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En finir avec les pesticides (5/6) : « Il faut respecter l’équilibre du sol sinon les maladies se déclarent »

Ces viticulteurs en ont marre de la came qui tourne dans les vignes du coin. Avec leurs armes, ils luttent. Certains depuis le début de leur métier, d’autres après des années plongés dans les pesticides. Il y a les réussites, les doutes, les échecs et surtout une grande dose de détermination. A Fonsac, Paul Barre entretient ses 7 hectares de vignes en jouant sur les forces cosmiques. Suite de notre série de portraits signés Baptiste Giraud et Xavier Ridon.

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En finir avec les pesticides (5/6) : « Il faut respecter l’équilibre du sol sinon les maladies se déclarent »

Quand on le rencontre, la pluie fuit les coteaux de la Dordogne et le village de Fronsac retrouve le soleil. Paul Barre n’a pas le temps pour ses contemplations. Enfin, pas tout de suite.

Les cheveux bouclés et grisonnants, la voix grave, calme et assurée, il pourrait jouer au vieux prof de philo. Pourtant, il était plutôt mauvais élève. Sa sortie d’une formation d’œnologue se fait en 1975 à coup de pieds dans le derrière. Il se souvient du « désespoir de [son] prof de chimie parce que je ne comprenais pas qu’en ajoutant [dans la vigne, NDLR] une bombe on créé de la vie ».

La bombe, bien entendu, ce sont les produits phyto. Coup de bol, à sa sortie, il va pouvoir récupérer des terres ayant appartenu à sa famille il y a plus d’un siècle. Elles sont à vendre. Il s’y installe. Deux ans plus tard, il rencontre la biodynamie, mais :

« La première fois que j’ai entendu parler de biodynamie, je suis parti en courant. »

Paul Barre (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Arsenal végétal

Pour finalement y revenir au galop. Il se penche quand même sur les travaux de son inspirateur : Rudolf Steiner. Le philosophe aux lunettes rondes a développé sa grande théorie, l’anthroposophie, à cheval sur le XIXe et le XXe siècle. Elle se répand sur l’école, les médicaments, la cosmétique et l’agriculture.

Assis dans sa cuisine, près du feu qui crépite et du chien qui se repose, Paul Barre nous explique les principes qu’il applique donc depuis 1990. Pour faire court, et si on a bien compris, chaque domaine agricole est un organisme vivant à part entière. Un équilibre existe, s’il n’est pas trouvé, les maladies se déclarent. Ainsi, Steiner évoque en 1892 le phylloxera, maladie qui a ravagé les vignes :

« Les sols étaient épuisés, les traditions aussi et le phylloxéra s’est abattu. »

En passant à la biodynamie, Paul Barre change son arsenal. Les bombes sont remplacées par des préparations à base de plantes et de produits naturels (silice de corne de vaches, bouses, purin d’ortie, tisane…). Elles doivent permettre le développement des plantes, et écarter les maladies en jouant sur les forces cosmiques. Dis comme ça, Paul Barre ne deviendrait-il pas sorcier ou gourou ? Il renverse notre question :

« Rien est caché dans ce que je fais, mais quand vous achetez un produit phyto, vous ne pouvez pas savoir ce qu’il y a dedans, alors qui est le croyant ? La croyance, on laisse ça au conventionnel. »

Il vient de débourser 2100 euros pour mener des études en laboratoire. Sur les 256 molécules nocives recherchées dans son vin, aucune n’est présente. Son vin a quelque chose de coquin. Il le vend grâce à son négociant et au mouvement gastronomique du Fooding qui lui amène cavistes et restaurateurs. Chichement mais sûrement, les affaires fonctionnent.

Adieu lion, vache, cheval

Bref, il est déjà 16h30 et dans le ciel, comme la Lune est en Lion, il faut agir. On le suit. Il pèse de la silice qui préalablement reposait dans une corne de vache. 33 grammes suffiront pour 8 hectares. Il file vers son dynamiseur : un bac rempli d’eau dans lequel il ajoute la silice. Dans un sens, l’hélice tourne et dynamise la préparation. Dans l’autre, il « chaotise » : un nouveau vortex se créé entraînant l’eau dans l’autre sens pour redynamiser sa préparation. Après une heure de tels remous, son produit pourra être épandu pour protéger la plante.

Depuis plus de 20 ans, 15 fois par an, il dynamise et médite en même temps – en plus, en cette fin d’après-midi, des grues en pleine migration fendent poétiquement le ciel. Mais c’est là sa dernière récolte, son 42e et dernier millésime. Après, c’est la quille pour Paul Barre. Son fils reprend les rênes. C’est le cas de le dire, lui qui depuis deux ans a ramené le labour à cheval dans les vignes de son père.

Maintenant, comme un heureux ado, Paul Barre assure qu’il va passer son temps sur l’ordi. Son objectif ? Occuper le terrain numérique pour vanter les mérites de la biodynamie, comme il a déjà pu le faire sur notre site.

Il veut aussi défendre les petits vignerons qui n’ont « pas de visibilité alors que nous sommes la majorité. » En éternel optimiste, il ajoute :

« Je ne connais pas de vigneron dans mon entourage qui pollue par philosophie. C’est plus un soucis de structure que d’individualité. Si je peux apporter quelque chose au débat… »

L’anthroposophie 2.0 ?


#pesticides

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