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Seule et moquée, de la maternelle au lycée, et sur Facebook

En discussion avec sa mère, professeur au lycée, à propos du suicide d’une jeune fille harcelée sur Facebook, Hell Mos (un pseudo) s’incruste dans la discussion et nous raconte sa solitude, de la maternelle au lycée en passant par le réseau social qui fête aujourd’hui ses 10 ans. Voilà son témoignage retranscrit par sa plume.

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Seule et moquée, de la maternelle au lycée, et sur Facebook

© Du piment dans les étoiles
(photo © Du piment dans les étoiles)

• Maternelle

« On joue pas avec les filles à lunettes, nous. »

Ok. Un peu déçue mais la solitude ne me dérange pas. Je n’ai jamais aimé jouer à la marelle, c’est tellement étranger à moi. Alors je déambule dans la petite cour, je grimpe aux installations de jeu et je parle avec un interlocuteur imaginaire.

• Primaire

Je suis adossée à un frêne de la cour de récré. D’une moue contrariée je n’ai plus qu’à regarder tous les autres enfants jouer à tout va autour de moi et je reste dans mon silence.
Soudainement, deux filles de mon âge me rejoignent en trombe. Je m’étais disputé avec elles avant de me retrouver là. Elles sont revenues pour me beugler leur fatale affirmation :

« Eh ! Eh ! T’as plus de chance ! T’as plus de chance, c’est fini ! »

Les chances en question, c’était des avertissements. Chaque fois que je faisais une connerie. Et je devais en faire beaucoup car mes amies avaient décidé de les compter ; dès que j’aurai dépassé la limite, elles ne seront alors plus mes amies.
Donc là il s’avère que je l’ai franchie et que je risque de n’avoir rien d’autre à faire que de rester sous le frêne.

Cette dernière connerie avait été d’abaisser le majeur (abaisser, pas lever) en direction de l’une d’elle. Ce qui aurait quand même eu effet d’être pris comme un doigt d’honneur. Mes camarades m’ont alors déclaré que lorsqu’on fait un doigt d’honneur, on doit être affublé d’un malheur.
Une classe plus tard et tout le monde se faisait des doigts d’honneur à tout bout de champ. J’ai dû être la seule à devoir subir cette règle de derrière les fagots. En fait elles avaient juste attendu un prétexte pour pouvoir se défouler sur moi.

Ça faisait naître une rancune

Ce malheur, qui n’était qu’un parmi d’autres de toute façon, n’apportait rien de nouveau vraiment. Il s’agissait juste de m’exclure du groupe et de me couvrir de railleries. On avait 7 ans ; ces railleries c’étaient me faire des grimaces de loin, se moquer du moindre de mes gestes, toquer aux vitres quand j’étais adossée de l’autre côté, me balancer de la terre d’un coup de pied en me demandant si j’aimais la poussière. Ça n’allait que très rarement jusqu’à la violence physique. Mais je ne dis pas que ça n’y allait jamais.

J’étais la paria de la cour de récré. Si je n’obéissais pas à leurs règles, si je faisais un faux pas, ou si elles en avaient simplement marre de moi, je n’avais plus qu’à déambuler seule jusqu’à la fin de la journée. C’était lassant, énervant, ennuyeux. Ça faisait naître une rancune qui bouillonne. Mais je n’avais pas envie d’être seule. Personne n’aime être seul au milieu d’une récré pleine d’enfants qui batifolent à plusieurs.  Alors je revenais avec elles dès la première occasion, dès qu’elles étaient d’accord. C’était toujours un soulagement, je n’avais plus qu’à chasser l’idée de mon prochain exil.

C’est toujours toi le loup

J’aurais plein d’épisodes à raconter, tous aussi ridicules les uns que les autres. Je n’en ai jamais été l’acteur, je n’ai jamais trouvé ça amusant ou justifié. J’avais toujours le rôle de celui qui subit, le rôle du loup.

