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Avant les régionales, les trois paradoxes girondins

Avant le scrutin régional de dimanche, l’historien Hubert Bonin s’interroge sur les départementales de mars. Est-ce que la Gironde constitue un cas particulier dans une France emportée par la défaite de la gauche, la percée brutale du Front national et un vote résigné pour une droite victorieuse par défaut ?

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Avant les régionales, les trois paradoxes girondins

Philippe Madrelle s'éclipse après l'élection de Jean-Luc Gleyze à la présidence du département (SB/Rue89 Bordeaux)
Philippe Madrelle s’éclipse après l’élection de Jean-Luc Gleyze à la présidence du département (SB/Rue89 Bordeaux)

« Nous souhaitons seulement ici nous livrer à quelques réflexions sans souci de construction d’un système d’analyse digne des méthodes maniées (notamment) à Sciences Po Bordeaux par les spécialistes ! », prévient Hubert Bonin, chercheur en histoire économique à Sciences Po Bordeaux & à l’UMR GRETHA-Université de Bordeaux.

1. Un Front national banalement triomphant

Le premier paradoxe girondin est cette victoire, relative, mais probante : rares sont les départements, en effet, où des candidats du FN ont réussi à franchir victorieusement le second tour. Deux sièges, c’est apparemment peu, mais le succès psychologique est indéniable, comme l’a noté le supplément M du Monde [François Krug, « Le FN s’enivre dans le Médoc », 16 mai 2015, pp. 42-46]. On dispose là d’un marqueur de pénétration tout à la fois sociologique et politique.

Considérons les seuls résultats du premier tour du 22 mars 2015. Dans le Nord-Médoc, le FN a mobilisé seulement 5 556 électeurs sur 30 006, mais cela représente 37,89% des 15 372 votants – en particulier à Lesparre (35%) et Saint-Estèphe (22,63%). C’est le choc, face à un Sud-Médoc où le FN n’arrive qu’en troisième position, avec 4 858 électeurs et 27,44%, face aux 33,22% de la droite et aux 40,32% des gauches ; et cela a annoncé la victoire au second tour du binôme constitué du vigneron Grégoire de Fournas et de la secrétaire comptable Sonia Colemyn, alors que son homologue Benito Giannelli-Nataly Vigato est destiné à être battu une semaine plus tard (avec seulement 24,79% des voix, en troisième position) ; sur les 23 communes de ce Sud-Médoc, celui-ci ne vient en tête que dans six.

Feu de paille ou mascaret

L’ensemble du Médoc rassemble tout de même 10 434 votants FN au premier tour ; on peut penser que c’est seulement un sixième des 66 437 inscrits, mais c’est en réalité un bloc substantiel. Si l’on glisse en sus vers un troisième canton, Les Portes du Médoc (de Blanquefort à Parempuyre), donc bien plus près de l’agglomération bordelaise, le même scénario se réalise, avec 23,4% des votants pour le FN et 4 268 voix. Ce sont quinze mille personnes qui se sont ralliées à la bannière de Marine Le Pen dans ces trois cantons ! Impressionnant ! Ce n’est peut-être qu’un feu de paille ; cela ne se traduit pas en nombre d’adhérents et encore moins de militants, mais c’est un véritable « mascaret », comme on dirait sur la Dordogne !

Et ce courant fort recouvre aussi la rive droite, dans le canton de l’estuaire, où le score du FN Barthe Dinet est puissant (31,61% des voix et 4 713 votants), mais inférieur à celui de Robin Bosjean dans le Nord-Libournais (33,33% avec 5 694 votants). On découvre ainsi un quatuor de cantons où le FN est en tête au premier tour, mais il est second dans le Nord-Gironde (32,54%) et troisième dans quatre autres cantons de la rive droite (entre un cinquième à un quart des voix).

Tous les commentateurs ont déjà émis leur expertise sur les ondes dans la soirée des deux tours et dans la presse : on dispose donc d’ores et déjà de toutes les explications ! Je me permettrai néanmoins d’en rajouter une couche… Les sociologues et les géographes, ainsi que l’avant-dernier chapitre de mon livre « Les tabous de l’extrême-droite à Bordeaux » (paru au Festin en 2012) ont cerné « les causes profondes » de ce ressentiment sociétal et sociopolitique.

