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Bordeaux : les voisins du Jardin de ta soeur sont amers

L’installation à la rentrée prochaine une école provisoire dans le Jardin de ta sœur, un des rares espaces verts de Bordeaux Nord, suscite la fronde de riverains, associations et élus du quartier. Ils s’interrogent sur les capacités du quartier à accueillir correctement ses nouveaux habitants.

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Bordeaux : les voisins du Jardin de ta soeur sont amers

Les chiens aboient, mais les préfabriqués passeront au Jardin de ta sœur (SB/Rue89 Bordeaux)
Les chiens aboient, mais les préfabriqués passeront au Jardin de ta sœur (SB/Rue89 Bordeaux)

Ce mardi en fin d’après-midi, un petit groupe papote sous les arbres du Jardin de ta sœur, entre deux lancers de frisbees pour faire courir leurs chiens. Les cabots s’ébrouent (ou défèquent) à l’endroit précis où, dans cet espace vert au nord des Chartrons, des préfabriqués seront posés pour accueillir 6 classes d’écoliers.

Destinée aux nouveaux habitants des Bassins à flot, cette école modulaire est censée pallier au projet initialement prévu rue de la Faïencerie, et reporté suite à la découverte d’une pollution radioactive du sol. Ce qui a entraîné une surcharge dans les établissements scolaires de Bordeaux Nord.

Mais lorsqu’on aborde la rentrée des classes au Jardin de ta soeur avec les cinq promeneurs, leurs poils se hérissent. Ils regrettent notamment d’avoir été mis par la mairie devant le fait accompli, en janvier dernier.

« Ils sont en train de détruire l’état d’esprit du quartier », lâche Bérenger, 34 ans.

Conflit d’usage ?

Originaire de Melun (Seine-et-Marne), il dit avoir rencontré ses voisins grâce au jardin, où l’on vient faire prendre l’air aux clebs. Et si il est théoriquement obligatoire de tenir ceux-ci en laisse, nul doute selon Bérenger que le règlement sera désormais strictement appliqué pour ne pas effrayer les écoliers.

Adjointe au maire de Bordeaux en charge de l’éducation, Emmanuelle Cuny promet qu’il n’y aura « pas de conflit d’usage » :

« L’école modulaire n’occupera qu’un tiers de la surface du Jardin de ta sœur, et sera installée en grande partie sur une parcelle pas encore ouverte au public. »

Il n’empêche que l’arrivée d’une centaine d’enfants inquiète les voisins immédiats du jardin, comme Angélique, 20 ans :

« Avec les cris des gosses sous ma fenêtre, ce sera impossible de faire la sieste l’après-midi, raconte cette pâtissière qui travaille de 4h à 13h. C’est une des raisons pour lesquelles nous allons déménager en juin. »

« Urbanisation excessive »

Et Angélique n’est pas la seule à vouloir quitter le coin, assure-t-elle : plusieurs propriétaires chercheraient à vendre leur appartement donnant sur le jardin. « C’est tellement rare en plein centre-ville d’avoir vue sur un parc, ils vont se retrouver avec vue sur des algécos…. »

« Personne n’est content, renchérit Bérenger. Les familles des écoliers, dont certains viennent de région parisienne pour vivre à Bordeaux, ne vont pas être ravies de mettre leurs enfants dans des préfabriqués, qui risquent de durer plus de trois ans. Moi j’ai fait presque toute ma primaire, du CE1 au CM2 dans des algecos qui ne devaient pas durer autant… »

Les parents d’élèves de l’école Joséphine voisine ont d’ores et déjà lancé une pétition, signée par 118 personnes. Adressée à Emmanuelle Cuny, adjointe au maire de Bordeaux en charge de l’éducation, et  Nathalie Delattre, maire adjoint du quartier Bordeaux Maritime, elle dénonce « l’urbanisation excessive du quartier », qui entraîne « un problème de sureffectif dans les écoles » :

