Des sortants pas sortables
« Ludovic Freygefond aurait dû être reconduit avec un score gabonais », souffle un militant socialiste, dimanche soir à Bordeaux après la défaite du maire du Taillan, et patron du PS girondin. Pour Taillanais, un internaute réagissant sur Rue89 Bordeaux à l’analyse d’Hubert Bonin, il y a au contraire « un rejet grandissant » de ce « personnage hautain (…), loin des habitants et de leurs préoccupations, et accusé de faits très graves ! Pour une bonne partie de Taillanais, les résultats de dimanche n’ont vraiment pas été une surprise…. »
Ludovic Freygefond est visé par deux enquêtes judiciaires, l’une pour harcèlement moral et l’autre pour prise illégale d’intérêt. « Alors que les terrains de la ville sont gelés et préemptés par la CUB, les 75% de Taillanais propriétaires de leurs maisons ont été mécontents d’apprendre que leur maire a pu acheter des terrains et faire 300 000 euros de plus-value », souligne Agnès Laurence-Versepuy. Challenger (UDI), elle menait une « liste d’ouverture, pas très politique, un peu à l’inverse du maire sortant, ce qui a plu ».
Elue dimanche avec 56,42% des voix, cette chef d’entreprise de 31 ans est ainsi l’un des nouveaux visages de la « blue CUB », qui bascule à droite pour la première fois depuis 2001 (Alain Juppé en était alors président, mais avec une majorité de gauche).
La « Madrellie » au tapis
Alain Turby, 34 ans, est une autre jeune pousse de l’agglo. Le nouveau maire de Carbon-Blanc, qui se revendique « sans étiquette », a bataillé pendant la campagne contre le « système Madrelle » : instauré par Philippe, actuel président PS du conseil général, et « maire honoraire » d’une ville qu’il a dirigé de 1976 à 2001, la mainmise familiale allait se prolonger avec son fils Nicolas, aux commandes de Carbon-Blanc depuis septembre 2013. Il a remplacé Franck Maurras, maire de Carbon-Blanc, démissionnaire après avoir avoué qu’il détournait les fonds d’une association. Un déclic pour Alain Turby :
« L’affaire Maurras a fait des dégâts chez nos concitoyens. Nicolas Madrelle lui a succédé dans la foulée alors qu’il n’était pas le plus légitime vu son positionnement dans la liste et ses responsabilités. Les électeurs n’ont pas été dupes, ils ont compris la manœuvre. »
Népotisme et cumul dans le temps ont également été reprochés à Maurice Pierre : maire d’Ambès depuis 1983, il a imposé la présence de son épouse sur la liste. La première liste d’opposition de droite montée contre lui depuis 1989 (!) lui aura été fatale. Kevin Subrenat, un fonctionnaire territorial de 30 ans, a conquis la petite commune (moins de 3000 habitants).
La succession a aussi été rocambolesque à Artigues : après la démission de son mandat de maire de la sénatrice François Cartron, les socialistes se sont copieusement tirés dans les pattes. Du pain béni pour Anne-Lise Jacquet, chargée de mission du groupe Communauté d’avenir (droite) à la CUB : leader de l’opposition au conseil municipal d’Artigues, elle laboure le terrain depuis deux ans – porte-à-porte, méchouis, lotos… – et revendique un projet réalisé avec les habitants.
Densifier ou bétonner ?
S’il suffit de regarder sur une carte pour voir que ces quatre communes sont parmi les plus excentrées de la CUB, elles attirent de nouveaux habitants. Les opposants ont dénoncé pendant la campagne le risque qu’elles ne deviennent des cités dortoirs.
« Au Taillan, le maire avait un gros problème de priorité, estime Agnès Laurence-Versepuy. Il voulait faire une belle vitrine, mais en oubliant les gens. Pour passer de moins de 10000 habitants aujourd’hui à plus de 15000 en 2025, de gros programmes immobiliers ont été lancés, un de 676 logements en cours, un autre de 1200. Nous allons le remettre à plat. Car avant même le fait que la ville soit bétonnée, ce qui fait peur aux habitants pour leur cadre de vie, ils s’alarment que les services à la population ne suivent pas : on a certes une médiathèque neuve à 9 millions d’euros, mais seulement 25 places en crèche et des lotissements qui ont encore ni tout-à-l’égout ni éclairage public. Nous voulons remettre ces services à niveau, des crèches aux maisons de retraite. «
Densification nécessaire pour les uns, pour les autres bétonnage d’espaces naturels sans préalable de desserte par les transports en commun : l’urbanisation galopante de l’agglomération s’est ainsi invitée dans le débat municipal. L’avenir du domaine du Bourdieu, à Saint-Médard-en-Jalles, a probablement pesé lourd dans le score de Jacques Mangon, qui a manqué d’une vingtaine de voix l’élection au premier tour contre Serge Lamaison.
Le contrôle de l’étalement urbain est aussi une préoccupation à Artigues-près-Bordeaux, sur la rive droite, selon sa nouvelle maire, Anne-Lise Jacquet :
« L’urbanisation de la commune s’est faite très rapidement, sans attention portée notamment sur l’évacuation des eaux pluviales. Il y a encore des lotissements qui ne sont pas raccordés au système de collecte des eaux de pluie, ce qui va nécessiter un énorme travail de voirie, indispensable pour limiter les risques d’inondation catastrophique, telle que nous en avons récemment connu en 2013 avec des ruisseaux sortant de leur lit. Nous demanderons que la CUB, recentrée sur ses compétences, investisse dans la voirie et les digues. »
Ne plus « regarder passer les trains »
Enfin, l’économie et les transports sont deux sujets de préoccupation dans ces villes de la périphérie bordelaise :
« On n’a pas de zone d’activité et peu de commerces de proximité, indique Agnès Laurence-Versepuy. Pour faire leurs courses, une partie des habitants du Taillan va à Blanquefort, et une autre à Saint-Médard ».
Directeur des programmes informatiques de l’Inseec, une école de commerce bordelaise, Alain Turby estime de son côté que Carbon-Blanc « regarde passer le train » :
« Les habitants ont pris conscience que notre voisine, Saint-Eulalie, aspire toutes les entreprises commerciale. Nous avons besoin de redynamiser cette ville, avec des leviers qui n’ont pas été bien utilisés. On doit s’équiper d’un réseau très haut débit, et on pourrait développer la desserte ferroviaire des gares de Sainte-Eulalie – Carbon-Blanc et de Bassens, et l’accès à ces gares. Cela nous mettrait à 15 minutes en train de Bordeaux Saint-Jean. »
L’amélioration des lignes de bus vers Artigues, l’arrivée et la connexion au tram D au Taillan, le projet de tram-train à Ambès… La génération de droite « blue CUB » est convaincue de l’intérêt des transports en commun, et compte bien profiter au niveau communautaire de l’appui d’Alain Juppé, venu soutenir ses candidats à Artigues et au Taillan. Les négociations sont en tous cas engagées :
« Je viens de raccrocher, j’étais au téléphone avec Alain Juppé, rapporte le non encarté Alain Turby lors de notre entretien, lundi dernier. Je n’ai pas encore pris ma décision sur mon adhésion à Communauté d’avenir. On va réunir notrre équipe pour examiner ce que chacun nous propose et on se positionnera plus concrètement. Nous sommes en tous cas favorables au principe de la cogestion. »
On peut avoir fait tomber les Madrelle et être soi-même déjà madré…
Chargement des commentaires…