On a parlé de « la banane de la pauvreté » reliant le Nord-Médoc au Libournais et au cœur de l’entre-deux-mers ; du repli des revenus des paysans modestes et des TPE (les artisans et le petit commerce) en crise ; des aléas des revenus des néo-rurbains effectuant deux heures de trajet quotidiennes pour gagner leur emploi dans l’agglomération bordelaise mais submergés par les traites de leur emprunt immobilier ou des surcoûts réels d’une telle vie de « commuters ». Ces soi-disant petits bourgeois sont bien conscients qu’ils stagnent en fait dans l’une des strates de la classe populaire, classe où ils sont confrontés à d’autres strates, notamment d’origine immigrée.

Noyau dur

Le FN a été en tête dans toutes les communes de ce Nord-Médoc, où il a été en tête dans toutes les communes, avec 635 voix à Lesparre (11,1% des 5 700 habitants) et 579 à Pauillac, donc deux bourgades d’envergure. C’est une base forte pour le futur (les régionales et ensuite en 2017), même si le parti y a manqué (encore ?) de militants avérés et de candidats aux municipales en 2014.

De son côté, Lesparre aura gagné quant à elle un millier d’habitants depuis 1990, d’où un brassage certain, mais quel en aura été l’effet réel sur sa prospérité ? En effet, « les catégories socioprofessionnelles les mieux représentées sont les employés (35,5%), suivis des ouvriers (34,6%), des professions intermédiaires (15,1%) et des artisans, commerçants et [tout petits] chefs d’entreprise (7,3%) », indiquent les statistiques, qui précisent que la moyenne des revenus par an et par ménage y est de 12 288 € pour une moyenne nationale de 15 027 €.

Comment se fait-il qu’une commune comme Saint-Germain-d’Esteuil, qui a 1 195 habitants et 1 048 inscrits, ait vu 281 d’entre eux voter pour le FN au second tour (56,09% des votants) après 225 au premier tour ? Cela fait un cinquième de ces habitants qui, chaque jour, croisent les quatre autres cinquièmes en sachant qu’ils portent en eux leur foi pour Bleu Marine : c’est bel et bien un « noyau dur », comme on disait en finance.

Dans une commune plus petite encore, Civrac-en-Médoc, 134 des 457 inscrits et des 287 votants (ou des 277 exprimés) ont voté FN ; or la population y est passée de 500 à 600 habitants en quinze ans, d’où une tendance à une recomposition des équilibres hérités des années 1960-1980 : des groupes socio-professionnels y sont en « déclin », en situation d’assistance ou de néo-pauvreté, tandis que d’autres y viennent chercher un logement bon marché, d’où peut-être un clivage, voire un conflit sociétal, imperceptible sinon indicible. Rappelons le pourcentage d’habitants de Pauillac et de Lesparre qui vivent du RSA : 12 et 16% respectivement.

2. Le paradoxe d’une droite bousculée

Une fois de plus se pose la question de la capacité de renouvellement de la droite en Gironde ! Quand on pense que son leader aux départementales, Yves d’Amécourt, s’est fait blackbouler comme un débutant… La droite aura en fait manqué son auto-analyse après les deux tours de ces élections dites locales ; les propos tenus ont dénoncé la trop forte abstention, la faible mobilisation, les dissensions entre centristes, modérés, durs.

Il est vrai qu’on peut s’étonner que, dans un département où les élections internes de l’UMP (avant sa transformation en Républicains) avaient donné en novembre 2012 une bonne majorité à la tendance « Droite forte », donc droite bien à droite (la tendance nationale Guillaume Peltier-Geoffroy Didier), la droite n’ait pas su trouver les hommes ou les arguments pour faire front au Front…

L’UMP départementale (et sa présidente, la sénatrice-maire de Gujan-Mestras) avait dû instaurer un équilibre subtil entre les modérés juppéistes (Nicolas Florian), les sarkozystes bon teint (Yves Foulon), les durs. Ceux-ci avaient vu leur motion arriver alors en tête avec près de 25% des suffrages, à compléter par celle de Jean-Paul Garraud (13%) pour la Droite populaire, soit 38% à elles deux.

Faut-il penser que cette droite, qui avait pourtant progressé de façon spectaculaire aux élections municipales du printemps 2014, n’aurait pas réussi à transformer l’essai ? Faudrait-il suggérer que les vainqueurs locaux des grosses communes (Pessac, Saint-Médard-en-Jalles) ont comme base des territoires « privilégiés » économiquement et socialement, en boum de croissance, alors que les candidats de la droite rurale et rurbaine ont été confrontés à des territoires en crise, meurtris ? Et que, surtout, ils n’ont pas su leur apporter les mots, les projets, les « éléments de langage » (comme on dit) que ces populations attendaient ? La droite girondine saurait parler aux couches bourgeoises mais plus au peuple et aux tout petits bourgeois ?

