5 pôles de compétitivité labellisés, une vingtaine de clusters, réunis dans le réseau Aquitaine Développement Innovation, dont le Club Aquitaine Croissance Verte et l’association Aquitaine Chimie Durable, « particulièrement mobilisés en matière d’économie circulaire »).

Résultat : l’Aquitaine est plutôt bien placée dans certains des sept « piliers » de l’économie circulaire (approvisionnement durable, éco conception, écologie industrielle, économie de la fonctionnalité
demande et comportements des utilisateurs, consommation responsable, allongement de la durée d’usage, gestion des déchets, recyclage et valorisation des déchets).

L’approvisionnement durable peut par exemple s’appuyer, dans le domaine de la chimie, sur le pin maritime « pour la production de cellulose, de lignine, de savon de tall oil ou encore d’électricité verte, grâce à l’activité de bio-raffineries telles que Tembec ».

Pas de pins perdus

Mais le Ceser apporte quelques nuances dans le paysage. L’écoconception bénéficie certes de formations dispensées aux entreprises par l’Ademe ou la CCI des Landes, et certaines sociétés ont pris la vague, comme Notox, fabricant de planches de surf 100% lin à Anglet, ou Audemat, producteurs de composants radio et télé à Mérignac.

Cependant, l’écoconception implique parfois « des investissements conséquents, qui ne sont pas
accessibles aux plus petites structures et ne sont pas toujours compensés par des gains de compétitivité. Le coût d’un produit éco-conçu est souvent supérieur à celui d’un produit équivalent sans écoconception. Les mécanismes actuels d’incitation sont peu utilisés (marchés publics, achats responsables) ».

Plusieurs start-ups locales se sont lancées dans l’économie de fonctionnalité, qui entend valoriser l’usage plutôt que la possession, comme Citiz, Drivy ou Koolicar pour les voitures. Mais, ajoute le rapport, « il est « indispensable d’engager une réflexion globale sur cette « nouvelle économie » et sur la fiscalité qui l’accompagne, de même que sur son impact sur la disparition de certains emplois (évolution et déplacement des activités) », comme une préfiguration de la polémique locale entre le port d’Arcachon et Samboat.

Côté recyclage, le Ceser dénombre 2000 emplois dans ses filières en Aquitaine (notamment le démontage de navires par Bertin), et une trentaine de recycleries/ressourceries. Toutefois, ces dernières structures relevant souvent de l’économie sociale et solidaire ont souvent recours à les emplois aidés, qui ne sont pas forcément viables sans financements publics.

Écologie industrielle, un oxymore ?

Le Conseil économique met cependant en garde quant à certaines politiques sur lesquelles mise la région Aquitaine.

C’est le cas de l’écologie industrielle, ces symbioses trouvées entre entreprises sur certains territoires, où les déchets des unes servant de source d’énergie ou de matière première aux autres. A Bassens, par exemple, l’incinération de 88 000 tonnes de déchets dangereux traités chaque année par SIAP (Sarp Industries Aquitaine Pyrénées), fournit de la chaleur à l’usine Michelin voisine. Le port de Bordeaux figure avec l’écoparc de Blanquefort dans le cadre d’un projet national sur l’écologie industrielle, Comethe, où Bordeaux Métropole est un des cinq territoires pilotes retenus.

Mais malgré des résultats positifs, notamment à Lacq, il ne faut pas en attendre de miracles, prévient le rapport du Ceser, dont un des auteurs, l’ancien président d’Oree, le chef d’entreprise Alex Receveau, est pourtant un des importateurs de l’écologie industrielle en France : sur la cinquantaine d’expériences recensées en France, « il existe peu de démarches considérées comme pérennes et certains projets sont laissés en suspens. Le rapport coût/efficacité des opérations (temps mobilisé, aides financières allouées, infrastructures nécessaires…) n’est pas toujours évident ».

Compactage des papiers avant leur départ vers des usines de recyclage (SB/Rue89 Bordeaux)

Les retours d’expériences ont en effet « révélé plusieurs freins à la multiplication de telles démarches » : réglementaires – les industriels étant « peu enclins à utiliser des matières et matériaux juridiquement qualifiés de déchets » -, organisationnels (identification des synergies, connaissance des flux, gestion des transports routiers), économiques (investissements conséquents…) ou encore psychologiques (culture de la confidentialité et de la concurrence).

Et ce sans compter les risques d »artificialisation des sols » liés à la création de nouveaux « écoparcs », que pointe le Ceser.

De l’eau dans le gaz

Le rapport alerte aussi sur certains effets pervers que pourrait entraîner le développement de la méthanisation, poussée par la région (dispositif Méthaqtion) – 8 unités en fonctionnement et 8 projets en cours, dont Méthalandes, qui sera la plus importante usine de France.

La valorisation des déchets organiques de l’agriculture (production de biogaz pour fabriquer l’électricité ou de la chaleur) « ne règle pas le problème des nitrates qui restent présents dans les digestats, et peut même l’aggraver en incitant à une intensification des pratiques agricoles pour répondre aux besoins de méthaniseurs fortement dimensionnés ».

Le conseil économique et social aquitain encourage toutefois la région à aller plus avant dans sa volonté de réunir tous les acteurs régionaux, économiques et politiques, autour du mot d’ordre de l’économie circulaire, dans l’esprit de transversalité de sa feuille de route.

Il note que si ‘les aspects réglementaires échappent à la collectivité régionale’, celle-ci est néanmoins « dotée de prérogatives en matière de développement économique, d’accompagnement des entreprises, d’aide à l’innovation, de formation, d’aménagement et d’animation territoriale ». Et elle « pourrait se voir confier la gestion des déchets des entreprises, en plus de celle des déchets dangereux, et devenir un acteur central de la politique de développement durable par l’intermédiaire du Schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) ».

Toutefois, le Ceser rappelle que même si on pouvait recycler 100 % des déchets, le taux de croissance de ceux-ci est « simplement incompatible, et de très loin, avec
une économie circulaire » :

« Certaines voix s’élèvent pour prôner la « low tech » (à l’image de l’ingénieur bordelais Philippe Bihouix) ou la décroissance. (…) Nombreux sont ceux qui soulignent la nécessité de réduire la consommation, face à l’écart qui existe entre le potentiel de produits recyclés et l’augmentation des volumes de production (hausse de la croissance démographique et de la demande) ».

Le Ceser n’est pas si éloignés que ça des décroissants : il invite à mettre l’accent sur la réduction de la consommation, et conclut son rapport par une belle citation de  Donella Meadows, coauteur du rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance :

« Les gens n’ont pas besoin de grosses voitures ; ils ont besoin d’admiration et de respect. (…) Ils n’ont pas besoin de gadgets électroniques ; ils ont besoin d’activités intéressantes pour occuper leur esprit et leurs émotions. (…) Une société qui s’autoriserait à reconnaître ses besoins non matériels et à trouver des moyens non moins matériels de les satisfaire consommerait bien moins de ressources et d’énergie, tout en atteignant des niveaux bien plus élevés d’épanouissement et de bonheur humains. »

Canettes d’aluminium compactées avant recyclage (SB/Rue89 Bordeaux)

#Bordeaux métropole

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