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Souriali, un média syrien piloté depuis Bordeaux

Iyad Kallas est un nouveau bordelais pas comme les autres. Aujourd’hui directeur des programmes de la radio Souriali , il a quitté fin 2009 une Syrie étouffante où germait lentement mais sûrement la graine de la contestation. Avec une petit équipe d’activistes répartis dans le monde, il s’est fixé l’objectif de rendre compte de l’actualité et de préparer la reconstruction symbolique du pays. Rencontre.

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Souriali, un média syrien piloté depuis Bordeaux

Iyad Kallas, un syrien qui redonne la voix à son peuple (DR)
Iyad Kallas, un syrien qui redonne la voix à son peuple (DR)

« Ceci n’est pas une radio », c’est le slogan surréaliste – c’est un des sens du mot Souriali – de cette station dont le nom signifie aussi en arabe la Syrie est à moi.

Créée en octobre 2012, elle a été pensée « comme un espace de dialogue » par ses quatre fondateurs syriens précise Iyad Kallas. L’activiste complète :

« On ne veut pas apporter un point du vue dogmatique mais permettre à différents points de vue de se confronter. »

Issu d’une famille éduquée et au bon niveau de vie, ce trentenaire était chef d’entreprise lorsqu’il vivait en Syrie. En apparence, rien ne lui manquait. Il avait un bon pouvoir d’achat et une vie sociale et amoureuse satisfaisante…

« Mais pas de vrai liberté. Chaque fois que j’allais faire des papiers, je ne me sentais pas bien. On nous traitait comme si on n’avait pas de droits. J’ai déjà vu des gens à qui on disait “casse-toi” alors que l’on était dans une administration. »

Massilia terre d’accueil

Fin 2009, Iyad Kallas a 27 ans. Sa société qui marchait essentiellement avec des clients étrangers est victime du boycott américain :

« j’en avais marre, j’étais fatigué. J’ai préféré me sentir en exil à l’étranger plutôt que dans mon propre pays alors j’ai commencé à prendre des cours de français, d’allemand et d’espagnol dans la perspective de partir à l’étranger. »

Son choix se porte finalement sur la France pour plusieurs raisons :

« Le rayonnement des droits de l’homme, les études qui coûtent moins chers et parce que j’avais un ami qui étudiait en région Paca. »

Quelques mois plus tard, il arrive à Marseille pour poursuivre ses études où il vit en colocation et apprend peu à peu le français. A partir de 2011, son activisme en ligne lui interdit de se rendre dans son pays sous peine d’être emprisonné. Mais les manifestations lui redonnent toutefois espoir.

Seul à Damas

En France, Iyad Kallas se rend utile en travaillant sur des traductions et en assurant la communication avec des ONG et des journalistes. Déjà, à Damas dont il est originaire, il avait créé en 2004 un blog, pour exprimer par la métaphore ce que nul syrien ne pouvait dire clairement.

Malgré cette précaution, il est quand même inquiété. Trois jours d’affilés, il est convoqué par la police puis renvoyé chez lui le soir. Il reste dans une salle sans savoir ce qu’on va lui faire ; manière de lui faire peur en lui signifiant que les services de l’État ont tout pouvoir sur les individus :

« J’avais peur pour mon intégrité physique et ma vie parce qu’on entend des histoires sur les moukhabarat, les services de renseignement du régime. Ils ont la réputation d’éliminer les opposants. »

Cet arbitraire repose sur la loi d’urgence instaurée par Hafez el-Assad en 1963 limitant les libertés personnelles et que son fils Bachar el-Assad abrogera artificiellement en 2011 puisqu’elle sera remplacée par une autre loi aux contours similaires.

Aujourd’hui, il ne craint pas les services de l’État syrien, « parce que je ne suis pas dans leurs priorités ». Et hormis quelques insultes sur les réseaux sociaux et des menaces envers sa famille mais rien de sérieux selon lui. Ses activités lui causent cependant quelques complications administratives en France.

Pour sa famille restée au pays et contrainte à déménager suite à la destruction de leurs maisons lors de bombardements, les difficultés sont d’ordre économique.

logo radio
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L’arabe du futur

Finalement, son blog sera bloqué. L’interdiction frappera également 25 autres blogueurs. Ensuite, sous le nom Syrian bloggers, il fondera sur Yahoo un groupe avec d’autres blogueurs.

Parmi eux, le futur créateur du blog the-syrian.com qui verra le jour en 2011, un blog collectif et participatif contre la répression et celui de Syria Untold, un site qui sera créé fin 2012 « pour documenter le mouvement civique et humaniser le conflit » et qui s’inspire de Humans of Syria.

A plusieurs reprises durant l’été 2005, les jeunes syriens vont se rencontrer avant que l’article d’un journaliste paraisse dans le journal koweitien El Hayat, attirant ainsi involontairement l’attention du pouvoir sur leurs activités. Le couperet ne tardera pas à tomber puisque deux semaines plus tard, les blogs seront également bloqués.

De 1plus1syria à Souriali

En juin 2011, une douzaine d’activistes dispersés dans le monde décide de créer 1plus1syria, une radio bénévole pour soutenir les opposants. Puis vient pour Iyad Kallas le constat que dans chaque camp, dans celui des pro-Assad comme dans celui des opposants, les droits de l’homme ne sont pas respectés :

« Je me suis dit que la révolution aller se terminer un jour, d’où l’idée de faire un média pour faire avancer les choses en travaillant sur l’éducation et le socio-culturel. »

Un nouveau média est donc créé en 2012. Entre temps, Iyad Kallas cherche une ville conviviale où il pourra emménager. Son choix va se porter en août 2014 sur Bordeaux dont il apprécie l’énergie.

En direct du placard

Fondé au départ avec trois autres Syriens, la radio s’appuie aujourd’hui sur quelques 27 bénévoles répartis sur tous les continents exceptés l’Amérique du Sud : écrivains, metteurs en scènes ou journalistes entres autres. Des bénévoles qui réalisent la plupart du temps « depuis leur placard » 52 émissions en arabe et en français et certaines interviews en anglais.

« On parle de culture au sens large, de la cuisine par exemple parce que ça unifie les peuples. On fait des drama (feuilletons dramatiques, NDLR), des portraits du peuple, on organise des débats entre pro-Assad et opposants, du journalisme d’investigation sur des sujets comme la prostitution qui est un sujet tabou en Syrie ou sur la radicalisation. On fait des émissions d’Histoire en opposant aux rumeurs des faits objectifs comme par exemple sur la place des juifs en Syrie. »

Pour l’instant, « l’horizon est noir, on est entré dans un cycle de violence qui ne s’arrêtera peut-être pas avant 10 ou 20 ans ». En attendant, « la radio qui est un espace de dialogue a aussi un rôle éducatif après 40 ans de mauvaise éducation où l’autre était considéré comme un ennemi ».

Radio Souriali est soutenue par l’IWPR, Internews, CFI, Pax Christie, le British Council ou encore la région Paca, financièrement, sous forme de partenariat ou à travers des actions de formation des bénévoles. La radio est diffusée en FM dans 7 villes de Syrie : Damas, Homs, Hana, Idleb, Alep, Lataki et Tartouss.

Côté audience, 300 000 auditeurs sont annoncés en Syrie et beaucoup au Liban, en Irak, en Jordanie et en Egypte. En revanche, l’accès à la radio est bloqué en Turquie, à Abu Dhabi et dans certaines villes syriennes où les auditeurs contournent les voies d’accès.

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