Plutôt que de se diviser pour savoir s’il faut parler « dur » ou parler « modéré », ne devrait-elle pas plutôt tenir des journées d’étude denses – avec des politologues, des sociologues, des géographes, etc. – afin de dresser un bilan de son échec et surtout tracer les pistes de son renouveau, ce qui serait essentiel pour les élections régionales ! Bref, où sont les équivalents, pour la droite girondine, de ce qu’a (aurait) été Emmanuel Todd pour la Chiraquie en hiver 1995 ? Mais on sait que le gouvernement qui avait été constitué en 1995-1997 n’avait pas trop su « être à l’écoute » et « parler à l’oreille » du peuple ! Pas plus que Nicolas Sarkozy en mai 2012, bien qu’il prétende ex-post avoir failli gagner…

Pas de dirigeant populiste à succès

Réinventer la droite girondine : vaste défi, alors que le vivier semble pauvret ! La communauté universitaire semble en panne dans son rôle de fournisseur de figures militantes (Jean Tavernier et Jacques Valade à la région en 1988-1998, Dominique Ducassou, etc.), même si les coups subis par le malheureux professeur de Sciences Po Paris Dominique Reynié en Midi-Pyrénées-Languedoc inciteraient à rester à l’abri des amphithéâtres…

Le monde des militants manque de ces « hommes de foi » qui ont porté le gaullisme et le chabanisme pendant des lustres. À la limite, la Gironde en viendrait à jalouser les Alpes-Maritimes où s’accumulent des dirigeants « populistes » à succès ! Mais où sont les Estrosi-Ciotti-Tabarot girondins (en dehors du Bassin d’Arcachon, bien sûr) ? Où Alain Juppé peut-il trouver des « croisés » capables de repartir à l’assaut des cantons ruraux et rurbains que la droite n’a pu séduire aux départementales ? Doit-elle se contenter durablement de l’agglomération bordelaise ? A-t-elle pu s’adresser aux électeurs hors de ces territoires ?

Dans le cas contraire, cela aurait pu présager mal des résultats de Virginie Calmels, la double parachutée (municipales et régionales) face à Alain Rousset, quels que soient ses talents en communication ! [voir Émilie Travers, « Virginie Calmels, du “Loft” à Juppé », Le Point, 12 juillet 2015]. Pourtant, elle aura réussi à circonscrire ce handicap initial en conduisant une campagne qui a dû immanquablement tirer les leçons des Départementales.

3. Le paradoxe d’une transition socialiste réussie

Le troisième paradoxe paraît simple tant l’évidence frappe : les socialistes ont gardé leur fief girondin ! Et Philippe Madrelle a pu sortir la tête haute et un sourire sarcastique en coin ! Avec 38 sièges sur 66, ce n’est pas un raz-de-marée, d’autant plus que, souvent, l’avance au second tour du binôme vainqueur n’est que de quelques points sur le suivant (généralement la droite). Comment expliquer que ce qu’on a appelé « le madrellisme » a sauvé le socialisme girondin ? Qu’il ait permis de glaner ces quelques points qui ont permis aux binômes de gauche de devancer la droite, notamment dans des triangulaires encore marquées par une forte abstention ? Mon propos sera évidemment simpliste et sujet à discussion, mais j’accepte le défi…

En fait, sans éclats de voix, sans bagarres intestines – malgré quelques velléités relatées par Sud Ouest à propos de telle ou telle initiative –, malgré les envies de « bonzes » du socialisme girondin, Philippe Madrelle aura habilement conduit sa barque tactique. Il aura réussi à gommer « les verrues » d’un tribalisme heureusement modeste : la carrière de son frère, effondrée lors d’élections précédentes ; la sortie de son fils, révélé incompétent ; les frasques de l’ex-premier secrétaire fédéral du Parti socialiste en Gironde, Ludovic Freygefond, condamné à 18 mois de prison avec sursis en novembre 2014.

Une génération de « ronds-de-cuir socialos » qui patientait dans le couloir de sa succession depuis tant d’années aura été finalement été court-circuitée, soit battue aux dernières élections municipales, soit cantonnée dans des fonctions et positions sans réelle influence (sénateur, etc.) – et la « matriarche » Michèle Delaunay aura mené sa gondole avec dextérité pour incarner le renouveau sur Bordeaux malgré son âge auguste, mais sans guère de rôle départemental autre qu’éphémère (en 2004-2012). Et je ne manquerai pas de saluer la droiture morale d’un Gilles Savary (mon ex-collègue à Sciences Po Bordeaux), dont on avait susurré pendant tant de temps qu’il visait la présidence de la Gironde et qui s’est contenté de ses sièges de parlementaire européen puis français et de son rôle d’expert dans le domaine des transports publics.

