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2035, 45°C à Bordeaux

Depuis une dizaine d’années, les Bordelais sont habitués à des températures dépassant souvent les 35°C. Mais cet été 2035, c’est la canicule, 45°C, et la préfecture doit réagir. C’est le scénario d’un serious game que proposait mardi à Darwin, le Vertigo Lab. Objectif : mieux comprendre les enjeux de la COP 21 et la complexité des négociations.

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2035, 45°C à Bordeaux

Chercher de la fraîcheur sur le miroir d'eau (Tom Bradnock/flickr/CC)
Chercher de la fraîcheur sur le miroir d’eau (Tom Bradnock/flickr/CC)

« Quelle chaleur ! » lance un des participants pour rire, en rentrant dans la salle… Il ne faut pas tant d’imagination que ça pour s’imaginer en pleine canicule en ce mardi 1er décembre. Dehors, la température moyenne affiche 11°C contre 16° la veille. Mais l’heure n’est pas aux bavardages météorologiques.

Le Préfet a réuni autour de lui une quinzaine d’acteurs des secteurs publics et privés pour élaborer un plan d’action. Ou plutôt un maître du jeu a convié quinze joueurs à plancher sur les solutions d’urgence à mettre en place : comment faire face à la canicule qui s’abat dans la région – 45° en cet été 2035 ?

« Pour sensibiliser aux enjeux du climat, rien de tel qu’endosser durant quelques heures la casquette  d’un des acteurs, et avoir une vue d’ensemble de tous les protagonistes », explique Nastasia Keurmeur.

Elle est chargée d’études au Vertigo Lab, un bureau d’étude spécialisé en économie et gestion de l’environnement, basé à Darwin, et à l’origine de ce « serious game » proposé dans le cadre de Place to B Bordeaux.

Nastasia Keurmeur a distribué un rôle à chaque volontaire, le jeu peut commencer. J’hérite de celui du représentant d’Areva. Je ne devrais pas avoir que des alliés mais avec l’État français qui contrôle directement ou indirectement 86,52 % du capital du fabricant de réacteurs nucléaires, je disposerai de l’oreille attentive de l’apprenti-préfet.

« Il faut montrer que l’on ne reste pas les bras croisés, il faut des actions rapides, martèle ce dernier, très impliqué dans son rôle, mais il faut aussi des actions sur le long terme, cette crise n’est pas la première : souvenez-vous en 2003, en 2016, en 2022 sans oublier la plus récente il y a 2 ans. »

Viticulteur, représentant du tourisme, des maisons de retraite, des sapeur-pompiers… les parties prenantes s’activent dans la salle pour monter des alliances et défendre, à plusieurs, le budget de leur plan d’action.

Des simulations inquiétantes

Des chiffres (véridiques, eux) sont utilisés pour le jeu. Ils sont issus notamment du rapport du climatologue et membre du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat) Hervé Le Treut qui s’est intéressé aux « impacts du changement climatique en Aquitaine », une des régions de France où le réchauffement risque d’être le plus fort.

A la lecture de la fiche détaillée remise à chaque joueur, il y a de quoi s’inquiéter : « Sur la vigne, les simulations (…) permettent d’envisager pour le cépage Merlot à Bordeaux une avancée de la date de floraison et de la date des vendanges d’environ 40 jours pour la fin du siècle », souligne la viticultrice. Idem pour les arbres fruitiers. Quant au maïs, son rendement avait déjà diminué entre 2007 et 2010. Alors en 2035…

Thomas, du lobby de l’air conditionné, tente de rallier à ses intérêts les représentants du tourisme, des maisons de retraite et des transports (KLC/Rue89 Bordeaux)

Partenaires particuliers

Dans la salle de crise, la responsable des maisons de retraite discute avec le lobbyiste de l’air conditionné. Les agriculteurs se sont rapprochés de la DREAL (direction régionale de l’environnement) et de la DRAAF (direction régionale de l’agriculture et de la forêt) pour mettre en place des solutions d’irrigation rapides.

