Média local avec zéro milliardaire dedans

J’ai dégusté au Concours des Vins de Bordeaux

Le concours de Bordeaux-Vins d’Aquitaine organisé par la Chambre d’Agriculture de la Gironde est une institution, qui se déroule chaque année depuis 1956. Plus de 1000 dégustateurs étaient réunis samedi au Palais des Congrès pour décerner les médailles du concours, dont un journaliste de Rue89 Bordeaux. Reportage en immersion (dans le rosé).

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Le concours des vins de Bordeaux by Dominique Clère

Le concours des vins de Bordeaux by Dominique Clère
Concours des vins de Bordeaux (DC/Rue89 Bordeaux)

C’est mon premier concours des vins. Parrainé cette année par un ami œnologue, j’arrive avec le trac d’une première à cet évènement organisé par la Chambre d’agriculture de la Gironde !

Mon camarade m’avait bien donné quelques conseils, et je m’étais documenté sur l’excellent blog « No Wine Is Innocent » d’Antonin Iommi Amunategui sur Rue89, histoire de ne pas me sentir perdu lorsque j’allais entendre parler de caudalie, et d’arômes amyliques ! Bien que j’apprécie le vin, mes connaissances en œnologie ne sont guère académiques.

Il faut croire qu’aux néophytes on réserve la crème. En m’approchant de ma table de dégustation, je dois me rendre à l’évidence : je vais être amené à déguster et noter… des rosés. On ne peut pas dire que je raffole de ce type de boisson, même très frais en été.

Dépasser ses propres goûts

Un dégustateur, amateur de vin plus qu’œnologue, qui participe depuis 5 ans au concours des vins, m’explique que c’est cela le plus difficile : sortir de ses goûts personnels, pour arriver à tirer une analyse objective.

18 rosés passent sous les papilles de notre table de 4, avec un vigneron comme chef de table, un caviste, et deux amateurs de vin, dont votre serviteur. Pas exactement ce que proclame le concours dans la promotion de ses vins :

« Faites confiance aux professionnels, choisir un vin médaillé au Concours de Bordeaux, c’est choisir un vin sélectionné par des spécialistes : œnologues, négociants, courtiers, cavistes, viticulteurs, maître de chai… »

Les points de suspension laissent largement ouvert le champ des possibles… À notre table revient donc la mission de délivrer au plus cinq médailles.

Dès la première gorgée du premier verre, je sais que je vais passer une matinée difficile !

Une acidité agressive, qui me remplit le palais, peu d’arômes… Pas un vin à m’éveiller les sens ! À contre courant de mon voisin caviste qui voit là un parfait « vin plaisir ». Ça commence bien…

Un vin trafiqué ?

Celui-ci me rassure cependant, en m’indiquant que dans le domaine du rosé, les goûts sont très disparates. Les couleurs aussi, puisque du gris au framboise, en passant par la pelure d’oignon, le nuancier est large. Les variations de qualité aussi. On passe sur notre table du franchement médiocre au rosé d’été, en passant par le carrément bizarre.

Une de nos bouteilles tests propose un goût tellement étrange qu’on peut la croire trafiquée : du vin blanc coupé à la grenadine, estiment les experts de ma table. Ça y ressemble assez, en effet, et le vin part en analyse. Selon le chef de table, si la fraude est avérée, c’est pour le producteur un risque inconsidéré que d’avoir présenté un tel vin à un concours.

Médailles en chocolat

18 vins à déguster c’est long… À ma grande surprise, au final, les avis sont relativement proches. et quatre vins trouvent grâce à notre table. Ceux-là seront médaillés.

Une médaille d’or ou d’argent pour le caviste qui m’a accompagné dans la dégustation, c’est une distinction à valoriser pour le producteur, qui va pouvoir s’en servir pour augmenter ses ventes. Le bronze lui n’est qu’accessoire, et sans effet sur la consommation.