Bill Gates n’aura pas gagné les départementales

De façon paradoxale, ce n’est pas le « modèle Feltesse » qui aura alimenté la locomotive de la relève girondine. En effet, le rôle de « novateur politique » qu’il avait incarné pour les dernières municipales n’aura pas résisté à ses limites militantes. Parier sur l’innovation, « les ruches », la démocratie participative, l’ingénierie de nouveaux territoires de vie, le transfert d’une sorte de modèle de Silicon Valley en Gironde, tout cela aura fasciné (moi-même compris), mais peu convaincu. Bill Gates n’aura pas gagné les élections départementales ! Et Vincent Feltesse s’est replié sur l’économie numérique du chevalier du socialisme du XXIe siècle qu’est François Hollande…

Reste donc « la Madrellie » comme bilan et comme axe d’action, incarnée par des hommes et femmes sans tromblon ni fanfare, Jean-Luc Gleyze et Isabelle Dexpert, élus en Sud-Gironde (après 35,26% des suffrages exprimés au premier tour), ou Christine Bost, sur Portes-du-Médoc Blanquefort (épaulée par Stéphane Saubusse, secrétaire régional d’EELV) (après 42,65% au premier tour). Le pari double de Philippe Madrelle (président de 1988 à 2015) aura été gagné : sauter une génération pour sa succession tout en tenant jusqu’à la veille de ses 80 ans !

Cependant, il aurait pu le perdre et l’on doit rester lucide. C’est qu’il faut chercher ailleurs que dans la pure habileté ou le sens tactique pour détecter les causes de cette victoire collective : comment les candidats socialistes, en majorité, ont-ils pu paraître crédibles aux yeux des votants ? Convaincre les votants en faveur des autres listes de gauche de ne pas se réfugier dans l’abstention au second tour ou, pire encore, de sauter vers le FN ?

Jean-Luc Gleyze a senti les mutations

Est-ce la personnalité et l’enracinement de Jean-Luc Gleyze qui lui auront permis de mener une campagne convaincante dans son canton ? Ce salarié puis responsable de la communauté de communes de Captieux en 1983-2004 (élu maire en 2014), conseiller général depuis 2004, aura pu mieux que d’autres, peut-être, détecter les cheminements de la « pensée informelle » de populations girondines décentrées par rapport à l’agglomération bordelaise, à la limite mieux qu’un Philippe Madrelle ancré dans son fief de Carbon-Blanc. « Sentir » les mutations insensibles du corps social et économique des ruraux et des rurbains était l’une des priorités pour conduire un cap convaincant – et je renvoie à son entretien dans le magazine du conseil départemental [Gironde Mag, n°110, mai-juin 2015].

Au-delà du « perçu » humain, ne faudrait-il pas évoquer « le perçu du concret » dans la majorité de cantons où la voix de la raison l’a emportée sur la passion des ressentiments ? Bref, est-ce que, ici ou là, des électeurs n’auraient-ils pas pu tenir compte d’un bilan de l’action de la majorité madrelliste ? Une réponse fiable est de la responsabilité des socio-politistes, bien entendu, mais je tenterai de suivre quelques pistes.

Je suis inspiré par un document d’étude publié par le Conseil général lui-même, donc suspect de parti-pris, j’en conviens bien volontiers… Celui-ci a en effet commandité « Vers un livre blanc des territoires girondins ».

Étape 1 : Partageons le diagnostic qui, en 92 pages, scrute les enjeux de l’action à mener par le tandem leader Jean-Luc Gleyze-Christine Bost, consacrée d’ailleurs première vice-présidente « en charge des synergies, stratégie et développement des territoires ».

Économistes, géographes et socio-politistes (et même les historiens économistes) ont tous ce mot de « territoire » à la bouche. Le simple fait que, au terme de plusieurs trimestres d’études savantes, détaillées et fines, menées au sein des services du conseil général et des rencontres entre mille participants issus de ces services en novembre-décembre 2014 (p. 5), on découvre ce document qui a mûri pendant plusieurs mois. Il permet, à mon sens, de mieux comprendre que le discours des candidats socialistes ait pu mieux « porter » auprès des couches sociales « en demande de considération » que les propos « politiciens » clivants habituels. Ce n’est qu’une hypothèse, évidemment, mais pourquoi ne pas l’introduire dans la réflexion ?