« La ville de Bordeaux n’a pas su anticiper et créer à temps les infrastructures nécessaires à l’accueil de ces nouvelles familles et se retrouve à proposer des solutions de bricolage. (…) Nous demandons aux pouvoirs publics un engagement contractuel concernant cette durée maximum de 3 ans (pour l’école installée dans le Jardin de ta sœur, NDLR) et le lieu de la future école dont les portes ouvriront en septembre 2019. Nous demandons également que le préfabriqué déjà présent dans la cour de l’école Joséphine soit supprimé à la rentrée 2016. »

Pas d’autre terrain disponible

Suite à une réunion publique à Bacalan sur les projets éducatifs à Bordeaux Nord, l’affaire a pris un tour politique, avec l’intervention des élus socialistes du quartier, les conseillers départementaux Philippe Dorthe et Corinne Guillemot :

« Dans ce quartier en pleine mutation (5000 logements programmés), comment la ville n’est-elle pas capable, en lien avec la promotion immobilière qui profite largement de cette politique d’urbanisation, de trouver rapidement un autre terrain définitif, sans être obligée de passer par une phase provisoire, qui va immobiliser un espace vert pendant plus de trois ans, dans un quartier déjà très construit ? »

Interrogée par Rue89 Bordeaux, la maire adjointe de Bordeaux Maritime, Nathalie Delattre réplique d’une part que la mairie ne pouvait anticiper les conséquences de la pollution au radium, découverte dans une petite partie du sous-sol, et provenant de terres de remblais, et non des activités précédentes du site.

D’autre part, elle répond qu’il n’est « pas facile de trouver un terrain disponible aux Bassins à flot, car ceux-ci ont tous été achetés ».  L’hypothèse d’un terrain à côté de l’usine de traitement des eaux usées, rue Louis Fargue, a été écartée « pour le confort des enfants », à cause des mauvaises odeurs.

Une pierre dans le jardin

Nathalie Delattre annonce enfin qu’une réunion d’information se déroulera le 10 mars avec Bordonor et les associations à l’origine du Jardin de ta sœur, étonnés de ne pas avoir été consultés sur l’avenir d’un espace vert sauvé in extremis d’un projet immobilier, et conçu avec la Ville.

Un peu tard, selon la députée socialiste de la circonscription Sandrine Doucet, qui a pointé dans un communiqué « l’absence de concertation sur ce projet », et la « destruction d’un lieu porté par les habitants et les associations du quartier, les privant du même coup du seul espace vert accessible sur le quartier, et d’un lieu vecteur de lien social, de partage et de culture(s) ».

« 6 classes, cela aura forcément un impact sur tout le jardin, estime Jean-Philippe Lasfargues directeur du centre social de Bordeaux Nord. Et la mairie ne peut pas traiter ce jardin comme un terrain comme les autres, alors qu’une charte établie en 2004 établit un mode de gouvernance entre la Ville et le collectif. Cette décision prise sans concertation témoigne d’une certaine maladresse. On comprend bien que le jardin appartient à la Ville, et que celle-ci soit un peu coincée au niveau des possibilités de création d’école. Mais il fallait sans doute mieux anticiper. Sa décision vient anéantir 12 ans de travail de concertation et la confiance établie entre la Ville, les associations et les habitants. »

Au delà du Jardin de ta sœur se pose la question de la pression démographique sur le quartier, poursuit Jean-Philippe Lasfargues :

« Les immeubles sont livrés très vite et les gens arrivent, alors que nous avons un manque crucial d’équipements. L’école Joséphine a un préfabriqué, l’école Sousa Mendez a dû être agrandie un an après sa livraison… Nous n’arrêtons pas d’alerter sur les conséquences de cette pression démographique, sans comprendre pourquoi on n’est jamais entendu. Résultat, on va rogner sur le seul espace vert conséquent du quartier, un lieu apaisant et de socialisation. »

La mairie espère que les livraisons dans les prochaines années de deux groupes scolaire, l’un rue Delbos, à Bacalan, l’autre rue Bourbon, au nord des Chartrons, permettront de faire retomber cette pression. En attendant, elle doit se dépatouiller avec cette pierre dans son jardin. Enfin, celui de ta sœur.


#Bassins à flot

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