C’est ce qu’indique la Chambre d’Agriculture de Gironde, pour qui « la médaille constitue alors un critère de choix pour les acheteurs et les acheteuses, en quête de repères pour ne pas se tromper. »

Utile quand on sait que 75% des vins sont choisis en grande surface, où les consommateurs cherchent justement des repères de ce tonneau…

La « théorie des jeux » adaptée à la dégustation

Les consommateurs, justement, sont aussi les principaux intéressés par ce type de concours. Beaucoup de dégustateurs sont plus des amateurs de vin que des spécialistes, venus là par parrainage, comme moi. Les résultats doivent pour beaucoup à la subjectivité des goûteurs… et à l’influence du chef de table !

Un dégustateur me raconte sa tablée de l’année dernière, où le chef de table refusait en bloc d’attribuer des médailles, dans une posture d’œnologue très élitiste.

« Les notations au concours de Bordeaux, c’est un peu la théorie des jeux », juge Julien, éducateur d’une trentaine d’années, et dégustateur depuis 4 ans.

C’est avec l’habitude que, selon lui, on arrive mieux à défendre un vin. Il suffit d’une autre personne hésitante à la table pour donner une seconde chance à un vin et faire remonter sa note.

Concours des vins de Bordeaux (DC/Rue89 Bordeaux)

« Speed tasting » contre « Slow drinking »

À la sienne, avec des vins très charpentés, presque la moitié des 18 vins ont été regoûtés plusieurs fois, avec des discussion argumentées sur les choix.

« Speed tasting » contre « Slow drinking » : plusieurs comportements biaisent le choix des vins. Une table composée majoritairement de néophytes sera plus facilement influencée par le jugement des professionnels qui les accompagnent.

Une néophyte de 27 ans me confie après la dégustation avoir parfois du mal à donner son avis, de peur de perdre contenance. Ne connaissant pas les termes techniques, elle s’est contentée de vagues impressions au moment de décrire ses vins.

Difficile en effet de proposer une analyse à contre courant. Ce qui peut arriver notamment, lors de la dégustation de certaines appellations atypiques, où dans le cas de vins d’Aquitaine comme le Madiran ou le Tursan.

Nombre de jugements sont axés « marchés ». Le marché actuel du vin voit une forte hausse de consommation de rosé, dominée par les vins vif, ce qui ne peut qu’entraîner un biais vis-à-vis des professionnels chargés potentiellement de les vendre.

Le monde des vins régis par la notation

Pour le fils d’un producteur qui participe au concours depuis 6 ans :

« Le monde du vin a du mal à se défaire d’un système de notation, où l’on interprète plus les goûts des consommateurs, plutôt que de s’intéresser aux qualités intrinsèques du vin. »

Comme à ma table, où les orientations choisies par le caviste l’étaient plus dans une optique clientèle, quitte à passer à côté de vins originaux.

Le concours pour Julien garde cependant une certaine crédibilité. Lui n’accorde guère d’importance aux médailles dans son comportement d’achat, tant les tables sont disparates. Il reconnait les évolutions dans ses analyses qu’ont apporté pour lui cette confrontation avec des professionnels, le faisant passer d’une dégustation « J’aime/J’aime pas », à des avis plus nuancés, et à un intérêt dans la connaissance des cépages utilisés.

Piquettes hors concours

Au buffet d’après concours, le tanin marquent les lèvres des dégustateurs des vins du Médoc. L’ambiance est légère, déridée par l’exercice de la dégustation. Les participants, légèrement grisés, vantent les mérites de leurs vins médaillés. Sur les 3540 échantillons proposés, ils auront distribués 1049 médailles (361 d’or, 455 d’argent et 233 de bronze).

Car au final, professionnels ou amateurs présents, distinguent facilement un vin agréable d’une piquette. Il y en a aussi dans cette catégorie : certains producteurs présentant des vins exécrables que détectent sans soucis les passionnés.

Rassurez vous, sauf erreur ou omission, ils ne devraient pas porter une médaille !


#Bordeaux

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