Des défilés haute coiffure aux revues de cabaret, des salons aux performances vidéos, Charlie Le Mindu a élargi ses horizons créatifs au fil de ses expériences à Berlin, Londres ou encore Paris. On lui doit notamment certaines perruques de Lady Gaga, rien que ça. Originaire du Médoc, l’artiste inspiré et excentrique revient sur ses terres pour une expo haute en couleur avec le cheveux comme matière brute, qu’il transforme, redéfinit et sublime à travers ses sculptures capillaires. Rencontre.
Rue89 Bordeaux : Parlez-nous de votre exposition…
Charlie Le Mindu : L’exposition sculptures capillaires, c’est un show de plusieurs collections que j’ai présenté à la semaine de la Haute couture à Paris, ou à la semaine de la mode à Londres. Il y a par exemple la collection Stronger, très colorée, fluo. Pour la réaliser, je me suis enfermé dans une cave pendant six mois. J’ai travaillé dans le noir pour trouver la bonne couleur pour mes cheveux. C’est un reportage d’Arte qui m’a inspiré cette collection. Il montrait que 80% des petits animaux marins voyaient tout en fluo. J’ai trouvé ça cool, ce côté festif, fête foraine.
Il y aussi une collection Gold Saba, inspirée de la Reine de Saba. Là, je voulais montrer les femmes de caractère, des femmes qui font peur à l’homme. Après, c’est peut être le fil conducteur de toutes mes collections de l’expo, transformer les femmes en monstre. Je ne sais pas si c’est parce qu’elles m’attirent ou me font peur, un des deux. En tout cas, il y a une cinquantaine d’œuvres exposées, avec des vidéos, de la musique.
Confectionner une perruque, ça prend combien de temps ?
Quand je suis sur une collection, je dessine pendant une semaine. Je fais une centaine de croquis. Je choisis aussi ma qualité de cheveux : français, espagnols ou autres selon mes envies. Je travaille toujours avec des cheveux naturels. Après, je choisis la couleur. Les fluo, c’est moi qui les confectionne, les autres, c’est une société, ça va plus vite. Le temps de création varie énormément, ça peut prendre deux jours comme un mois. Mais disons que si on travaille à trois et à fond, genre dix heures par jour, il faut environ 3 semaines.
On peut même voir des coiffes que Lady Gaga a porté ?
Oui, j’ai beaucoup travaillé avec Lady Gaga. C’était vraiment un travail d’équipe avec son styliste Nicola Formichetti et son maquilleur. Il fallait créer son image, son personnage. Soit je la rencontrais directement pour la coiffer, soit je lui envoyais les costumes en cheveux pour qu’elle puisse partir en tournée avec.
Aujourd’hui je ne travaille plus avec elle. Je ne voulais pas être un coiffeur attitré toujours à la même personne, je crois que je ne pourrai pas. J’ai vraiment besoin de toucher à plein de choses différentes. Et puis je pense qu’elle s’est calmée avec ses looks. C’est aussi pour ça que je bosse moins avec elle. J’ai également travaillé avec Diamanda Galas, une chanteuse lyrique incroyable. C’est une de mes idoles, c’était un rêve de gamin de travailler avec elle. Aujourd’hui, c’est plutôt des gens de cet univers que je cible, moins pop.
« J’ai eu envie de rendre les gens heureux »
Comment devient-on coiffeur artistique ?
Cette envie me vient de ma tante qui était coiffeuse. En fait, au début, je ne voulais pas du tout être coiffeur. Mais elle avait un super salon et rendait les gens super heureux. Elle avait beaucoup de clientes atteintes d’un cancer mais c’était toujours la fête dans son salon. Du coup, j’ai eu envie de faire comme elle, rendre les gens heureux et faire la fête. J’ai commencé un apprentissage en coiffure dans le Médoc, dans un petit salon de grand-mère avec des techniques très classiques. A 15 ans, je suis arrivé sur Bordeaux, j’ai travaillé pour « Le petit salon ». Là, j’ai rencontré une super nana, Caroline. C’est elle qui m’a fait découvrir le bon goût de la coiffure, de la mode et aussi la musique électronique.
Après ça, vous avez beaucoup voyagé…
Je suis parti à Berlin à 17 ans. Je ne parlais ni allemand ni anglais, le seul moyen de me faire de l’argent c’était de travailler dans des lieux un peu français, des restos, des bars gays. J’ai donc commencé à faire des rencontres avec des drag queens, des chanteurs. Et puis je me suis fait remarquer par Peaches, une chanteuse électronique qui m’a demandé de coiffer dans son club. Je coupais les cheveux de 23h à 5h du mat dans son club mais aussi dans plein d’autres clubs, c’était génial. J’étais vraiment dans le milieu de la musique. Au bout de quatre ans et demi en Allemagne, j’en ai eu marre de faire la fête. Je suis parti à Londres en 2008 pour travailler cette fois dans le milieu de la mode. Là-bas, j’ai commencé à avoir beaucoup de clientes, des célébrités comme Florence and the Machine, Lana Del Rey, Lady Gaga..
