Le « Noshow », rions un peu avec la précarité
Aux Colonnes de Blanquefort, le spectateur du « Noshow » débarque au milieu d’un campement, ambiance « Occupy Wall Street » ou Sahraouis du Pont Saint-Jean, au choix. Cela n’a rien d’un hasard, explique Alexandre Fecteau, metteur en scène québecois de ce spectacle hors du commun :
« On a commencé à travailler longtemps sur le spectacle en 2011, impossible d’échapper au mouvement social qui se déroulait à New York. Et notre théâtre est une sorte de mouvement revendicatif, il y a un peu de l’esprit de révolte d’Occupy, et la volonté de déborder l’espace physique de la scène. »
Surtout, l’idée du «Noshow» a surgi durant les répétitions d’une autre pièce de sa compagnie, « Nous sommes ici ». Alexandre Fecteau n’arrivait pas à réunir tous les acteurs, retenus par des boulots alimentaires.
« On était confronté à la réalité, à une situation un peu absurde ou ces travaux alimentaires nous empêchaient de faire notre vraie métier, qu’on persiste tout de même à pratiquer à l’aube de la trentaine, affirme-t-il. Partout, les financements pour la culture tendent à diminuer. A ça s’ajoute une sorte iniquité générationnelle : on n’a absolument pas accès aux mêmes possibilités que les baby-boomers, ce qui nous attend est moins rose que pour ceux qui nous ont précédé. »
Théâtre interactif
Comment dans ces conditions persister à vouloir jouer ? La troupe canadienne prend le parti d’en rire, et de surprendre, avec un spectacle-happening qui change tous les soirs, au gré des artistes et du public. Celui-ci est d’emblée invité à choisir le prix de son entrée, avec 6 tarifs possibles (de 0 euro, le prix de la messe du dimanche, à 96 euros, celui d’une place en tribune d’honneur au Nouveau stade de Bordeaux…) ! Et l’interaction ne fait que commencer…
« Le théâtre subit une sorte de désintérêt dans notre pays. Nous répondons aux gens que c’est tellement plus que ce qu’ils imaginent, en proposant un spectacle plus expérimental. Nous sommes dans un contexte numérique, où toute la culture est disponible nuit et jour. La seule chose qui ne se déplace pas totalement ce sont les arts visuels et vivants. Le théâtre est exigeant, il faut être présent à telle heure et tel endroit. Il faut qu’il y ait quelque chose qui justifie cet effort. On essaye de nouer une relation avec les spectateurs, de l’impliquer et de le surprendre, et qu’il ressorte avec l’impression d’avoir vécu une expérience personnelle, plutôt que d’avoir vu un spectacle. »
Et Christ ! ça marche. Entre télé réalité et manif nocturne pour importer l’intermittence au Canada, on se marre et on est touchés.
Le « Noshow » mercredi 14 et jeudi 15 octobre, à partir de 20h à Blanquefort. Durée 2h15. De 0 à 96 euros.
« Sound of music », comédie musicale et politique
Le titre, la danse, des chansons originales… « Sound of music » a tout d’un musical (une comédie musicale, comme on dit outre Atlantique), avec de hautes ambitions.
« Il y a des danseurs de Broadway, du clinquant et des paillettes, de la virtuosité technique, un happy end, mais le sujet n’est pas une histoire guimauve, estime son metteur en scène, le néerlandais Yan Duyvendak. La pièce a de grands axes, comme l’écologie. Nous nous sommes par exemple nourri du dernier rapport du GIEC (le groupe d’experts internationaux sur l’évolution du climat) pour parler du changement climatique. La pièce essaye de montrer comment on vit aujourd’hui avec le fait de savoir beaucoup de choses, d’avoir beaucoup d’informations sur ce que l’on devrait faire, mais que nous avons aussi besoin d’oubli, de divertissement. C’est ce paradoxe au fond qui fait notre existence. »
Et ce paradoxe est même à l’origine des premières comédie musicale, poursuit Yan Duyvendak :
« Après le krach de 1929, les gens allaient tellement mal qu’ils avaient besoin d’oublier leur misère pendant une heure. Et les troupes de Broadway parlaient du fait qu’elles n’avaient pas d’argent pour monter une comédie musicale ! »
Aujourd’hui, l’histoire se répète : crise oblige, le musical est un genre florissant, notamment en France. Malgré un budget important (sans doute le dernier de ce genre, dixit son metteur en scène) et la coproduction de plusieurs structures européennes (dont La Bâtie-Festival de Genève et le Théâtre Nanterre- Amandiers) Yan Duyvendak estime avoir du faire « avec des bouts de ficelle » :
« On a produit cette pièce avec un budget 50 fois plus petit que le budget moyen d’une comédie musicale de Broadway ! Nous avons 12 danseurs de Broadway, basés à Hambourg, le haut-lieu du musical en Europe, où se jouent en permanence de grosses productions américaines. Mais aussi 40 danseurs locaux invités, qui ont eu trois jours pour apprendre leur partition. Travailler dans l’urgence est une caractéristique du musical, comme l’orchestre du Titanic : ce doit être parfait, même si le temps est compté. »
Jouer pendant que le monde s’écroule autour de soi rappelle le thème de « The sound of music » (en français, « La mélodie du bonheur ») : le musical dont s’inspire cette nouvelle œuvre, se déroule en Autriche, pendant l’Anschluss, où ses personnages tentent de fuir le nazisme.
