Rue89 Bordeaux : « A ce stade, on ne remonte pas », disiez-vous après les derniers sondages vous donnant 24 % au premier tour. Cette confession ne démobilise-t-elle pas vos électeurs et les abstentionnistes ?
Vincent Feltesse : Elle a eu un effet médiatique important. Mais personne n’a remis cette déclaration dans son contexte, une discussion de plus d’une heure sur tous les sujets, 11 jours avant que cette seule citation ou presque ne fasse l’objet d’une dépêche AFP, sous l’angle « Feltesse défaitiste ». Je savais depuis le début que le combat serait difficile, ce n’est pas un scoop. Si cela a pu interroger de nombreux militants, notre meeting de samedi dernier à Cenon sur les enjeux de la CUB a été une démonstration de force et de rassemblement.
Quelle est votre stratégie à moins de trois semaines de l’élection ?
C’est une période d’intensification des messages [sic]. On continue notre travail de terrain – porte à porte, réunions « tupperware » – et dans les médias, mais nous devons faire un pas de côté sur la forme. Car lorsqu’on présente nos idées de façon classique, avec des conférences de presse sur la Villa Montaigne, par exemple, on n’est pas repris.
« Bordeaux pour tous », la dernière carte de Feltesse ?
Pour les 70 % de ménages Bordelais qui gagnent mois de 2008 euros par mois, le candidat socialiste à la mairie va proposer une carte « Bordeaux pour tous » ; elle donnera droit à des tarifs dégressifs selon les revenus. 7 tranches ont été imaginées, des familles gagnant moins de 668 euros à celles touchant plus de 2008 euros. Par exemple, le prix des repas seniors irait de 77 centimes pour les plus pauvres, à 5,15 euros pour les plus aisés. Pour les transports en commun, l’abonnement mensuel serait gratuit pour les premiers, et reviendrait à 40,50 euros pour les seconds. D’autres domaines seraient sujets à ces réductions, comme les entrées piscines ou les crèches. Alors que 20 % des Bordelais sont sous le seuil de pauvreté, Vincent Feltesse espère leur rendre ainsi un peu de pouvoirs d’achat, et instaurer un peu plus de justice fiscale. Les impôts locaux, qui dépendent en grande partie de barèmes nationaux, ne sont que peu modulés en fonction des revenus.
Et un pas de côté vers la gauche, pour tendre la main aux quelques 10 % d’électeurs tentés par le Front de gauche ou le NPA ? Pourriez-vous par exemple reprendre certaines de leurs propositions, comme la gratuité des transports en commun ?
Je ne vois pas pourquoi les riches ne devraient pas payer les transports en commun. Je suis en revanche pour un système de tarifications plus sociales en fonction des revenus, et plus redistributives, que nous présenterons lundi. 10 % des ménages vivent avec moins de 668 euros par mois. Cette carte, « Bordeaux pour tous », leur accordera notamment la gratuité des transports en commun, qui n’est actuellement donnée qu’en fonction du statut – étudiants, chômeurs… [lire l’encadré]
Par ailleurs, mon adversaire, c’est Alain Juppé, ce n’est pas Vincent Maurin (Front de gauche), avec qui nous avons signé à la CUB [NDLR : présidée par Vincent Feltesse] un accord sur le logement social ou la politique industrielle, ni Philippe Poutou, avec qui j’ai envahi deux fois le salon de l’automobile.
Bordeaux et la CUB ont-elles encore les moyens de financer de nouvelles lignes de transports, alors que l’État réduit son soutien, comme on l’a vu à propos du report de l’écotaxe ?
