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A Bordeaux, les infirmières « ni bonne, ni nonne, ni pigeonne »

Le monde de la santé a poussé ce mardi un nouveau cri d’alarme : les étudiants dans la matinée, les infirmiers en poste le midi. De la clinique Bordeaux-Nord à l’hôpital Charles Perrens en passant par le Samu et les Ehpad, tous dénoncent des conditions dégradées. Témoignages.

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A Bordeaux, les infirmières « ni bonne, ni nonne, ni pigeonne »

Devant l’hôpital Saint-André, un camion de pompiers entre sous les applaudissements de plus d’un millier d’infirmiers. Il active un coup de sirène en réponse. Il y a là des blouses bleues ou blanches mais aussi les drapeaux et chasubles des syndicats Force Ouvrière et CGT (dont celle du secrétaire national Philippe Martinez, venu au congrès de l’union départementale de Gironde). Carine, infirmière non-syndiquée, est rêveuse :

« De la musique et des couleurs sous un ciel de grisaille, c’est pas mal. »

La grisaille est installée dans son établissement depuis 5 ans. Les salaires ont été gelés, la confiance des supérieurs a disparu, un ordinateur l’a remplacé « sur lequel on doit cocher tout ce qu’on fait » : évacuation d’urines, évaluation de la douleur, prise de médicaments, etc. Son boulot en cancérologie est de plus en plus dur, de moins en moins humain. Alors, bon :

« Mieux vaut 3 heures de grève que 3 heures d’heures sup’ pas payées », ce qui serait monnaie courante.

Les burn-out à répétition et cinq suicides de collègues à travers la France inquiètent toute la profession. Et avec 22000 postes en moins prévus pour 2017, elle prophétise que ça ne va pas s’arrêter.

Sacrifice contre insulte

La sono reprend Le Chiffon rouge chantée par Michel Fugain qui promet une fois de plus depuis 1977 qu’il « fera bon vivre demain ».

Rassemblement devant l'hôpital Saint-André (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Rassemblement devant l’hôpital Saint-André (XR/Rue89 Bordeaux)

Il y a un fossé entre l’amour que Carine porte pour son boulot (« On est là quand on naît, quand on souffre et quand on meurt ») et ce qu’elle entend aux infos :

« Nos politicards ne parlent que de se protéger des terroristes, alors qu’on peut mourir faute de soins ou de lits hospitaliers. »

Mais loin de se désespérer, l’infirmière y croit, comme ses collègues présents à la manif, majoritairement des femmes, à l’image du métier. A titre personnel, elle va essayer de quitter son poste et grimper chez les cadres, « pour faire rempart et prendre soin de ceux qui prennent soin ».

Une fois en route, le cortège est jovial et visiblement en forme, à en juger par les danses les infirmiers du centre hospitalier de Dax venus à Bordeaux pour l’occasion.

Léna écume d’habitude toutes les cliniques bordelaises mais ce mardi elle marche avec deux pancartes. Sur l’une d’entre-elles : « Ni bonne, ni nonne, ni pigeonne. » Elle veut mettre à bas le cliché de l’infirmière qui « se sacrifie, se fait insulter par les médecins ou l’anesthésiste ».

« Si j’ai un souci, je dois appeler le 15 »

Lena a deux ans et demi de métier et déjà des avis bien tranchés. Toutes les cliniques privées laissent selon elle leur âme sur l’autel du business, mouvement amplifié par la tarification à l’acte. Bref, « plus l’opération est grosse, plus ça rapporte ». Elle garde l’envie de bien faire son job malgré une moyenne de 15 patients par infirmières (voire plus de 20 les mauvais jours) et du matériel (seringues, tubulures…).

« La nuit dans certaines cliniques, il n’y a aucun médecin, alors si j’ai un soucis, je dois appeler le 15 », poursuit Lena.

Avant de nous avouer qu’elle rentre souvent chez elle en larmes ou tremblantes.

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Alors que la manif se poste devant l’agence régionale de santé (ARS), un cortège mené par Solidaires et accompagné par la CNT arrive à grands bruits. Un petit bateau en tête de cortège annonce un hôpital « à la dérive ».

Bras dessus, bras dessous, Mathilde, Marine, Sophie et Vanessa ont entre 3 et 10 ans d’expérience d’infirmières en bloc au CHU de Bordeaux. Elles marchent ce mardi pour être mieux valorisées : leurs salaires sont inférieurs de 300 euros à ceux de leurs collègues infirmiers anesthésistes. Pourtant, « sans nous, les médecins ne pourraient pas opérer », affirment-elles.

Des victoires tout de même

Sud Santé est à l’origine de la grève qui touche le Samu depuis une semaine. Là aussi, les personnels au repos sont souvent obligés de revenir pour combler les absences. Les discussions en cours depuis deux ans n’avancent pas, à tel point que la totalité du Smur est désormais en grève.

Les annonces gouvernementales d’un trou de la sécurité sociale en voie de résorption n’enthousiasment personne.

« Ce n’est pas l’hôpital qui est générateur du trou de la Sécu mais c’est lui que l’on fait payer car c’est visible », résume Jean-Christophe Tertacap, secrétaire général de la CGT Charles Perrens qui en est à sept mois de combat.

Le déficit de la Sécu est avant tout dû aux baisses de cotisations sociales, liées au vieillissement de la population, à la hausse du chômage et à la fraude. Un manque à gagner qui dépassait les 16 milliards d’euros en 2012, bien au-dessus du niveau du trou de l’époque.

Derrière le slogan « Soigne et tais-toi », les étudiants infirmiers ont manifesté dans la matinée en faisant un sit-in devant le Palais Rohan. Ils ajoutent aux critiques précédentes leur impression d’être utilisés pour pallier le manque de personnel.

Parmi ce lot de dénonciations, il y a tout de même quelques victoires. Dernière en date, celle des salariées de l’Ehpad Terre-Nègre. Durant 39 jours, l’équipe de nuit a fait grève pour demander une organisation équitable avec l’équipe du matin, afin d’améliorer les conditions de travail et le suivi des patients.

Emmenées par la CGT et la CFDT, elles ont obtenu gain de cause. Les Terre-Nègre ont été reçues en héroïnes au congrès de la CGT Gironde qui se tient jusqu’à ce mercredi chez Darwin.

Après les photos souvenirs avec le secrétaire national Philippe Martinez, les salariées avouent attendre le fin mot du comité de pilotage qui devrait arriver d’ici deux mois maximum. Mais, elles ont surtout gagné une « équipe solide et solidaire », balance, sourire aux lèvres, la cégétiste Josiane Sagaspe. Une autre idée pour remettre la santé sur pied ?


#Santé

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