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Pesticides : les cancers d’enfants intriguent toujours le Sauternais

Tout le monde le dit : la situation est inhabituelle à Preignac, en Gironde. Mais personne ne s’accorde sur les raisons. L’Institut de veille sanitaire constate un « excès faible » des cas de cancers d’enfants dans la commune du Sauternais sans toutefois lever le doute quant à leurs liens avec les épandages de pesticides.

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Pesticides : les cancers d’enfants intriguent toujours le Sauternais

Habitations en bordure des vignes vers Preignac (WS/Rue89 Bordeaux)
Habitations en bordure des vignes dans le Sauternais (WS/Rue89 Bordeaux)

Jean-Pierre Manceau attend la rentrée des classes avec impatience. L’ancien maire de Preignac se doute des débats qui vont avoir lieu avec les parents d’élèves. Car l’alerte qu’il a lancé, voici deux ans et demi, bénéficie désormais d’un large écho : début août, l’Institut de veille sanitaire (InVS) a rendu public un rapport d’investigation pour expliquer les cancers contractés par quatre enfants lors des 14 dernières années dans cette commune de 2179 habitants en 2012 dans le Sud-Gironde. Selon nos informations, au moins l’un d’entre eux a été emporté par sa maladie.

Tous allaient à l’école de Preignac, construite il y a plus de 60 ans et bordée par 1,5 hectares de vignes appartenant au château Gilette. Seul un mur de pierre à taille d’homme sépare la cour de récréation des pieds de vignes.

Un mur d’incompréhension

Dans son rapport, l’InVS a signifié qu’un « excès » du nombre de cancers existait et que « la contribution des pesticides au risque cancer ne peut (…) être exclue ».

En rapportant les 4 cas enregistrés à Preignac aux 0,8 cas attendus par les registres d’hémopathies malignes et des tumeurs solides, l’InVS constate un « excès faible » des cancers pédiatriques.

« Il y a cinq fois plus de cas attendus et c’est un excès faible ? », sursaute la Médocaine Marie-Lys Bibeyran.

Cette militante anti-pesticides a largement commenté le rapport sur son blog et parle surtout d’un excès de prudence.

Membre de la cellule de l’InVS en région Aquitaine, Patrick Rolland s’en défend :

« Cet excès s’appuie sur de petits effectifs. Ce n’est pas exceptionnel, mais c’est vrai que le qualificatif peut être mal apprécié. »

D’ailleurs pour l’institut, seuls trois de ces 4 cas pourraient être liés à une exposition aux pesticides.

Pesticides, seule pollution à l’horizon

L’institut de veille sanitaire cite les travaux de l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale) : en juin 2013, celui-ci affirme que « les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant ». Or, sur le canton, 80% de la surface agricole utile est dédiée à la viticulture.

« Preignac a la plus grande surface viticole du Sauternes-Barsac », précise Jean-Pierre Manceau.

Et le rapport note :

« Hormis une forte activité viticole au niveau de la zone d’étude avec des épandages à proximité de l’école, aucune autre source majeure de pollution n’a été identifiée. (…) Il existe donc une exposition possible aux épandages de pesticides des enfants de l’école, sans que l’on puisse à ce jour la quantifier. »

Autrement dit, pour l’InVS, il n’est pas question de conclure d’un lien direct entre pesticides et ces cancers pédiatriques.

« Il n’y a que des pesticides, mais on ne peut pas conclure… C’est balayer le problème », s’indigne Marie-Lys Bibeyran

Un lien indémontrable

Pourtant, rien de plus logique pour Patrick Rolland :

« On ne peut pas démontrer le lien. Ces cancers, l’hémopathie maligne et la tumeur cérébrale, sont les plus fréquents chez les moins de 15 ans. Mais dès lors qu’il y a des facteurs de risques présents dans l’environnement, on ne peut pas l’exclure. Seulement, ça a été utilisé à l’inverse en disant : si on ne peut pas l’exclure c’est qu’il y aurait un lien. »

L’institut contrebalance aussi son propos rappelant qu’il n’y a pas un seul type de cancer – qui pourrait plus facilement être identifié comme ayant la même source pathogène.

De plus, une fois la zone d’étude étendue aux communes limitrophes l’excès de cancer pédiatrique est moindre (8 cas pour 5,7 attendus).

Enfin, les méthodes épidémiologiques employées ne permettent pas de savoir si l’excès est lié au hasard ou à un facteur de risque environnemental commun. D’autant que les pesticides se trouvent dans les épandages mais aussi dans les aliments, la consommation d’eau, le jardinage ou les activités ménagères.

La commune de Preignac en Gironde (Henry Salomé/Wikipedia)

Épandage à la récré

Parmi les facteurs de risque, le rapport pointe des épandages effectués pendant les heures d’école. Thomas Filliatre, premier adjoint au maire, prend la défense de la propriété :

« Le viticulteur l’a fait il y a quelques années, mais il ne le fait plus. Désormais, il traite très tôt le matin ou tard le soir, mais il est embêté d’être la cible. C’est une mère de famille. Son enfant est à l’école, elle ne ferait pas n’importe quoi. »

Rue89 Bordeaux n’a par ailleurs pas réussi à joindre le couple propriétaire. Pour l’adjoint, également infirmier, ce rapport « veut tout dire, et pas grand chose » :

« On tire sur les viticulteurs, alors qu’on sait très bien que les traitements se sont améliorés par rapport aux années 1980 jusqu’à 2000, où il y avait peu de règles. »

L’élu évoque les protections dont se munissent désormais les viticulteurs, et les réglementations et arrêtés préfectoraux qui se sont multipliés. Le dernier en date, acté par le préfet de Gironde, interdit tout épandage à moins de 50 mètres des limites des établissements scolaires, réaction politique après l’intoxication d’écoliers à Villeneuve-de-Blaye.

