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Procès de violences policières : « Ils me frappaient alors que j’étais au sol et évanouie »

Le procès des violences policières subies par Myriam Eckert s’est ouvert ce jeudi au TGI de Bordeaux, près de 8 ans après les faits. La militante veut faire condamner l’Etat dans un contexte de dénonciations des actes dont ont été victimes Théo à Aulnay-sous-Bois ou des opposants à la Loi Travail, et qui ont tué Adama à Beaumont-sur-Oise.

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Procès de violences policières : « Ils me frappaient alors que j’étais au sol et évanouie »

Myriam Eckert nous dit qu’elle est un peu « tendue » alors qu’approche l’heure d’une audience attendue depuis 8 ans. Le 19 mars 2009, cette militante de Droit au logement (DAL 33) manifestait devant le 127 rue Saint-Genès. Les squatteurs installés dans cet immeuble appartenant à la mairie de Bordeaux, sont en passe d’être évacués. La police intervient quand vers 20h30 un groupe de soutien de quelques dizaines de personnes se forme sur le trottoir en face. Les CRS sont appelés à la rescousse.

Après plusieurs demandes de dispersion, ils chargent.

« Je me suis dis que la meilleure solution était de s’enfuir. Mais visiblement je n’étais pas assez sportive et je cours moins vite qu’une matraque », raconte-t-elle ce jeudi aux journalistes.

Une matraque lui frappe le dos. Elle s’écroule. Au sol, elle se retrouve menottée et les coups pleuvent :

« Quatre policiers ont continué à me frapper alors que j’étais au sol et évanouie. »

Un policier de l’IGPN qui enquête sur ces violences lui confirme qu’elle porte « les traces de coups de pieds et de coups de poings ». Le Défenseur des Droits explique par ailleurs dans son rapport de juillet 2014 :

« La réclamante déclare avoir signalé aux policiers qu’elle était blessée et qu’en réponse, ces derniers ont déclaré « c’est bien fait, on t’avait dit de pas rester là ». »

Le visage ensanglanté, elle est tout de même emmenée en garde-à-vue au commissariat de Bordeaux. Le brigadier chef qui la reçoit en tant qu’officier de police judiciaire appelle les sapeurs pompiers qui se chargent finalement de la conduire à l’hôpital Pellegrin.

Violences confirmées, auteur introuvable

Dans la nuit, le fonctionnaire vient lui notifier qu’elle est placée en garde-à-vue pour dégradation de biens privés et violation de domicile, procédure jugée incompatible avec son état par le médecin qui l’examine. C’est à ce moment seulement qu’elle arrive à se voir dans un miroir :

« Ils ont essayé de faire disparaître mon visage. C’est comme ça que je l’ai vécu. En voyant mon visage, je ne me suis pas reconnue. »

Myriam Eckert a sa sortie de garde-à-vue le 20 mars 2009 (DR)

Elle a de multiples hématomes sur le crâne et plaies sur le nez et la lèvre supérieure. Le lendemain, elle indique au brigadier qu’elle ne compte par porter plainte, mais elle le remercie aujourd’hui :

« Si j’ai fini par porter plainte. C’est grâce à ce policier qui m’a interrogé et qui m’a conseillé d’aller au Cauva (centre d’accueil en urgence de victimes d’agression, NDLR). »

Elle reçoit une interruption temporaire de travail (ITT) de 7 jours. Sa plainte est déposée deux semaines après les faits puis, autour d’elle, se constitue le collectif Contre les abus policiers (Clap33).

« Les policiers se font droit »

L’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) conduit une enquête. Le Procureur de la République en tire comme conclusion que les violences sont à imputer à un groupe de quatre membres de la CRS 24 sans pouvoir identifier l’auteur du coup. Un an et un jour plus tard, le non-lieu est prononcé.

Elle se constitue partie civile devant le Doyen des juges d’instruction. En 2012, le non-lieu est à nouveau prononcé, toujours par manque d’identification. Toujours accompagnée par maître Ophélie Berrier, elle tient désormais à engager la responsabilité de l’Etat en demandant une reconnaissance du préjudice subi.

Dans sa plaidoirie, ce jeudi, son avocate veut faire reconnaître « une faute lourde de l’Etat ». Elle reprend à son compte les conclusions du Défenseur des Droits sur la désorganisation des services de l’Etat comme étant « à l’origine de plusieurs manquements » : le brigadier chef n’était pas au courant de l’interpellation ; la dégradation présumée des biens est impossible puisqu’elle était à l’extérieur ; il est impossible de rendre justice pénalement car personne ne saurait qui faisait quoi.

« Nous ne sommes plus dans un état de droit mais ce sont les policiers qui se font droit. »

« Il faut que les policiers honnêtes témoignent »

Cette phrase tonne dans la salle d’audience, alors que l’actualité des violences policières à l’encontre de Théo, habitant d’Aulnay-sous-Bois, met dans la rue plusieurs centaines de citoyens à travers le pays. A la fin de l’audience, Myriam Eckert commente :

« Tous les jours amènent leurs flots de violence. Moi je ne veux pas dire “tous pourris” mais il faut que les policiers honnêtes témoignent et se montrent solidaires des victimes alors que pour l’heure les policiers honnêtes se taisent. »

Défendant l’État, maître Charlotte Panighel du cabinet Marconi tente en vain de soulever une exception d’incompétence avant d’expliquer une autre version des faits : des manifestants qui ne voulaient pas quitter les lieux ce qui « contraint » les CRS à charger et un manque de circonstances exactes expliquant les blessures avec une intervention du Défenseur du Droit qui « ne se prononce pas sur les violences ».

« Il n’y a pas de faute des CRS. Il faut la débouter de ses demandes », conclut l’avocate.

Le délibéré est mis au 13 avril. Visiblement confiante, entourée de son avocate et d’une dizaine de soutiens à cette audience, Myriam Eckert prévient déjà :

« Je suis prête à passer 10 ans encore devant les tribunaux pour que l’État soit condamné. »


#Violences policières

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