« C’est toujours toi le loup, puisque tu n’as attrapé personne la dernière fois qu’on a joué. »

Et c’était parti. Moi, contre une dizaine de gamines. Une maison (la zone où le loup ne peut pas rentrer) qui faisait la moitié de la cour. Des « par ici ! », « youhou ! », « viens m’attraper ! » dans tous les sens. Je cours, elles se dispersent toutes, je m’arrête, elles se regroupent et m’attendent en rigolant. Je cours vers une, elle se rue dans la maison. Je m’arrête, « eh oh, le loup ! Bouge toi ! ». J’en ai marre, « ok, tu joues plus. »

Même quand le jeu était fini, j’étais toujours le loup. Arriver en tout espoir, vers un groupe de copines. Une me voit et braille « Oh ! Elle est là ! », et toutes détalent en me gratifiant de sourires narquois. Je n’avais plus qu’à me dire que ce serait une nouvelle journée de solitude.

Regretter de ne pas agir

Ces histoires de chances, d’avertissements, c’était pour me faire croire – ou comprendre – que j’étais la seule fautive de ce qui m’arrivait. Je les croyais à moitié. Je les maudissais pour leurs règles absurdes, mais chaque fois que je me retrouvais virée pour ne pas les avoir respectées, je regrettais quand même mon faux pas.

Il y a cette recherche de hiérarchie que les enfants découvrent à l’école primaire. Certains en jouissent sans se dire qu’il s’agit de pure invention de leur part, et d’autres les subissent. Subir donne un recul qui fait réaliser l’idiotie de la chose.

On m’avait dit que je regretterai plus tard de ne pas avoir réagi et de ne pas m’être défendue. Et c’est vrai.
Mais finalement, je n’ai même pas eu le temps de regretter de m’être laissée brimer en primaire, que je me faisais déjà brimer au collège.

• Collège

Être seule ce n’est plus possible. Surtout pas dans un collège avec si peu d’élèves et où donc les groupes sont plus distincts. On ne cherche même pas à connaître la personnalité de quelqu’un qui reste seul. C’est un bizut, c’est tout. Une victime, un piètre. En fait, ne pas avoir d’ami c’est la pire honte je crois bien.

Donc il faut être dans un des groupes. Ils se donnent des noms, souvent en rapport avec le nombre de membres qui le constituent. « Les 4 quelque chose », « Les 7 autre chose ». Ou bien un sigle avec les premières lettres de chaque nom.
Alors tu t’immisces dans un groupe, tu te convaincs qu’au moins tu n’es pas seule, mais tu vois que ta lettre ne fait pas partie du sigle… Ou qu’elles s’appellent les « 6 quelque chose » sans te compter…  Mais l’essentiel c’est de ne pas être seule.

Mes affaires disparaissaient

Il y a quelque chose qui mettait les gens en colère. Je ne sais pas ce que c’est, je ne l’ai jamais su. Mais ça les mettait vraiment en colère. Cela faisait que certaines personnes ne pouvaient pas me supporter. Ou du moins elles se frottaient à moi justement pour passer leur colère.

Des remarques cinglantes fusent, sans queue ni tête, sans fond, mais il faut croire qu’elles se suffisaient à elles même. Une rancune continue de la part d’un certain groupe que j’ai appris à éviter. Mais ils parvenaient tout de même à venir me chercher, un peu tous les jours.

La violence physique se faisait toujours rare et superficielle. Mais je ne dis pas qu’il y en avait pas. Mes affaires disparaissaient, mais je finissais toujours pas les retrouver. Elles n’étaient jamais loin, juste dans d’autres mains, et ne m’étaient jamais rendues.

Je ne raconte plus rien à mes parents

J’étais arrivée au stade où je ne racontais plus rien à mes parents.
Les vols, les insultes, les rejets. Je méprisais en silence, griffonnais la mort de mon collège entier sur des feuilles que je pliais et cachais dans un coin où personne ne les trouverait. Je n’avais que ma musique en casque, et mon chat à qui je murmurais mes soucis, je me persuadais qu’ils étaient futiles, passagers au regard d’enfants plus miséreux que moi dans le monde.