« Les suspicions ne suffisent plus »

Le rapport de l’InVS fait aussi vivement réagir dans les rangs d’Eva pour la vie. Cette petite fille de Saint-Médard-en-Jalles est morte à l’âge de 7 ans d’une tumeur du tronc cérébral. « On ne mangeait pas toujours bio » raconte son père, fondateur de l’association qui s’interroge aussi sur les effets d’une radiographie passée par son épouse durant sa grossesse.

Face au rapport, il ironise :

« Si ce n’était pas grave, ce serait presque drôle. Le problème, c’est qu’on est en face des lobbies des pesticides et des médicaments, qui quelques fois sont les mêmes. Les agriculteurs et viticulteurs se sont faits manipulés. De mon côté, je ne suis pas un militant écologiste, mais il y a une vérité : c’est que cette pollution nous coûte cher. Les suspicions ne suffisent plus. Il faut des preuves. »

En plus de vouloir aider le financement de la recherche, il réclame donc une étude épidémiologique indépendante pour comprendre comment ces cancers se sont déclenchés à Preignac et, globalement, en France. Lors d’une réunion récente avec la ministre de la santé Marisol Touraine, il comprend que son combat sera encore long à mener :

« On proposait qu’un questionnaire soit remis aux parents pour déterminer les habitudes, les points communs qui pourraient exister. Ça touche 2500 enfants chaque année. Je me souviendrais toujours de sa réponse : “Le problème c’est que la prévention pour les enfants, on ne sait pas par où commencer…” »

Se voulant force de proposition, il participera à plusieurs audience parlementaire dont la première sera en octobre prochain (voir ci-contre).

Les vignes en cause, « un problème vite résolu »

En attendant que les parlementaires se saisissent du dossier, l’InVS fait plusieurs recommandations : aérer les salles de classe régulièrement, nettoyer les structures de jeux extérieurs pour enfants et surtout réduire les épandages de pesticides à proximité de l’école.

« Mais réduire ne suffit pas, selon Marie-Lys Bibeyran, car on sait bien qu’avec les perturbateurs endocriniens il y en a toujours trop. »

En revanche, elle se réjouit du rachat programmé de la parcelle par la mairie. La commune a décidé d’acquérir ce terrain « dans l’année ou l’année suivante » promet Thomas Filliatre :

« C’est une dent creuse. On avait des soucis de parkings et d’espace dans la cour de récréation. Dans tous les cas, le problème sera vite résolu. »

Cette proposition figurait déjà dans un précédent plan local d’urbanisme (PLU), acté sous la mandature divers gauche de Jean-Pierre Manceau. Seulement, le plan avait reçu, selon ce dernier, une vive opposition, notamment de l’actuel adjoint à l’environnement et à l’urbanisme, Jean-Michel Lecomte, également viticulteur.

A l’époque, l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) Sauternes-Barsac l’avait même fait annulé par décision du tribunal administratif. L’ODG était alors épaulé par l’Institut national de l’origine et la qualifié (Inao), le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) et la Chambre d’agriculture.

« Ce sont des baronnies, pas de la rigolade »

Jean-Pierre Manceau affronta aussi le monde viticole lorsqu’il proposa de créer une station de traitement des effluents. A peine 10% des vignerons du Sauternais avaient soutenu le projet. L’ancien maire estime d’ailleurs n’avoir pu faire qu’un mandat, car « tué par les viticulteurs. Ce sont des baronnies, pas de la rigolade ».

Installé à Preignac depuis 1975, l’ancien chercheur en physique recense les mauvaises pratiques de ses voisins :

« Quand les viticulteurs utilisent des pesticides, ils ont des cuves. Quand ils les rincent où va l’eau ? On se demande, mais on retrouve des pesticides dans les nappes phréatiques du Bas-Barsac. Quand ils sont en bout de rang, qu’ils font demi-tour, ils continuent de pulvériser. Dès qu’ils arrivent près d’une maison, tout le monde ferme les fenêtres ou va relaver le linge qui séchait dehors. Lorsqu’un marathon a été organisé, il y a eu un arrêté préfectoral pour stopper les épandages  de pesticides deux jours avant. Certains font brûler leurs bidons de pesticides alors que les entreprises qui leurs vendent doivent les récupérer. La loi est faite pour tout le monde. Quand on ne la respecte pas, ça m’horripile. »

L’actuel maire divers droite a demandé la tenue d’une réunion avec le monde viticole, enseignant et le sous-préfet de Langon. Elle aura lieu mi-septembre. Avec la publication du rapport, écologistes, municipalité et ancienne municipalité s’entendent au moins sur un point : ils veulent la poursuite de l’étude et obtenir des conclusions plus précises. En ce sens, un nouveau point de situation est promis pour la fin d’année.

Aller plus loin

Le rapport de l’Invs : Investigation d’une suspicion d’agrégat de cancers pédiatriques dans une commune viticole de Gironde

Registre des hémopathies malignes en Gironde

Le bulletin épidémiologique : L’incidence des cancers de l’enfant en France

Sur Canal-U.tv, conférence d’Isabelle Baldi de l’Isped sur le thème « Pesticides et santé« 


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