C’est un appel de Londres qui les aurait poussé à entrer en résistance. Ce vendredi, une quinzaine de livreurs à vélo se réunissent devant les locaux de Deliveroo à Bordeaux. Ils disent avoir reçu la veille un coup de fil du siège, implanté dans la capitale britannique (en fait, l’appel provenait des bureaux français), pour leur signifier la fin de leur contrat.
Le syndicat CGT des coursiers à vélo de la Gironde a aussitôt appelé à un rassemblement devant les bureaux de « pour contester cette décision et la gestion globale que Deliveroo fait de ses coursiers », tous auto-entrepreneurs.
Ceux dont les contrats sont remis en cause sont rémunérés 7,5 euros de l’heure, plus 2, 3 ou 4 euros la course (en fonction d’ « audits » sur leurs performances, relations avec la clientèle et les restaurants, etc., audits qui aujourd’hui n’existent plus). S’ils acceptent de continuer à travailler pour Deliveroo, ils seront désormais payés simplement à la course, au tarif unique de 5 euros.
« C’est déjà le cas de 90% des 7500 bikers partenaires de Deliveroo en France », nous indique-t-on au service communication de l’entreprise. A Bordeaux, une centaine de coursiers seraient ainsi concernés par ce changement, sur un millier.
Calculs sur un coin de table
L’entreprise justifie la fin du forfait horaire par le fait qu’au début de son activité, elle ne pouvait garantir aux bikers un nombre de courses suffisant, alors qu’aujourd’hui, celles-ci seraient « continues et en grand nombre ». Et légitime le fait de placer l’ensemble des coursiers sous le même contrat de paiement à la tâche.
Deliveroo affirme que les livreurs passés à ce système, instauré il y a un an, ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 7%. Le problème, c’est que les bikers bordelais rencontrés ce vendredi ne font pas du tout les mêmes calculs.
Gilles (le prénom a été changé) bosse entre 25h et 30h par semaine avec Deliveroo pour payer ses études, et s’inquiète des répercussions sur son budget :
« Je dois payer mon école, et je viens de louer un appartement en tablant sur 1100 à 1200 euros par mois, mais là, je risque de perdre 300 euros par mois. Cela va être dur de continuer mes études… En plus, ça arrive qu’il y ait des problèmes avec la plateforme internet, qu’elle ne marche pas pendant 1h30. Quand cela se produit, on doit attendre, sans être payé. Mais ils s’en fichent : la flotte de livreurs est tellement importante que ceux à qui cela a porté préjudice peuvent être remplacés. »
Bikers et à cris
C’est l’une de critiques principales des coursiers en colère : selon la CGT, Deliveroo se débarrasserait progressivement depuis 6 mois des personnes sous contrat horaire – « totalement faux », affirme la société, qui continue à recruter toujours plus de bikers. Ceux-ci se retrouvent en concurrence pour les meilleurs créneaux, voient leur volume d’activité décroître, et vont travailler aussi chez UberEats ou Foodora (ce que Deliveroo encourage officiellement).
Le hic, c’est que pour la plupart des bikers présents ce vendredi cours Saint-Louis, la livraison à vélo n’est pas un job d’appoint, mais l’activité principale (selon Deliveroo, ce ne seuls 10% de ses livreurs travailleraient plus de 35 heures par semaine, la moyenne serait plutôt de 16 heures).
« Je vais perdre énormément d’argent, entre 600 et 800 euros par mois, estime Charlie, qui travaille à plein temps pour Deliveroo, plus de 35 heures par semaine, et gagne entre 2000 et 2500 euros mensuels. En nous payant à la course, on considère que quand on est dans la rue et qu’on attend des commandes, c’est du bénévolat. C’est faux, on est connectés, on devrait être payés. Ils nous ont pris pour des cons. »
Car selon Arthur Hay, secrétaire de la CGT des coursiers à vélo de la Gironde, viré en février dernier de Deliveroo, les responsables bordelais de l’entreprise « avaient pris l’engagement moral de la reconduction d’une année des ces contrats ».
Pour le gel des recrutements
Ce vendredi, la délégation de bikers reçue par Guillaume de Richemont, manager régional de Deliveroo, a donc exigé un entretien avec les responsables des suppressions de contrats. Pour Arthur Hay, ce « sont aussi ceux qui ont supprimé les primes “pluie” et week-end, et sont à l’origine de recrutements trop massifs ».
Rendez-vous est pris lundi pour un tchat avec les patrons de Deliveroo, qui s’annonce pimenté. Les coursiers comptent venir en nombre, avec des banderoles, et bloquer l’agence bordelaise de Deliveroo s’ils n’obtiennent pas satisfaction sur certains points : reconduction des contrats à l’heure et rétablissement des audits, ou bien dédommagement de 50000 euros par personne (négociable), un montant calculé sur les pertes potentielles sur 5 ans.
Et sinon ? La CGT pourrait encourager un maximum de livreurs à se tourner vers les prud’hommes, indique Arthur Hay :
« Nous avons un bon faisceau d’indices montrant que les livreurs de Deliveroo sont des salariés déguisés. Ces gens ont ridiculisé le droit français en utilisant le statut d’autoentrepreneur à tort et à travers. Or nous sommes des employés, qui reçoivent sans arrêt des ordres des supérieurs de l’entreprise ou de son algorithme, et à qui on propose une baisse de salaire. Nous pouvons leur faire peur en les attaquant au portefeuille. Il s’agira alors de motiver des gens pour aller jusqu’au bout, car la procédure peut durer 3 ou 4 ans. »
Vers une coopérative de coursiers ?
Après la liquidation houleuse de Take Eat Easy et les pratiques douteuses de Foodora, une autre start-up de la livraison à vélo se trouve aujourd’hui sous les feux des projecteurs.
Ses bikers reçoivent ce vendredi un soutien politique, celui de l’adjoint au maire (Modem) Fabien Robert, qui a reçu récemment leurs représentants. Il demande aux députés de la majorité d’envisager « un cadre contractuel plus juste », garantissant des droits aux auto-entrepreneurs du secteur.
D’autres coursiers évoquent une piste : créer leur propre coopérative, comme l’envisage le CLAP (collectif des livreurs autonomes de Paris), qui s’appuierait sur une plateforme internet en open source, CoopCycle. Et si Bordeaux devenait un haut lieu de la lutte contre l’ubérisation ?
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