Je laissais les gens s’amuser sur moi, se sentir fort et penser me détruire. Je les laissais, en silence, faire ce qui devait être manifestement leur seul jeu, leur seule occupation.
Oui, le silence, c’était toujours ma seule réponse. Je ne parlais pas beaucoup. Apparemment personne n’avait l’ouverture d’esprit de l’accepter.
Le silence était une faiblesse, un défaut ; une bonne raison pour me considérer en dessous d’eux.
Je ne réagissais pas, non, toujours pas.

Sur Facebook, des messages puérils, répétitifs, injustifiés mais efficaces

Facebook est apparu, créateur et destructeur de relations. Libre champ de communication pour  l’amitié et l’hostilité. Et moi j’ai fait l’erreur d’ajouter beaucoup d’ennemis dans mes amis.

J’ai fait l’expérience du « harcèlement sur le web » dont on parle tant. C’est arrivé pendant les vacances, quand je ne les avais pas en face pendant deux mois.
Est-ce que c’est ça qui les a motivés ? Ou bien la sensation de mouvement en masse par le réseau. C’était parti d’une personne, je ne me doutais même pas de cette malveillance qu’elle avait envers moi. Il m’avait semblé qu’on s’entendait bien mais je me suis trompée.

Mon silence, ça doit être ça, elle y a vu le feu vert, l’autorisation, la bonne raison.

Des messages, un petit peu partout, tout le temps, propres à Facebook. Puérils, répétitifs, injustifiés mais efficaces, pour descendre mon moral.
Quand j’ai eu cette fille à nouveau devant moi, elle semblait avoir pris ça comme un jeu et le remémorait avec le sourire. Qu’est ce que je la détestais.

Ces péripéties aussi basses que celles de la Primaire m’ont quand même pris encore quatre ans de ma vie.

• Lycée

Je ne me suis pas donné de claque assez motivante pour arriver au lycée avec la détermination qui suffisait.  La détermination de ne pas réitérer le schéma narratif de mes précédentes expériences.
J’y suis allée en pensant qu’être dans un tout nouvel endroit avec de toutes nouvelles personnes ferait que rien de toute cette poisse ne me suivrait.
Mais finalement si. Elle devait être en moi. Cette chose qui énerve les gens, ou qui les enivre d’une puissance invisible.

Il y avait un sort qui m’était dévolu et qui faisait que je me retrouvais continuellement seule. La chose que j’évitais surtout au collège. Là elle était constante. Seule en classe, seule dans les couloirs. Les clans, les clans dans la classe s’étaient faits et j’avais dû regarder ailleurs à ce moment là. Je n’appartenais à aucun d’eux. Je regardais ma classe dans son entité, élève par élève et je me disais.
Aucun d’eux n’est un ami. Aucun d’eux n’est même un copain.

Quitter le lycée pour marcher dans les rues voisines

Et c’est un rôle que je me suis imprimé au fer rouge. J’étais celle qui n’avait pas de groupe fixe, celle qui allait de l’un à l’autre sans vraiment en faire partie. Donc les groupes de travail se faisaient sans moi. Les groupes de sport aussi. Je finissais toujours par bosser seule.
Les heures de permissions, c’était de longues déambulations dans les couloirs ou dans les rues autour du lycée. Marcher, moi et mon casque, et mon silence, et revenir aux heures de cours.

Parfois j’arrivais devant la porte, en retard. Sans entrer je les regardais tous dans l’entrebâillement de la porte. Cette classe, cette classe qui ne m’accordait rien. A part le rôle de loup, encore une fois. Je voyais la table vide au fond de la salle, qui serait la mienne. La voix de l’enseignante de maths. Je ne comprenais rien aux maths. Je n’avais personne avec qui faire mes devoirs. Personne ne se retournait vers la table du fond à la quelle j’étais assise. Je mourais dans mon silence à chaque cours, jusqu’à la sonnerie.

Je haïssais les maths, je haïssais ma classe, je haïssais ma place. Je séchais les cours, j’étais sèche de toute motivation. Je m’habillais n’importe comment le matin, je ne prenais même plus la peine de me presser pour arriver à l’heure.
Je me faisais convoquer. On m’a demandé si j’avais des problèmes. Mais je ne leur disais rien. Je me faisais sermonner par mes parents pour les notes, les lettres d’absence. Mais je ne leur disais rien.