Quand à moi, j’approche d’abord « Mr Air conditionné » en m’appuyant sur une déclaration de 2003 d’un responsable de RTE (réseau de transport d’électricité), selon laquelle « pour chaque degré de température au-dessus de 25 degrés, la France consomme environ 250 à 300 mégawatts supplémentaires. Ce qui représente grosso modo la consommation de la ville de Nantes ». De quoi réfléchir sérieusement à un partenariat, non ?

Alliances contre-nature

C’est finalement un partenaire plus inattendu qui m’invite à sa table : le représentant des entreprises du secteur des énergies renouvelables. « J’hallucine ! » dit un joueur dans notre dos. « Vivement 2035 » ajoute un autre…

Pourtant, en 2035, la plus grosse partie de la production énergétique française provient (encore) du nucléaire, alors que les centrales sont menacées chaque été de devoir arrêter leurs réacteurs faute d’eau suffisante (ou suffisamment froide) pour les refroidir.

Mais le représentant des énergies renouvelables soutient ma demande de barrage pour refroidir « mes » réacteurs, à condition qu’ils serviront aussi à produire de l’électricité hydraulique. Il s’engage à me laisser entrer dans le capital des sociétés locales d’énergies renouvelables.

Et puisque nous sommes en Gironde, nous profitons des 126 km de façade sur l’océan pour proposer d’intensifier le développement de l’énergie éolienne mais aussi houlomotrice (l’énergie des vagues). On s’y croirait.

Faire bouger les lignes

« Je voulais voir si ce type de simulation pouvait se transposer dans l’agence avec nos adhérents », explique Lionel Defranoux. Le représentant des énergise renouvelables dans le jeu, est, dans la vraie vie, directeur de l’agence régionale pour la biodiversité. Ses adhérents sont des collectivités, des associations de défense de l’environnement, la fédération de chasse, de pêche, mais aussi des entreprises et des chercheurs. Autant de voix qui sont souvent difficiles à accorder.

« C’est ce type d’action qui permet de faire bouger les lignes, ça peut être intéressant de leur faire défendre les intérêts inverses. »

Thomas, le joueur qui incarnait le lobby de l’air conditionné renchérit :

« A partir du moment où on a une casquette, on se met à la place de l’autre, on cherche des arguments. »

Après deux heures de débats, le préfet fait part des arrêtés qu’il prendra immédiatement comme l’interdiction de circuler en voiture dans les centres-villes ou d’irriguer les cultures durant la journée. Il annonce aussi la création d’un institut pour aider les agriculteurs à adapter leurs méthodes et leurs semences aux conditions climatiques et malgré la petite enveloppe qui lui était alloué, notre duo a obtenu gain de cause pour intensifier la recherche en énergies marines. Pour certains la santé a été trop privilégiée, pour d’autre c’est l’agriculture, mais l’aide débloquée pour la société civile fait l’unanimité : elle doit permettre de recruter des citoyens bénévoles pour sensibiliser la population aux bons gestes à avoir pour lutter contre le réchauffement et rendre visite aux personnes isolées, principales victimes des périodes de canicule.

Dissert en 3D

Alors que les lumières de Darwin se sont éteintes depuis un moment (économie d’énergie oblige) certains des participants ont du mal à se détacher de leur rôle. D’autres, comme Marie-Zélie sont songeurs :

« Là ce n’était qu’à une échelle locale et pourtant c’était déjà difficile de tirer son épingle du jeu, je n’ose pas imaginer comment se passent les négociations au niveau national ou mondial. »

« On se rend compte que tout est important, l’agriculture, la santé, la distribution de l’eau, l’énergie mais aussi la sensibilisation » ajoute son voisin, qui incarnait la « société civile ».

Marie, 23 ans, et agricultrice d’un soir, a l’impression de vivre en trois dimensions, la dissertation qu’elle avait dû rendre pendant ses études en relations internationales :

« Le sujet était : “Pourquoi un blocage international autour du climat ?”.  Tout tournait autour de l’argent. C’est là que les simulations ont leur rôle à jouer : comprendre que les changements doivent commencer ici, à notre niveau. René Dubos le disait déjà en 1972 : “Penser global, agir local !” On y est».


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