Grande aire par grande aire, ce document établit des éléments de diagnostic (démographie, économique, social, scolaire et culturel), des cartes de flux territoriaux, et, surtout, procure un « zoom sur les enjeux et leviers en matière de solidarité humaine ». On croit ou on ne croit pas dans ces derniers termes ; mais, sur le fond, ils correspondant à des modes de réflexion et d’action bien précis, puisque le document entend « garantir la solidarité départementale par un aller-retour permanent entre l’échelle territoriale et l’échelle départementale ».

Ce document reconnaît explicitement (p. 8) « la fragilité et la vulnérabilité persistantes de certains territoires », que « 180 000 Girondins vivent sous le seuil de pauvreté » (p. 9), bref, que la mission du Conseil général/départemental est de batailler pour combler peu ou prou ces disparités sans paraître néanmoins entretenir la fameuse « société de l’assistanat » dénoncée par la droite et l’extrême-droite, donc sans alimenter l’acrimonie des adversaires politiques. Au fond, on retrouve dans ce document la philosophie du centre-gauche : agir en réformiste tandis que l’extrême-gauche ou le Front de gauche n’actionne que la dénonciation du « système ».

Sans apparaître comme un ferment d’intellectualisme de gauche « à la Feltesse », le madrellisme aura tout de même réussi à brasser des idées en vue d’une « Gironde 2033 : préserver notre cadre de vie par un territoire polycentrique autour de sa métropole » (p. 23), autour de « pôles structurants métropolitains » et de mini- « pôles d’équilibre », à doter de services collectifs de bon aloi, portés à bout de bras par le Conseil départemental. Petite enfance, famille, personnes âgées et handicapées, « prévention des exclusions et développement social », « insertion », jeunesse, collèges et éducation, culture et lecture, sport et vie associative : ce sont là des objectifs banalement classiques ; mais en dresser un bilan précis, discuté de façon ouverte (mais non publique, contrairement au « feltessisme ») aura peut-être permis d’alimenter la campagne en autant de mini-programmes sociaux et sociétaux, concrets, en une sorte de « politique appliquée », différente des généralités politiciennes droite/gauche ou de la simple évocation de « proximité » par une droite marquée par le slogan creux, Gironde positive. « Zoom sur les enjeux et leviers en matière de solidarité humaine », telle est la priorité récurrente.

Moins de mots, plus de marqueurs d’action sociale

Cela dit, l’accumulation auto-persuasive constitue, on le sait, le risque de tout document de ce type… Mais des indices laissent accroire que le fossé entre mots et action ne se serait pas creusé de façon dramatique en Gironde. Déjà, à fréquenter le président sortant, sa force de conviction, dans ses fiches de discours si nombreux devant tant de publics, aura constitué un marqueur indéniable ; s’il n’aura pas été un « grand homme » politique, il aura été un homme de conviction (tout autant qu’un « fin politique »). Il faudrait que les collègues académiques en apportent les preuves ; j’ai moi-même suivi, dans un master de Sciences Po Bordeaux, la politique de Gironde Habitat, sa reconstruction budgétaire, certes, au début, mais surtout ensuite sa stratégie de diffusion du logement social dans les bourgades, de façon diffuse, « éclatée », afin d’éviter les concentrations de familles « pauvres » dans de nouveaux « grands ensembles ».

Au fond, le madrellisme, sans emphase, aura tenté une stratégie d’enracinement de l’action sociale dans la profondeur de territoires ruraux et rurbains, avec également leur irrigation par des services sociaux et culturels d’ultra-proximité. Il faudrait des mémoires de recherche sur ces thèmes : aux collègues de les initier ! Et il serait à coup sûr ambitieux de prétendre que ce serait cette osmose entre stratégie d’action sur plusieurs mandats et des mots exprimant une force de conviction réelle qui pourrait expliquer à elle seule le succès relatif (de quelques points de pourcentage en fait, malgré la majorité en sièges) de la gauche madrello-gleyzienne.

Mais on retrouve quelque peu le même profil que la gauche qui a gagné les élections municipales à Grenoble (Éric Piolle, avec les écologistes) et à Montpellier (avec Philippe Saurel) : moins de mots politiciens et plus de marqueurs d’action sociétale et sociale. Ce sont des pistes à suivre, en tout cas ! Et les réactions des lecteurs de ce texte sur le site de Rue89 Bordeaux ne manqueront pas d’enrichir le débat !


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