Le programme de Communauté d’avenir [NDLR : l’opposition de droite à la CUB] reste sur l’optique du tout tram, avec plus de 700 millions d’euros d’investissement supplémentaires, notamment une liaison entre Talence et Gradignan pour laquelle on n’est pas sûr que la fréquentation soit suffisante. Nous proposons d’être plus raisonnables, en visant en priorité la desserte de zones d’activités économiques, comme la plateforme aéroportuaire et ses 20 000 emplois. Quant à l’abandon de la taxe poids lourds, c’est une bêtise et un non-sens écologique et fiscal. En Aquitaine, on est bien placés pour savoir ce que le trafic des camions coûte à la collectivité.
Pour faire des économies, le gouvernement socialiste propose de fusionner les métropoles, dont Bordeaux fera partie, et les départements. Qu’en pensez-vous ?
Je ne vois pour l’instant pas l’intérêt de reprendre les compétences sociales du Conseil général, comme la gestion du RSA, chronophage et coûteuse. Ce n’est pas la priorité du moment. Le sujet encore devant nous, c’est comment mieux articuler le fonctionnement des 28 communes et celui de la CUB, et d’arrêter la guéguerre entre celle-ci et Bordeaux. L’agglomération doit prendre les compétences sur les déchets, le stationnement, sans laquelle il ne peut y avoir de politique globale de mobilité, et les grands équipements. La loi sur les métropoles facilitera cela. Les villes doivent se recentrer sur leur cœur de métier, la proximité et la solidarité.
Alain Juppé n’est pas vraiment dans cette optique…
Entre nos programmes municipaux et communautaires, il y a de vraies divergences politiques. Avec ces barreaux autoroutiers que pourraient emprunter les camions, Alain Juppé propose un « Canada Dry » de grand contournement. Il veut financer le passage à deux fois trois voies de la rocade par une extension des concessions aux sociétés d’autoroute. Il est contre le retour de l’eau en régie publique. Et contre la création d’un établissement public foncier, qui permettrait de maîtriser la flambée des prix de l’immobilier, ou encore de racheter des fonds de commerce pour maintenir des activités en ville.
Quelles peuvent être les marges de manœuvre des villes pour créer de l’emploi ? Vous évoquez dans votre programme la relocalisation des industries de machines agricoles pour la viticulture…
Ces activités ont en effet complètement disparu en France, pas pour partir en Chine, mais en Italie. Près de la Base sous-marine, des centaines d’hectares appartenant à la puissance publique pourraient être consacrées aux entreprises qui voudraient se rapprocher de leurs clients. C’est en résolvant un problème foncier, lié à la prévention des risques d’inondation, que CNB (Construction navale de Bordeaux) va pouvoir passer de 450 à 900 emplois. Alain Juppé est maire depuis 19 ans, il a paraît-il, du fait de ses fonctions nationales, un des plus gros carnets d’adresse de France. Mais je ne serais pas capable de citer un exemple d’entreprise qui se soit installée à Bordeaux grâce à lui. A l’image du dossier du refit [NDLR : projet d’installation d’une activité de réparation de grands yachts aux Bassins à flot], il a toujours arbitré en faveur de la promotion immobilière. Ce qui l’intéresse, c’est l’aménagement de sa ville, pas les questions de culture ou d’économie.
Que pensez vous de sa position sur l’avenir du stade Chaban-Delmas ?
Le risque, c’est que le 23 mars, les Bordelais signent un chèque en blanc à Alain Juppé. Sur cette question comme sur d’autres, je veux bien que vous m’expliquiez son projet et ses convictions. En 2008, par exemple, il avait déclaré qu’il n’y aurait pas de Grand Stade à Bordeaux. Nous nous disons qu’en cas de victoire, la vocation sportive de Chaban-Delmas sera maintenue, et les partenariats publics-privés, notamment celui avec le consortium Vinci-Fayat pour le Grand Stade, seront renégociés. Tout comme certaines délégations de services publics (DSP), sur les crèches par exemple. C’est en renégociant la DSP sur les transports avec Kéolis que la CUB a obtenu une amélioration du service public des transports, ainsi qu’une baisse de 10 % des factures de l’eau à l’issue de négociations avec la Lyonnaise.
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