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Nantes, 22 février : histoire d’une révolte anti-aéroport

Témoignage sur une journée contre un futur gris fait d’aéroport, de parkings et d’autoroutes… et sur le basculement d’une manifestation pacifique dans la violence. 

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Nantes, 22 février : histoire d’une révolte anti-aéroport

(Non au projet d'aéroport Notre-Dame-des-Landes/Flickr)
(Photo Non au projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes/Flickr)

Rendez-vous avait été donné à 6h30, sur le parking de Bordeaux 3. Dans le tramway, on croise les fêtards qui finissent leur « soirée », par grappes, plus ou moins éméchés. Entre le délire complet et la lucidité naïve du moment où l’on se dessoûle.

Il bruine sur le campus. C’est bien rare de passer par là dans la nuit noire, pour aller à une manif ! Paradoxalement, je trouve le lieu moins froid et insensible que les jours de cours. J’aperçois l’attroupement derrière le Sirtaki. Des jeunes pour la plupart – dont des étudiants –, et des moins jeunes – dans le genre bobo pessacais. Deux cars ont été commandés par le comité local de soutien à la lutte de Notre-Dame-des-Landes. On les remplit et on part.

A Nantes, des manifestants de tous horizons

Arrivée à Nantes. Tout de suite, des signes annoncent qu’on est au bon endroit : les drapeaux des anti-aéroports, de quelques partis politiques, de la Bretagne ; et les gendarmes, policiers et CRS déployés dans toute la ville. Des robocops à chaque coin de rue – sans exagérer. Drôle d’ambiance donc, mais légère et joyeuse. Même les CRS ont l’air gai ! Une danse bretonne est improvisée au milieu d’une avenue.

Vers 13h, c’est le ralliement. Tous les drapeaux convergent. Moment galvanisant, formation de la foule dans laquelle on se perd. Immédiatement, on voit la diversité des gens présents. Il y a les opposants historiques au projet (habitants du coin, agriculteurs, paysans, et zadistes – ceux qui vivent sur la ZAD, « zone d’aménagement différé » pour les promoteurs de l’aéroport, rebaptisée « zone à défendre » par ceux qui y ont construit des habitations et y cultivent des terres).

Il y a aussi des militants, syndicaux avec Sud Solidaires, politiques avec EELV, le Front de Gauche, et même des élus PS. Il y a des « marginaux » comme on les appelle. Il y a quelques bonnets rouges et indépendantistes bretons. Il y a beaucoup de gens déguisés, en clowns, en patates, en divers animaux qui font la richesse du bocage de Notre-Dame-des-Landes.

Il y a des pancartes dénonçant le projet d’aéroport, mais aussi d’autres GPII (« grands projets inutiles imposés ») : un incinérateur par-ci, une ligne de train par-là. Il y a des musiciens qui mettent de l’ambiance dans le cortège. Il y a même un char de rappeurs et un chariot de taggeurs ! Il y a des gens cagoulés pour ne pas qu’on les identifie.

Les forces de l’ordre ont comme consigne de bloquer tous les accès à l’hyper centre. Résultat, à chaque intersection, des barrages de CRS (avec grille, boucliers, et canon à eau) empêchent de prendre les rues situées sur la droite du cortège. C’est assez impressionnant, mais en complet décalage avec l’ambiance. Alors certains envoient des jets de peinture sur leurs beaux équipements bleu sombre – les bonhommes ne bronchent pas. Dur métier…

Violence, danse et doléances

Assez rapidement, on voit des signes de violence. Une vitrine de Vinci (constructeur de l’éventuel aéroport, qui se trouvait sur le trajet de la manif) repeinte puis défoncée, un engin de chantier Vinci incendié, deux vitrines d’agences de voyage brisées. Puis de la fumée, venant du « front » entre CRS et manifestants, là où le cortège devait passer avant l’interdiction donnée la veille par le préfet. Mais on ne voit pas grand-chose, au ras du bitume. On ne comprend rien même ! C’est le problème des manifs, on est toujours bloqué quelque part dans la foule, et on n’a accès qu’à ce qui se passe sous nos yeux.

