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Le dessinateur Visant démonte les codes sexistes

« 52% – petites chroniques du sexisme ordinaire » est un livre engagé de Visant, dessinateur connu des lecteurs de Rue89 Bordeaux. Pour le publier, son éditeur, Flibusk, a lancé un financement participatif. Entretien avec un auteur au trait mordant, par Dominique Clère et Simon Barthélémy.

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Le dessinateur Visant démonte les codes sexistes

Rue89 Bordeaux : Vous demandez sur Ulule 4000 euros pour faire paraître ces « chroniques du sexisme ordinaire ». Quelle est l’origine de ce projet ?

Visant : Je faisais du dessin de presse depuis quelques années lorsqu’en 2012 j’ai eu envie de travailler sur cette problématique sous exploitée. Si c’est pour voir un dessin le 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, et le 8 mars, journée des droits des femmes, c’est un peu léger. Il fallait selon moi s’attaquer aux visions caricaturales des milieux féministes, ces clichés toujours plus bêtes les uns que les autres que leurs militantes sont toutes de vieilles filles mal baisées.  Le dessin est un bon support pour dire avec humour aux gens : « Détendez-vous, le féminisme ce n’est pas ça ».

D’où vient votre engagement contre le sexisme ?

De ma généalogie, pas été épargnée par les violences. Mon grand-père maternel cognait sur ma grand-mère et accessoirement sur ses enfants. Ma mère servait de punching-ball, en s’interposant pour éviter qu’elle n’en prenne plein la gueule. Mon éducation à la violence s’est faite naturellement ; dès que j’ai été capable de comprendre, elles m’ont clairement expliqué ce qui s’était passé. Sans être dans le pathos, ni dans une démarche revancharde – on ne m’a jamais dit que mon grand-père était un monstre -, ma grand-mère m’a expliqué pourquoi elle était partie et avait demandé le divorce, ce qui était compliqué en France dans les années 60. Une femme seule, séparée, avec des enfants à charge était vite mise au ban de la société.

Avez vous ensuite milité ?

Sans formuler ça sous le nom de féminisme, je me suis toujours intéressé aux relations hommes-femmes et j’ai toujours eu des gros soucis avec mes congénères. Clairement, quelque chose ne tournait pas rond dans la société. J’ai trainé avec diverses mouvances politiques, puis je suis tombé sur les bouquins de Benoîte Groult et ça a fait tilt. Cela a mis des concepts sur des ressentis et s’est formalisé en 2010 par mon adhésion à Osez le féminisme !

« Se réapproprier l’espace public »

Pour cette journée du 25 novembre, les organisations féministes prévoyaient une manifestation non-mixte, à laquelle elles ont finalement renoncé à cause de dissensions internes. Que pensez-vous de ce mode d’action ?

Il faut les deux formes si on veut arriver à travailler. Comme on est sur un projet de société, ne défendant pas des revendications isolées, ont doit impliquer tout le monde. Après, c’est aussi normal que les femmes puissent avoir des zones de non mixité : certaines personnes ont été victimes de violences et cela peut être un frein, surtout à la parole, d’avoir des hommes dans l’assistance. Elles doivent pouvoir s’exprimer librement sans courir le risque d’être jugées.

Par ailleurs, cette non mixité de la manif est symbolique : c’est une façon de se réapproprier un espace public trusté par les hommes, dont beaucoup sont animés par sentiment d’impunité – ils pensent qu’ils peuvent emmerder tout le monde et surtout les femmes. Enfin, à travers la manifestation, les femmes reprennent possession de la nuit, où les risques sont plus importants pour elles.

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Justement : d’après une enquête commandée par Bordeaux Métropole et menée auprès de  5 218 femmes, 80% d’entre elles déclarent avoir été harcelées dans l’espace public au moins une fois dans l’année. Cela vous surprend-il ?

Non. Beaucoup d’amies m’ont dit se faire emmerder régulièrement. Elles ne prennent pas le tram à partir de certaines heures, ou pas aux heures d’affluence pour éviter les frotteurs dans le tram. Des enquêtes conduites ailleurs ont sensiblement donné les mêmes résultats.

La question c’est comment on fait pour éduquer ces messieurs. On demande en effet souvent aux femmes d’adopter d’autres comportements, mais pas aux hommes d’en changer. Cela supposerait par exemple de poser cette question de manière frontale, sur le terrain, en faisant par exemple de la médiation et des débats dans les rames de tram et les bus. Sans parler du travail d’éducation dans sphère familiale et à l’école. L’éducation sexuelle est survolée, et traitée sur ses aspects biologiques, cela ne permet pas d’évoquer les questions comportementales.

Comment ce livre peut-il y contribuer ?

En cassant les codes. La question des luttes pour les droits des femmes est sans cesse minimisée et attaquée. Les féministes sont caricaturées à outrance, victimes d’attaques violentes et rabaissées à une sous catégorie de dingues. C’est un procès indigne fait à des femmes tenaces et courageuses qui œuvrent pour une société consciente et plus juste. En tant qu’homme j’ai cherché à contribuer à cette lutte, sans parasiter la parole des concernées.

Dessiner est une solution parfaite, elle me permet d’exprimer des idées et de délivrer des messages, sans me mettre en avant en tant qu’individu au sens physique du terme. Mes dessins vivent en dehors de moi.

Ils sont une interface qui me permet de militer sans envahir l’espace, Visant n’étant plus in fine qu’une signature en bas de page. Et comme je ne suis pas friand des projecteurs, cette forme de confidentialité me convient parfaitement.

Vous dites dans la présentation que ce combat est tristement d’actualité…

En 2016, nous devons encore batailler pour des questions élémentaires : égalité salariale et de carrière, partage des tâches, violences sociétales, stéréotypes, droit à disposer de son corps ; la liste n’est pas exhaustive.

C’est absolument inacceptable. Aucune société dite « évoluée » ne devrait tolérer un tel système oppressif basé uniquement sur une discrimination de genre. Nos parentes, nos mères, nos compagnes, nos sœurs, nos filles, nos amies ne sont pas des êtres de seconde zone.

On parle de plus de la moitié de l’humanité. Quand par exemple des droits fondamentaux comme l’IVG sont régulièrement remis en cause il est impératif de s’y opposer. La colère est légitime, et nécessaire pour mettre fin à ce gâchis.

Quels sont votre style et vos influences ?

Je dirais « taquin » avec une touche de piment ! J’ai une passion dévorante pour l’humour noir, la saine provocation qui décolle la pulpe du fond. J’aime l’influence anglaise à la manière des Monty Pythons, l’humour noir lettré d’un Desproges. Pour le dessin, j’ai grandi avec des auteurs comme Reiser, Cabu, Gotlib, F’murr, Pratt, Waterson, Spiegelman, Otomo…

Qu’est-ce qui vous plait dans la caricature ?

La distance qu’elle provoque, sa capacité à mettre en lumière et à mettre le doigt là où ça fait mal. Elle oblige aussi à rechercher le maximum d’efficacité dans l’analyse et dans la retranscription. Une alliance exigeante entre écriture et dessin. C’est une discipline sans filet. Il n’y pas de seconde chance, un peu comme dans la calligraphie. Ce qui me plait également c’est d’être capable de partager du rire, une pause dans la gravité ambiante.

J’ai reçu un jour un message de remerciement d’une personne me disant que la première chose qu’elle faisait le matin, après avoir allumé son ordinateur, consistait à aller voir ma dernière publication, car cela lui donnait sa dose de rire pour attaquer la journée. Là j’estime être à ma place.


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