Parler des premiers réfugiés climatiques français dans le cas des 72 copropriétaires du Signal est sans doute un poil exagéré. Mais l’affaire de cet immeuble de Soulac (Gironde), évacué de ses occupants il y a deux ans, contient aussi sa part de détresse humaine – celle de ces habitants pas franchement bling-bling, et qui ont dû vider les lieux, sans indemnité, ni le droit de vendre ou de louer leur appartement, menacé par l’érosion marine. Pour certains, c’est une partie de leur retraite qui partait ainsi en fumée. Pour d’autres, davantage encore :
« C’était ma résidence principale, un trois pièces acheté 125000 euros en 2005, après avoir décroché mon premier CDI à Soulac, témoigne Bruno Campiglia. Mais j’ai été licencié et depuis l’évacuation en 2014 j’ai dû déménager 4 fois, car je ne peux accepter que des jobs où je suis logé. Avec mon salaire actuel de 2300 euros, je ne peux en effet pas payer en même temps un loyer et mes traites du Signal (550 euros par mois pour rembourser un prêt sur 25 ans). »
Alors ce mardi, Bruno Campiglia a fait le déplacement depuis Narbonne pour assister à l’audience de la cour administrative d’appel, à Bordeaux, aux côtés d’une quarantaine de membres du syndicat de copropriétaires du Signal.
Ubuesque
En première instance, le 25 septembre 2014, le tribunal administratif avait rejeté leurs requêtes contre la commune de Soulac, la Communauté de communes de la Pointe du Médoc, et l’État. Les plaignants accusaient les deux collectivités locales étaient de n’avoir pas protégé la plage et l’immeuble des avancées de l’océan, et demandaient à bénéficier du fonds Barnier, destiné à financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur.
Las : le tribunal n’a pas considéré l’érosion du trait de côte comme un « mouvement de terrain », qui aurait ouvert des droits à une telle indemnisation.
« On a été traité avec inhumanité, estime Bruno Campiglia. On n’a rien fait à personne, personne ne nous a dit qu’il ne fallait pas acheter là, c’est une situation ubuesque. On se retrouve avec des appartements dont on ne peut rien faire, et qui ont été saccagés. On ne demande pas 300000 euros, mais une indemnité pour pouvoir revivre tranquillement. Pourquoi les gens y ont droit ailleurs et pas nous ? »
Un autre copropriétaire rappelle que l’État est prêt à racheter 1,5 million d’euros le bâtiment de Soulac, alors que l’évaluation du Signal s’élève à 10,9 millions d’euros. « Une aumône », estime-t-il puisque chaque propriétaire toucherait alors 12000 euros.
Au bord de la falaise
Vincent Duprat, retraité bordelais possédant également un appartement au Signal, sort de sa poche un article de Paris Normandie, relatant le rachat par l’Etat, grâce au Fonds Barnier, de deux maisons près d’une falaise menaçant de s’effondrer du fait de l’érosion. L’information sera d’ailleurs utilisée dans sa plaidoirie par Corinne Lepage, l’avocate des résidents du Signal :
« L’État rachète des maisons sur des falaises, pourquoi hésite-t-il dans le cas du Signal ? Parce que c’est un immeuble collectif et que cela coûte plus cher. »
En outre, cela créerait un précédent judiciaire, analyse en aparté l’ancienne ministre de l’environnement du gouvernement Juppé… Selon elle, « la loi Barnier ne précise pourtant pas si le terrain doit être argileux ou sableux, ni quelles doivent être les causes du mouvement de terrain ».
Mais ce mardi, petit coup de théâtre : lors de la présentation de ses conclusions, Deborah de Paz, rapporteur public, reconnaît la « réalité inexorable du recul du trait de côte » – en 1970, lors de la construction du Signal, l’océan était à 200 mètres de l’immeuble, il est aujourd’hui « à moins de 10 mètres » – et estime que l’érosion est un domaine permettant bien une indemnisation par le fonds Barnier… sauf s’il existe des alternatives moins chères à l’expropriation.
Or Déborah de Paz rappelle que des études ont estimé l’installation de dispositifs anti érosion de la plage du Signal entre 2,5 et 17 millions d’euros. Donc moins que les 10,9 millions du Signal.
« 50% du chemin »
« Le rapporteur a fait 50% du chemin », se réjouit à la sortie de l’audience Corinne Lepage, après avoir estimé que la cour devra trancher une difficulté : reconnaître l’expropriation des 72 appartements du Signal, ou opter pour « des travaux moins chers et totalement virtuels », les collectivités locales ayant renoncé, faute de moyens, à construire des digues pour prévenir l’érosion à cet endroit.
Soulac a en effet privilégié la protection de la plage de l’Amélie, investissant plus de 5 millions d’euros depuis 2003 dans un enrochement de 600 mètres, malgré la promesse alors faite par le maire, Xavier Pintat, de consacrer une partie de cette somme à la lutte contre l’érosion devant le Signal.
« Du pipeau, aucun travaux sérieux ne seront jamais réalisés », accuse Corinne Lepage devant la cour administrative d’appel, qui rappelle que « le choix de favoriser l’Amélie a eu des conséquences considérables : au Signal, le taux d’érosion a considérablement augmenté, passant de 2 à 5 mètres par an. Qui est propriétaire à l’Amélie ? M. Pintat, toute sa famille et deux conseillers municipaux ».
Autruches
L’avocat de la mairie de Soulac et de la communauté de communes des Portes du Médoc, Cyril Cazcarra a plaidé que la deuxième tranche de travaux, prévue pour le Signal, n’avait pu être menée en raison du retrait de partenaires financiers.
Et l’avocat a défendu la validité de la loi de 1807 sur l’assèchement des marais, sur laquelle s’appuie la commune car son article 33 stipule que « contre l’invasion des flots, les collectivités publiques ne sont pas tenues de construire des ouvrages de protection»… Cette responsabilité incomberait aux riverains, ce que contestent les propriétaires du Signal : ils demandent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’encontre de cette loi napoléonienne. Corinne Lepage la juge « obsolète », contradictoire avec l’article 5 de la Charte de l’environnement, et « inapplicable » puisque le Signal se trouvant désormais sur le domaine public maritime, ses copropriétaires n’ont pas le droit d’y construire quoi que ce soit.
Maître Cazcarra estime au contraire qu’une décision du conseil constitutionnel s’est fondée le 24 mai 2013 sur cette loi de 1807, suite à une QPC visant elle aussi l’article 33.
Bref, au Signal, tout le monde met la tête dans le sable. Le délibéré, attendu le 9 février prochain, dira qui doit cesser de faire l’autruche.
Aller plus loin
Sur Rue89 Bordeaux :
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