« A Bordeaux, tu es une rock star, lance à Xavier Niel Virginie Calmels, adjointe au maire en charge de l’économie. Nous avons changé le format de ces Rencontres des entrepreneurs pour pouvoir accueillir 1600 personnes, et nous avons dû fermer les inscriptions. »
Nombre des représentants de la Bordeaux French Tech, et beaucoup d’étudiants sont venus voir ce « Steve Jobs à la française », dixit Virginie Calmels.
Le fondateur de Free, devenu la 10e fortune française, attire donc plus les foules que Michel Combes, l’ex pdg d’Alcatel-Lucent, premier invité du nouveau Conseil des entrepreneurs de la ville de Bordeaux (composé de 40 patrons locaux). L’évocation de Combes, aujourd’hui sur le grill pour sa prime de départ pharamineuse (près de 14 millions d’euros) fait d’ailleurs sourire le patron de Free. « Mais j’assume totalement », coupe l’élue bordelaise, accessoirement membre (depuis 2009) du conseil d’administration d’Iliad (la maison mère de Free).
Disruptant
Cette fugace divergence sera la seule de la matinée, car sur la scène du Palais des congrès, c’est tapis rouge pour Xavier Niel : « Disruptif » (dans la novlangue du marketing : capable de briser les conventions établies sur un marché au moyen d’une idée créatrice), « successful » (prospère ou à succès, en anglais, of course), « visionnaire » (ça tout le monde sait ce que ça veut dire). Mais aussi « simple », « proche de ses 6000 salariés », tous « fiers et heureux de travailler » pour Free, et souvent associés au capital, ou intéressés aux résultats de l’entreprise (même si aucun des 550 salariés du call center de Bordeaux Lac n’est là pour en attester – « J’en viens, ils bossent », rigole Xavier Niel).
Bref, la brosse à reluire est de sortie et le patron en Xavier Niel en est presque gêné : « J’ai beaucoup plus de défauts que vous ne semblez dire ». Il évoque par exemple avec humilité son anglais déplorable ou son manque de culture générale, dont il dit souffrir lorsqu’il discute avec les journalistes du groupe Le Monde (il en est un des actionnaires).
Pas low cost, low price
Il invite ensuite « à se lâcher » les chefs d’entreprises bordelais – dont Julien Parrou, le PDG de Concoursmania, ou Christophe Chartier, d’Immersion – qui le questionnent avec une grande déférence. Peu poussé dans ses retranchements, le patron tique toutefois à une question sur le modèle low-cost de Free :
« On a les plus beaux locaux de tous les opérateurs télécoms, dans le VIIIe arrondissement à Paris. On a la box la plus haut de gamme et performante, mais on est abordable. A Free on n’est pas low cost, on est low price, avec un bon rapport qualité prix. »
Alors que Xavier Niel prédit qu’à terme tous les objets, « même cette table », seront connectés, Philippe Barre, cofondateur de Darwin, l’interpelle sur l’écologie et le changement climatique, rappelant que le secteur du numérique est très énergivore et consommateur de matières rares. Le dirigeant d’Iliad répond qu’un chef d’entreprise doit anticiper ces conséquences, et signale que dans un de ses data center parisiens, la chaleur est récupérée et réinjectée dans un réseau de chauffage urbain de l’OPH Paris Habitat.
Le gêne de l’entrepreneur
Xavier Niel détonne surtout lorsqu’il livre à son auditoire avec un discours quasi patriote, à rebours du « french bashing » : selon lui, les Français « ont dans leur gêne l’envie de créer des entreprises », et ils disposent pour cela d’un « nombre d’aides colossal » :
« C’est plus dur de créer une start up dans la Silicon Valley qu’à Bordeaux. Un créateur d’entreprise peut par exemple percevoir des allocations chômage, cela n’existe nulle part ailleurs. La Banque publique d’investissement doit être le plus gros investisseur dans les start up au monde. La France est même un paradis fiscal pour les entreprises. Certes le système n’est pas parfait, l’ISF est contre productif car il effraye des gens qui pourraient venir vivre et investir chez nous. Mais l’imposition sur les plus-values n’est que de 23% contre plus de 40% en Californie. Enfin, les gens qui font du logiciel sont mieux formés. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez ! »
Considéré comme un patron penchant plutôt à gauche, Xavier Niel juge en revanche nécessaire le « travail de simplification du code du travail. Il est fantastique mais à force d’avoir rajouté article plus personne ne sait ce qu’il y a dedans ».
De quoi rasséréner Alain Juppé, le maire de Bordeaux, répondant à Xavier Niel à la fin des échanges :
« Vous poussez l’optimisme jusqu’à la provocation, et m’avez un peu bousculé dans mes certitudes lorsque vous dites qu’embaucher ou licencier quelqu’un n’était pas plus compliqué en France. Mais vous m’avez rassuré en déclarant qu’il faut simplifier le code du travail. »
Succcesful
La politique ? Xavier Niel assure ne pas être tenté – « mon vrai métier, c’est entrepreneur ». Il estime que « les barrières entre la gauche et la droite n’ont plus de sens » :
« Je ne suis pas sûr qu’un Emmanuel Macron ou un Manuel Valls ne sont pas plus à droite que certains hommes de droite. C’est un apport pour la France que chacun ait ses spécificités au sein d’un même parti. »
Interrogé sur l’entrée en politique de Virginie Calmels, ex patronne d’Endemol et candidate à la présidence de la grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, le chef d’entreprise salue ce choix :
« Je crois beaucoup à l’arrivée de la société civile dans le monde politique. Virginie Calmels apporte ses rêves, son dynamisme, sa volonté de changer les choses, ça l’enchante et je suis ravi pour elle. Je sais qu’elle est combative, cela permet d’être successful. Si elle est capable de changer cette région, elle sera capable de changer la France. »
C’est beau comme un slogan de campagne, et ce n’est pourtant pas un meeting qui se déroule au Palais des congrès. Au programme de sa visite à Bordeaux, le patron de Free part ensuite visiter un lieu « au nom prédestiné » : la caserne Niel.
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