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Déluge de critiques sur le projet du Parc Lescure

Destruction, bétonnage, défiguration sont dénoncés par le collectif Préservons Lescure dans lequel se retrouvent plusieurs associations de riverains du stade Chaban-Delmas. Ils défont point par point le projet d’aménagement mené par Vinci et l’architecte bordelais Pierre Ferret.

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Déluge de critiques sur le projet du Parc Lescure

Le Stade Chaban-Delmas dans la tempête ce lundi (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Le Stade Chaban-Delmas dans la tempête ce lundi (XR/Rue89 Bordeaux)

Comme pour répondre d’emblée aux critiques avancées côté municipalité sur le « nimbysme » (« not in my backyard », pas dans mon jardin) des riverains, Marc Saboya prévient : « Notre propos n’est pas réactionnaire. » Ce professeur d’Histoire de l’art est entouré ce lundi d’une vingtaine de riverains du stade Chaban-Delmas. Ensemble, ils forment le collectif « Préservons Lescure », composé d’une grosse poignée d’associations d’habitants regroupant 800 adhérents, assurent-ils. Ensemble surtout, ils montent au front contre le projet d’aménagement de l’ancien Parc Lescure.

Avec la construction du nouveau grande stade de Bordeaux, le stade Chaban-Delmas et sa plaine des sports accolée doivent faire peau neuve. La réflexion commence en 2012 avec un appel à idées. L’année suivant, les concertations publiques s’enchaînent avant le lancement d’un appel à projets. En juin 2015, le duo vainqueur est désigné : l’architecte bordelais Pierre Ferret et le promoteur Adim, filiale du groupe Vinci remportent la mise.

L'avant projet promet une coulée verte du boulevard au jardin de la Béchade (Atelier Ferret Architectures)
L’avant-projet promet une coulée verte du boulevard au jardin de la Béchade (Atelier Ferret Architectures)

En novembre dernier, le cabinet d’architecte transmet son avant-projet et promet que les cinq engagements pris en 2013 seront tenus : le patrimoine sera préservé et utilisé, les travaux à venir le respecteront, la pratique du rugby sera maintenue, l’identité sportive du lieu sera affirmée et le site sera plus accessible en s’ouvrant aussi sur le parc de la Béchade. Mensonges, s’insurgent les opposants dont certains sont membres du comité de pilotage.

Les marchands du temple sportif

Sur les projections d’Adim Sud-Ouest, le stade, les tribunes couvertes du terrain de pelote, le centre d’athlétisme, l’entrée depuis la barrière d’Ornano et la grande arche donnant sur les boulevards sont bien conservés. Pourtant, les opposants ne s’en réjouissent pas : les qualités architecturales du lieu seraient selon eux au mieux cachées, au pire détruites.

D’abord, les grilles tombent. Le lieu s’ouvre sur le quartier et permet une circulation totale entre le stade, la plaine des sports, le jardin de la Béchade et surtout les nouveautés : les boutiques et lotissements.

Le stade Chaban-Delmas, dont l’accès se fera au pied des tribunes, devrait perdre 10000 sièges en passant de 34694 à 25000 places (voir encadré) et pour cause les parties haute des populaires virages Sud et Nord seront détruites pour faire… des salons de réceptions. Pas sûr qu’on y retrouve le même public. Des loges viendraient aussi prendre leur place dans la tribune présidentielle.

L'arche du Parc Lescure donnant sur le boulevard (Atelier Ferret Architectures)
L’arche du Parc Lescure donnant sur le boulevard (Atelier Ferret Architectures)

Un monument Art Déco

Promis, malgré les aménagements, l’intégrité architecturale sera préservée mais dans les faits les salons demandent un plateau pour le sol et donc des murs pour le porter, des vitres pour couper le vent et donc des pylônes pour maintenir celles-ci.

Marc Saboya déplore qu’on touche à ce monument Art Déco et à « l’audace technique » de ces voûtes de béton armée qui avancent dans le vide et forment une vague :

« C’est un espace sportif typique de ceux des années 1930 qui pour la plupart du temps ont tous été détruits, comme à Lyon et à Toulouse. C’est un exemple unique d’un patrimoine auquel nous tenons. »

A l’extérieur des tribunes, sept escaliers vénitiens sont voués à disparaître. Au pied et en face de la tribune Nord, des boutiques formeront le « passage Lescure » qui « nous baladera entre l’architecture 1930 du stade et de nouveaux commerces contemporains ». Le document officiel de l’avant-projet évite de peu le poncif « entre tradition et modernité » mais n’est toujours pas du goût du collectif Préservons Lescure qui dénonce une « opération mercantile » avec 6500 m² dédiés aux commerces.