« J’ai toujours aimé cette comédie musicale, poursuit Yan Duyvendak. Il y a un monde établi, celui d’avant la deuxième guerre mondiale, mis à mal par des forces maléfiques. Et c’est l’art, la musique, qui sauve ces gens. Aujourd’hui, notre monde se sait menacé, par la crise écologique et tous les problèmes économiques que nous connaissons – les écarts de richesse entre les riches et les pauvres, le chômage… Mais nous avons aussi beaucoup de solutions, même si nous n’en parlons pas dans la pièce. »
« Sound of music », mercredi 14 et jeudi 15 octobre, 21h, au Carré de Saint-Médard-en-Jalles. 25 euros (réduit), 32 euros (plein tarif)
« Primitifs » à l’âge de l’Anthropocène
C’est encore et toujours l’heure de tirer la sonnette d’alarme : les activités humaines ne cessent d’avoir un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Dans sa dernière création, « Primitifs », Michel Schweizer aborde cette question avec cynisme et ironie parce qu’ « on le sait, tout le monde le sait, mais on continue comme si de rien n’était » :
« Je suis tombé il y a quelque temps sur le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (un site à cheval sur la Meuse et la Haute-Marne, NDLR). J’ai découvert que l’on pouvait à ce point négliger la terre, annexer le sous-sol et y mettre nos déchets. J’ai mesuré l’apport négatif de l’homme au vivant et son influence désastreuse sur la mutation de la planète dans ce que les géologues et les historiens contemporains appellent l’ère de l’Anthropocène. »
Le chorégraphe bordelais se lance alors dans un processus pour prévenir les générations futures sur le danger préparé par leurs ancêtres. Il fait appel à trois architectes aquitains (MAJCZ Architectes – Martine Arrivet & Jean-Charles Zébo / Nicole Concordet / Duncan Lewis Scape Architecture) pour imaginer un totem sur l’emplacement de ces sites empoisonnés.
« Le rendu des architectes est devenu le point de départ de ma réflexion. Dès lors, comment une démarche artistique peut se saisir de cette problématique ? », ajoute Michel Schweizer.
Sur la scène, c’est l’heure des comptes. Cinq figures masculines âgées de 20 à 60 ans font un bilan générationnel sur une échelle humaine graduée par tranches de dix années d’écart. Un face à face qui confrontent les époques, les progrès et les mentalités, à travers l’instauration du besoin et la légitimité de la consommation.
Dans « Primitifs », Michel Schweizer est fidèle à son mode opératoire avec son « entreprise de résistance politique » La Coma. Il « convoque » des intervenants pour nourrir sa pratique de réalités humaines et de préoccupations sociales. En combinant science et dérision, il dresse un état des lieux acerbe avec une création qui navigue entre plusieurs registres : théâtre, danse, chant, et avenir de la planète.
« Primitifs » le jeudi 15 et le vendredi 16 octobre à 20h30 au Cuvier CDC à Artigues-près-Bordeaux. 1h30. 16 euros (tarif général), 10 euros (réduit, 6 euros (- de 18 ans)
Et bientôt… 35 Minutes
Le Carré de Saint-Médard avait déjà acheté aux enchères les 15 premières minutes de ce spectacle « basé sur la logique néolibérale d’une valeur à croissance exponentielle », mais totalement loufoque et surréaliste. Novart programme la suite, « 35 minutes ».
Le trio suisse (Schick-Gremaud-Pavillon) à l’origine du concept X Minutes vend en effet son spectacle aux institutions les plus offrantes, par tranche de 5 minutes, jouées dans la langue du pays d’accueil et inspirées du contexte géographique et social. Chaque segment de 5 minutes venant s’ajouter à ceux déjà créés, aucun public ne voit le même spectacle, rappelle le site de la Manufacture Atlantique, où il sera présenté les 22 et 23 octobre.
C’est un projet théâtral « plus économique qu’esthétique », indiquait au journal « 24 heures » le Lausannois François Gremaud. Visant à s’affranchir des modes de production habituels, c’est selon lui « une manière détournée de prendre politiquement position par rapport à l’économie du spectacle mais sans en parler directement sur scène ».
Technique subversive, et manifestement efficace, puisque le work in progress a déjà pas mal tourné en Europe.
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