Le rôle du solitaire est celui du faible

Ce rôle, ce n’est pas seulement celui de la solitaire, c’est celui du faible. La cible.
On était en Seconde après tout, c’était comme si on était encore un peu au collège.

Il y en avait qui ne m’adressaient pas la parole, et d’autres qui le faisaient pour jouer. Mais pas un jeu à interaction, avec un échange. Un jeu où ils étaient les seuls à s’amuser. Ce jeu-là. Ce jeu qui me suit, depuis la Primaire.

Ils me suivent, me regardent de loin, rigolent. Je les suis, je me retourne, il n’y a plus personne. Je les suis, j’en ai marre, je m’en vais. Une autre journée de randonnée, de cours feintés.

Il y en avait un, il m’insultait chaque fois qu’il me croisait. Je l’insultais aussi, mais ça sonnait tellement creux par rapport à lui. Ça semblait lui passer au dessus de la tête. Moi ça me minait un peu plus à chaque fois.

Il y en avait un autre, il se moquait de moi. Dès qu’il me voyait. Il trouvait toujours quelque chose. Des quolibets tous plus idiots les uns que les autres. Qu’est ce que ça m’énervait. Quand certaines personnes me défendaient, c’était encore plus gênant.

Le reste du temps je marchais. Tout droit. Je retenais les rues que je prenais pour le chemin du retour. Parfois j’avais du mal à retrouver le lycée. Je marchais comme si j’avais quelque part où aller. Je regardais l’horizon où finissaient les allées. Ce même horizon je le regardais déjà du haut de l’escalier de secours du collège, et des fenêtres de la Primaire. Qu’est ce que j’avais envie de me barrer.

Terminé, je n’étais plus la même

Un jour, encore une plaisanterie, encore une insulte, un rejet, je ne sais plus. J’étais en colère. Vraiment en colère. En colère contre moi-même, contre le sort, contre la façon dont s’écoulaient les choses. Je haïssais tout, les gens, la vie, moi.

Terminé. C’était terminé.
Je t’encule.
Fous moi la paix.
Tu veux te battre ?
Vas te faire foutre.
C’est toi le connard.
Non, nique la tienne.
Je t’emmerde.
Casse toi.

Terminé, je n’étais plus moi-même. J’étais une nouvelle moi-même. Sauvage, on l’avait compris, violente. Je me suis battue avec un garçon. Celui qui se moquait tout le temps de moi. J’ai demandé à celui qui m’insultait tout le temps s’il voulait se battre aussi.
Quant aux autres, ils ne se sont pas dit que j’avais changé, ils se sont dit qu’ils découvraient ma personnalité pour la première fois.
Enfin j’affichais quelque chose, une réponse, une riposte. Je n’étais plus une coquille vide.
J’élevais la voix, je gueulais. Je balançais mes mots, mes poings, mes Doc Martens. Le silence était déchiré. Le jeu n’était pas fait pour l’échange, mais pourtant j’en renvoyais un.

– « T’as changé, depuis l’année dernière. »
– « Je te trouve super cool. Pourquoi ce retrait au début d’année ? »
– « J’étais con, sérieux j’étais con. Désolé. »
– « T’es une teigne en fait, moi j’éviterais de te chercher ! »
– « Toi t’es passive, on s’embrouille pas avec toi, on a pas envie. C’est cool. »

Ils s’étaient faits à moi. Ils avaient compris mon silence. Ils avaient compris que mon silence n’était pas un vide, ni une barrière. Le silence c’était moi, mon choix. Et quand on le contestait, je réagissais. Sans gêne, sans limite. Tout peut naître du silence. Ils avaient compris ce qui naîtrait de mon silence.
Ceux qui me menaient la vie dure, sont devenus mes meilleurs amis.

• Faculté

J’alterne silence et bruit. Et ça marche. Les gens mettent juste un peu plus de temps à me connaître.
Ces gens, la primaire, le collège. Je voudrais bien des fois qu’ils réessayent de me faire du mal. Qu’ils osent revenir se distraire sur moi. Car j’ai du bruit en retard à leur faire entendre.


#Collège

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