Le Passage Lescure supprime les escaliers ajoute des boutiques (Atelier Ferret Architectures)
Le Passage Lescure supprime les escaliers et ajoute des boutiques (Atelier Ferret Architectures)

La plaine des sports deviendrait « jardin sportif » se réduisant presque de moitié selon les comptes de l’association de Défense et animation du lotissement des Camélias à la barrière de Pessac passant de 2,7 ha à environ 1,5 ha. Jean-Louis David, maire adjoint du quartier, s’en défend :

« N’importe quel individu remarque en regardant un plan que les espaces sportifs sont augmentés. Mais bon quand on a envie d’être contre quelque chose, on a du mal à ouvrir les oreilles. »

Actuellement, le lieu est ouvert à tous sous l’œil du gardien. Entre les riverains et les cours de sports des écoliers, entre 550 et 1000 personnes la fréquentent chaque jour.

Sous les Moga, des logis

La piste réglementaire d’athlétisme (400 m) serait remplacée par une piste plus petite non normée pour les athlètes et un parcours d’endurance de 400 m. La piste de 110 m haie, le sautoir de lancer de poids et les espaces collectifs libres disparaîtraient, au même titre que le gymnase, les salles de boxe, de musculation installés dans les deux annexes construites par Michel Moga en 1998. Ce « alors que dans l’appel à projets, il est dit qu’il est inconcevable de démolir le centre sportif Albert Thomas », note le collectif. La mairie dément.

A la place, 323 appartements et chambres sortiront de terre ; « une population intergénérationnelle : des séniors, des étudiants, des nouveaux Bordelais, de jeunes actifs », indique la brochure.

Alain Juppé s’est réjoui de l’avancée du dossier Lescure, vendredi dernier lors de ses vœux à la presse, tançant au passage les riverains :

« On voit se dessiner un projet intéressant avec le maintien du stade à 25000 places, une offre commerciale qui n’existe pas aujourd’hui dans le quartier, le maintien d’équipements sportifs de proximité et sans doute quelques droits à construire pour des maisons de ville, de petits immeubles et une résidence étudiante. Cela va permettre l’ouverture de ce site aujourd’hui complètement fermé, ce qui est dommage. Mais le projet se heurte aux préoccupations des habitants dont la principale ambition est que rien ne change. »

« C’est du bétonnage ! » estime un membre du collectif. François Lannet, riverain du parc, explique sa surprise :

« Depuis 2013 et le premier comité sur le devenir de Lescure, à aucun moment n’a été évoquée la construction de logements. On a découvert ça en décembre dernier [en recevant l’avant-projet, NDLR]. »

Dans les virages, des salons apparaissent (Atelier Ferret Architectures)
Dans les virages, des salons apparaissent (Atelier Ferret Architectures)

L’actuel terrain de pelote et ses tribunes adjacentes deviendraient les murs d’un espace multisports bien trop petit selon le collectif qui croit savoir que les scolaires seraient d’ores et déjà ré-orientés vers d’autres terrains. Il pointe aussi du doigt des terrains de tennis mal orientés, pas protégé par des grilles ou filets et imagine que des soucis de cohabitation entre futurs habitants et sportifs très tardifs sont à prévoir. Le mystère plane aussi autour de la « brasserie insolite » qui s’installerait dans le petit gymnase.

« Rien n’est figé »

Henri Bourguinat, grand nom de la recherche en économie internationale et habitant le quartier depuis 50 ans, se mêle aux frondeurs :

« Le dossier évolue très vite et se complexifie. En aparté, à Alain Juppé, je lui ai dis que son projet ne tenait pas. Il m’a dit que nous étions des égoïstes privilégiés. Ne nous faisons pas d’illusions, le débat va se durcir face à un tel rouleau compresseur. Nous allons changer de braquet, négocier et durcir notre action. »

Il a adressé au maire de Bordeaux une note de trois pages expliquant pourquoi le projet n’était pas viable. La pétition lancée par le collectif à l’automne dernier a accumulé 1500 signatures. Le collectif espère une intervention de l’Unesco.

Jean-Louis David tient à rassurer :

« Rien n’est figé. Il y a de vraies questions : il peut y avoir des problèmes de tranquillité nocturne. Est-ce qu’on ferme la plaine le soir ? C’est en suspens. Par rapport aux escaliers du stade, l’architecte dit que si c’est un préalable, on n’est pas obligé d’y toucher. Sur la piste d’athlétisme, il faut retravailler le sujet. On est encore dans la phase d’avant-projet. Un point me chagrine : une vision passéiste des choses face à une vision moderniste des choses. Est-ce qu’on veut que l’édifice de Lescure reste dans son jus et devienne obsolète rapidement, ou on veut en faire autre chose ? Il faut ouvrir tout ce lieu. Il faut en profiter de cet endroit. »

Tous les mercredis et vendredis, il tient une permanence dans le hall de la plaine des sports où se trouve aussi une exposition. Les discussions avec le comité de pilotage restent ouvertes. Deux réunions vont se tenir prochainement, sur le patrimoine et sur les commerces.

Le dossier retravaillé par les architectes devrait être soumis au conseil municipal en juin. Mais ne se sentant pas écoutés, les opposants s’interrogent déjà sur une saisine du Tribunal administratif.

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