« Mettre le bordel dans les institutions »
Vous êtes même le premier coiffeur a avoir fait un show pendant la Fashion Week à Londres !
Oui, avec mes clientes, j’étais très frustré de ne pas pouvoir atteindre des longueurs immenses avec les cheveux. J’ai donc commencé à faire dans la sculpture capillaire, à relier les cheveux entre eux, à les poser sur des tissus pour en faire des parures. Au début tout était assez lisse avec des formes énormes et puis c’est devenu de plus en plus fou. Le medium du cheveux m’a vraiment inspiré car c’est très malléable. J’ai eu envie d’expérimenter tout ce qui était possible de faire. Mes œuvres ont donc défilé pendant la Fashion Week à Londres, c’était vraiment cool. Et ce qui est encore plus cool, c’est que j’ai réussi a inspiré d’autres créateurs qui utilisent eux-aussi le cheveux. On en voit maintenant beaucoup sur les shows, ça remplace la fourrure. Mais je ne me considère pas comme un précurseur en la matière. Gaultier et Mugler l’ont fait bien avant moi, mais c’était plus dans le détail et moins dans la matière.
Aujourd’hui vous êtes de retour en France, quels sont vos projets ?
Après 8 ans à Londres et de Fashion Week, j’ai eu envie de rentrer à Paris pour retrouver un univers plutôt punk. Et puis là, le milieu de l’art contemporain m’a sauté dessus. J’ai fait mon premier show avec la fondation Cartier qui m’a demandé de faire cette fois de la performance. C’est là que je me suis rendu compte que le cheveux pouvait vivre, être en mouvement. J’ai donc travaillé avec des danseuses du Bouglione, du Cirque du Soleil et aussi du Crazy Horse. Mon art a pris une autre dimension. La performance est un format qui me correspond vraiment dans le sens où il y a de la danse, de la musique. C’est à moitié défilé de mode à moitié art performatif.
J’ai eu la chance de faire une exposition solo pour le Palais de Tokyo, « CharlieWood » que je viens tout juste de finir. C’était vraiment génial. Mon rêve serait maintenant de faire une tournée de cette expo, de l’amener aux États-Unis. Sinon j’aimerais aussi ouvrir des clubs dans des milieux d’art contemporain, des musées par exemple. C’est un peu mon inspiration de mettre le bordel dans les institutions.
« Coiffeur=pédé », l’inacceptable jugement
Quelles sont vos sources d’inspirations ?
J’ai plein de domaines qui m’inspire. Par exemple en ce moment, je me nourris énormément de l’architecture, je voyage beaucoup pour voir des buildings. J’aimerais aller à Brasilia pour admirer les œuvres d’Oscar Niemeyer. Je suis aussi inspiré par les films style Paradjanov ou encore des artistes de l’époque surréaliste comme Yves Tanguy. J’adore aussi la musique, notamment Kap Bambino, un groupe électronique de Bordeaux. C’est d’ailleurs Orion Bouvier, un des deux membres du duo, qui fait toutes les musiques sur mes shows depuis que j’ai commencé. Ce sont donc toutes ces choses qui me font rêver, et c’est que j’essaie de faire, vendre du rêve.
Et le marché des perruques, ça marche ?
Ça commence à revenir en France. La perruque était un gros succès dans les années 60 mais elle avait une mauvaise connotation. Elle était utilisée surtout dans le milieu médical puis aussi avec le mouvement LGBT (lesbien, gay, bi et trans) qui a commencé à se révolutionner. Les femmes n’osaient plus la porter. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il y a beaucoup de stars qui en portent. A Paris, je vois énormément de perruques même si elles restent plus classiques qu’à Londres. Là-bas toutes mes amies avaient plusieurs perruques de toutes les couleurs : roses, bleues. C’est une autre mentalité.
En parlant de mentalité, que pensez-vous du jugement des prud’hommes de Paris, considérant que traiter un coiffeur de « pédé » n’est pas une injure homophobe ?
J’ai trouvé ça hallucinant, mais bon c’est tellement français… On aurait été en Angleterre, il n’y aurait jamais eu un discours comme ça et le patron serait en prison depuis longtemps. C’est inacceptable. En plus, le mot « pédé » veut dire pédophile à la base, il n’a rien à voir avec le mot gay, ça a été bêtement associé, c’est tout. C’est un délit d’être pédophile, pas d’être gay !
Y aller
Charlie le Mindu, Sculptures capillaires
Jusqu’au 22 mai 2016 à la Base sous-marine. Du mardi au dimanche de 13h30 à 19h00. Entrée libre.
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