« La démographie globale est dynamique et la population croît, mais les familles quittent l’agglomération », rappelle le bilan 2007-2014 du programme local de l’habitat (PLH) de Bordeaux Métropole, voté le 10 juillet dernier. Le nombre des 30-60 ans y a en effet diminué, alors que celui des 15-29 ans explose – les deux-tiers des Girondins dans cette tranche d’âge vivent dans l’agglo, où 44% des ménages sont composés de personnes seules. Pourquoi ? Le facteur clé des départs des couples ou des familles, déjà évoqué dans nos colonnes, c’est le coût du logement.
On savait que les prix de l’immobilier ont doublé en 10 ans, faisant aujourd’hui de Bordeaux la quatrième ville de province la plus chère de France. Dans la métropole, selon le bilan du PLH, le coût moyen est aujourd’hui de plus de 3750 euros/m2 dans le neuf (avec parking), et moins de 20% de l’offre se situe sous les 2500 euros/m2, l’objectif de prix qu’a donné l’ex Communauté urbaine au programme des 50000 logements.
Et on se doutait que ce boom ne profitait pas à tout le monde – pour ne citer qu’un chiffre, lors de l’hiver 2013-2014, le 115 a reçu près de 20000 appels pour des demandes d’hébergement, et dû éconduire la moitié d’entre elles.
Déconnexion
Mais l’ampleur du phénomène était insoupçonnée : des travaux récents menés par l’a’urba, l’agence d’urbanisme de l’agglomération bordelaise, notamment dans le cadre du bilan du PLH, démontrent une « déconnexion » des prix de l’immobilier avec « les capacités de la majorité des ménages de l’agglomération » :
« L’acquisition d’un logement neuf tel qu’on peut le trouver sur le marché de Bordeaux Métropole en 2014 n’apparaît possible que pour les 20% des ménages les plus riches déjà résidents dans la métropole, environ 64000, peut-on lire dans le bilan du PLH. Et ceci concernerait principalement des ménages déjà propriétaires en excluant complètement les ménages locataires du parc public dont les ressources ne pourraient répondre aux prix du marché. »
L’a’urba fonde ses résultats sur des calculs tenant compte des ressources (inférieures à 3200 euros par mois pour 66% des ménages de la métropole), de la taille et des prix des logements, ou encore des taux d’intérêt et d’effort (capacité de remboursement de l’emprunt inférieure à 30% des revenus).
Par exemple, un T3 neuf de 70m2, vendu 262 000 euros en moyenne dans la métropole, est inaccessible à 85% des ménages, et même à 97% des locataires du parc privé ! Et s’ils veulent acheter dans l’ancien, ce n’est guère mieux : un T3 à 132 000 euros est inabordable pour 55% des ménages, 71% des locataires du privé, et 81% des locataires du parc social.
Autant dire que pour devenir propriétaire, mieux vaut l’être déjà, et avoir ainsi l’apport indispensable à tout nouvel emprunt. Et les prix des logements n’handicapent pas seulement les aspirants à la primo-accession : les deux tiers des locataires du parc privé ne peuvent allonger le loyer pour ce même T3, à 714 euros par mois.
Pour qui construit-on aujourd’hui ?
« L’offre de logements se caractérise par des prix encore élevés qui ne s’adaptent pas [aux] besoins locaux mais qui semblent plus répondre à une demande hypothétique de ménages hors du territoire », conclut l’a’urba dans son bilan du PLH.
« Pour qui construit-on aujourd’hui à Bordeaux ? », se sont donc interrogés cette semaine les élus écologistes bordelais, soulevant cette question politique dans une tribune sur leur site. Réponse dans le bilan du PLH :
« En 2014, 68% des ventes de la promotion collective (l’essentiel des nouveaux logements construits dans la métropole, NDLR) se font aux investisseurs, ce qui marque une dépendance bordelaise aux produits liés à l’investissement locatif. »
C’est à dire les dispositifs Scellier, Pinel et compagnie, qui permettent aux propriétaires de défiscaliser l’achat de biens immobiliers à condition de les louer. Ou pas.
Aussi plusieurs dispositifs tentent de favoriser l’accession abordable, à l’image du Passeport 1er Logement, coup de pouce financier de la ville de Bordeaux, ou le PSLA (prêt locatif social accession). Ils représentent 43,5% des 1169 ventes à occupants en 2014 (contre 2689 vente à des investisseurs) et joueraient ainsi, malgré « une émergence difficile », selon l’a’urba, un « rôle d’appui ».
Quand « small is beautiful » dans l’immobilier
Bref, des tentatives sont menées pour corriger certaines tendances du marché. Mais selon le bilan du PLH :
« La situation reste paradoxale entre une demande sociale et un marché qui s’oriente encore majoritairement vers des petits logements (pour des ménages de plus en plus petits et dont les prix correspondent plus aux capacités financières d’achat de ces ménages) alors que les politiques publiques visent à un rééquilibrage démographique en retenant les familles qui cherchent des grands logements plus abordables. »
Aussi, si les constructions se poursuivent à un rythme soutenu dans la métropole – plus de 9000 logements commencés en 2014 –, ils ne répondent pas forcément aux besoins et/ou aux attentes en matière de prix. D’où la nécessité de construire davantage encore de logements sociaux : 4176 ont été financés en 2014 à Bordeaux Métropole, mais cela ne permettra pas de répondre à la demande : 32 000 personnes sont en attente d’un logement social dans la métropole, et l’agglomération devrait en construire plus de 18 000 pour être dans les clous de la loi, qui impose 25% de logements sociaux par commune.
Pas de blocage des loyers
Maire de Bordeaux et président de la métropole, Alain Juppé a déjà prévenu que sa ville, où le taux est de 16,33% n’atteindrait pas cet objectif d’ici la deadline fixée, 2025. Pourtant, les principaux chantiers – Ginko, les Bassins à flot, Euratlantique… – sont bien dans le port de la Lune, où les opérations d’aménagement doivent intégrer de 35 à 45% de logements sociaux. A Brazza, le souhait de construire des « volumes capables », aménageables par les futurs occupants en fonction de leurs besoins d’espaces et de leurs budget, doit aussi permettre de sortir des logements à 2200 euros/m2.
Les prix des logements sont donc une vraie préoccupation pour les collectivités. Mais pas au point de museler le marché immobilier. Interrogé récemment par Rue89 Bordeaux sur l’expérimentation du blocage des loyers, comme à Lille ou Paris, et qu’il avait un temps évoqué, Alain Juppé a écarté cette hypothèse. Pour le maire, c’est en construisant davantage que l’on fera baisser les prix. La fameuse loi de l’offre et de la demande, qui dans le domaine du logement montre vite ses limites.
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