Alors on continue à avancer, à déambuler sur la route jusqu’au point d’arrivée. Là, autour d’une place et d’un parking, 520 tracteurs venus de Bretagne et des Pays de la Loire : sentiment de puissance donné par ces engins, outils de travail et outils de manifestation que bien d’autres luttes doivent envier ! On va écouter un peu les batucadas, les prises de parole des organisateurs ré-expliquant leurs motivations. Pas loin des organisateurs font un barbecue, d’autres des crêpes ou encore des galettes de blé noir préparées avec le sarrasin semé et récolté par les zadistes sur la zone promise au bétonnage.

Par curiosité, quand même, on s’avance un peu pour essayer de voir et comprendre pourquoi il y a tant de fumée devant. Des gens s’agitent, lancent des objets ; y’a des pétards et des fumigènes. Progressivement, ça s’envenime : barricades, pavés déterrés, arrêt de tramway incendié… Vers 18h, les forces de l’ordre lancent un assaut : et que j’t’envoie des bombes lacrymogènes dans la foule, et des coups de flashball. Alors que seule une minorité était violente sur les côtés de la place, les manifestants encore présents sont obligés de fuir en toutes directions.

C’est cette phase, semble-t-il, qui a provoqué des blessures (dont un jeune homme qui a perdu un œil). Le CHU de Nantes, qui se trouve par chance juste à côté, accueille quelques blessés et « réfugiés ». Et tout ça jusque vers 21h, samedi soir. Alors les derniers manifestants et casseurs se dispersent aux côtés des Nantais qui vont au restaurant, et des étudiants qui vont dans les bars. La journée est bouclée.

Fumigènes, pneus brûlés et autres écrans de fumée

Depuis qu’entend-on ? Des hordes de jeunes venus de la Zad pour « dévaster » le centre de Nantes ? Des « affrontements violents » conduits par des black blocks venus de l’étranger ? Moi non plus, je n’ai pas vu les choses comme ça. Derrière l’écran de fumée, des gens qui viennent de toute la France, occupent les places, font de la politique. Et personne ne veut les entendre.

La violence, ça n’est pas très cool, ça coûte à la société en réparations, ça fait des dégâts humains (des deux côtés samedi dernier), c’est bête et méchant. On en est bien d’accord. Mais il faudrait prêter un peu attention à nous, venus manifester de toute la France, et pour certains violemment parce que c’est le mode d’expression qui leur est venu.

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un symbole, qui réunit des protestations dans tout le pays. Comment expliquer sinon que la lutte anti-aéroport soit si étendue sur le territoire ? Ce n’est pas tant l’aéroport en lui-même qui nous gêne, que l’idéologie du toujours plus, de la croissance du PIB, les conflits d’intérêts, les décisions prises de loin et sur les seuls critères économiques par des politiciens inaccessibles, la vision d’un futur bouché, bétonné.

Une vie existe en dehors des « métropoles d’un million d’habitants »

À Nantes nous nous sommes rassemblés, parfois avec violence, pour refuser un futur gris, fait d’aéroports, de parkings et d’autoroutes. Quand on voit quelques images de la Zad (, et ), ce morceau de terre que se sont approprié des jeunes culotés et débrouillards, on a d’abord du mal à croire que ça existe vraiment. Mais si ! Une vie existe en dehors des « métropoles d’un million d’habitants », des scandales politico-financiers chaque matin à la radio, du stress de trouver un stage ou un boulot précaire et inintéressant.

Les dirigeants politiques eux, ne se posent pas de question. Ils ne cherchent pas à comprendre pourquoi des gens vont dans la rue, et pourquoi certains sont violents. Ils « condamnent ». Ils utilisent la violence des jeunes révoltés pour apparaître en garants de la sécurité publique (c’est censé rapporter gros aux élections). Et ils s’en servent comme arguments politiciens : pour embêter leurs adversaires politiques, pour reprocher à l’autre de ne pas « condamner », d’être ambigu. Bref, ils sont à côté de la plaque.

Pendant ce temps, la pression augmente, plus encore chez les jeunes que dans le reste de la société – et si certains passent leurs nuits dans les bars, c’est probablement pour faire redescendre cette pression en eux. Ça tombe bien, nous sommes aussi les plus dynamiques, les plus aptes à battre le pavé. Alors demain nous seront mobilisés, à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs. Et peut-être, bien qu’on ne le souhaite pas, certains useront-ils de la violence à nouveau.


#aéroport de Bordeaux-Mérignac

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Photo : Arthur Chi Yen/Flickr/CC

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