Nul ne sait où en sera l’école dans 30 ans. Le site américain « Education futures » pronostique même la disparition globale de l’école vers 2045. En attendant, l’évaluation PISA de novembre 2013 est venue rappeler quelques vérités sur le mauvais état de l’école française :
1- La réussite scolaire est de plus en plus liée au milieu social des élèves. Notre système éducatif est devenu en 2009 le plus inégalitaire d’Europe et en 2012 le plus inégalitaire du monde. Lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir à l’école qu’il y a 10 ans.
2- Le niveau moyen de nos élèves à la fin de la scolarité obligatoire baisse. Ce n’était pas vrai en 2003, ça l’est aujourd’hui. Et c’est d’abord dû à l’accroissement du nombre et des difficultés des élèves en grande difficulté. 20 % de nos jeunes ne savent pas ce qu’il est indispensable de savoir.
3- La France est championne d’Europe pour le niveau de stress de ses élèves et dans les pires pays au niveau mondial avec le Mexique, la Corée du Sud…
4- Or, les systèmes scolaires qui atténuent les inégalités sont aussi les plus efficaces. Là où il y a peu de « mauvais » élèves, il y a aussi beaucoup de bons et très bons élèves.
Le constat est accablant. Notre école ne se borne pas à reproduire les inégalités sociales, elle les accentue ! Cela interpelle l’idéal d’égalité des chances sur lequel se fonde notre société. Il faut agir. Comme l’ont fait d’autre pays (Allemagne en 2003, Pologne en 2009…), en se servant de ce qui se fait à l’étranger et des enquêtes internationales pour proposer des pistes urgentes à mettre en œuvre. Voici six propositions pour mettre fin à cette aberration française : on ne peut réussir sa vie sans avoir réussi ses études.
∎ Reprendre complètement la formation des enseignants
La tradition d’élitisme et le mépris des questions pédagogiques nuisent à la qualité de cette formation, la moins « professionnalisante » d’Europe comme le rappelait l’économiste Eric Maurin en 2007. La réforme de 2009 a encore aggravé la situation en réduisant la phase d’apprentissage du métier nourrie par les expériences de terrain.
Pas de demi-mesure ! Il faut tout reprendre à zéro et former dans les ESPE (école supérieure du professorat et de l’éducation) des bacs +2 qui auraient une formation approfondie de 3 ans. Sur leurs matières d’abord, mais aussi sur la pédagogie, sur la façon de gérer des salles de classes de plus en plus hétérogènes et sur la maîtrise technique des outils numériques et de technologies toujours plus innovantes auxquels il faut éduquer et former les jeunes.
Les compétences attendues dans le métier d’enseignants sont nombreuses, complexes et en pleine évolution. La science et la philosophie de l’éducation sont très valorisées dans certains pays, aux États-Unis et au Canada par exemple, alors qu’en France l’éducation n’est pas reconnue comme une discipline académique sérieuse.
L’objectif est de créer le « professeur du XXIe siècle », au prix d’une vraie révolution culturelle : passer d’une logique de l’enseignement à une logique de l’entraînement, en étant capable de faire cours, d’accompagner les élèves, notamment ceux en difficulté, et de travailler en équipe. Il travaillerait plus sur place, au sein d’une équipe.
Contrepartie du fait de travailler autrement, il serait mieux considéré et mieux payé – les enseignants français sont très mal payés par rapport aux autres pays de l’OCDE, et leurs salaires ont baissé de 9 % entre 2000 et 2011, alors qu’ils ont augmenté de 21 % dans les pays voisins. Les enseignants en place choisiraient ce nouveau statut, ou non, à leur gré ; les nouveaux, ceux que l’État recrute, le seraient dans le nouveau statut.
∎ Reconstruire la formation continue
Elle est sinistrée, les suppressions de postes l’ont mise à mal. Il faut reconstruire. En France seulement 17 % des enseignants bénéficient d’un accompagnement contre 61 % dans l’OCDE et 100 % à Singapour. Chaque année tout enseignant de Singapour bénéficie d’un suivi professionnel, alors que seul un enseignant français sur 6 est accompagné dans sa pratique (2 sur 3 en moyenne dans les autres pays).
Il faut donc absolument mettre sur pied une organisation d’aide, d’accompagnement et d’évaluation des professeurs, fréquents et réguliers. Pour faire entrer l’école dans « l’ère du numérique », l’Éducation nationale doit former massivement les enseignants à l’usage du numérique.
∎ Refondre les programmes
Venus d’en haut, ces programmes que les profs sont tenus de suivre sont lourds, infaisables souvent, stressants, théoriques, aux vertus formatrices douteuses et en complète contradiction avec le socle commun de connaissances et de compétences qu’est censé maîtriser chaque élève en fin de scolarité. L’approche française, très académique, ne fonctionne que pour les élèves déjà performants. La plupart des pays ont abandonné les programmes au profit des curricula qui mettent l’accent sur ce qu’on attend d’un enseignement.
N’y figure pas, en revanche, le détail des compétences à maîtriser, chapitre après chapitre, comme dans un programme à la française. Ce sont les professeurs eux-mêmes qui, s’en saisissant, y mettent de la chair et des contenus.
En Italie, en Finlande ou au Royaume-Uni, à partir d’une trame nationale, par établissement ou par bassin d’éducation, les enseignants construisent ensemble les contenus qui, à leurs yeux, vont le mieux permettre de parvenir aux objectifs nationaux. C’est le seul moyen pour sortir des programmes encyclopédiques que subissent les élèves français. Ce système offre par ailleurs une cohérence entre les différents niveaux et les disciplines et donne aux enseignants une vraie marge de manœuvre.
∎ « Dynamiter » le corps des inspecteurs pédagogiques.
Tous les ministres de l’Éducation nationale successifs s’en plaignent. Leurs fonctions multiples (participation aux tâches d’examen, de gestion et d’administration de la vie pédagogique et éducative, inspections) en ont fait un corps hybride qu’il faut faire disparaitre et lui substituer des personnels aux missions mieux définies. Beaucoup de pays européens l’ont fait et ils s’en portent bien.
La suppression des corps d’Inspecteurs et leur remplacement par des organismes extérieurs indépendants – l’OFSTED en Angleterre, par exemple – ont profondément modifié l’école dans ces pays. On y est passé d’une inspection individuelle basée sur le contrôle de conformité et l’injonction à une conception plus large de l’évaluation non plus des personnes, mais des organisations et des systèmes, appliquée aux pratiques collectives et aux unités d’enseignement que sont les établissements. Cela a permis aussi de libérer l’innovation, de la soutenir, la stimuler et l’accompagner par la naissance d’établissements nouveaux.
∎ Lutter contre la ségrégation scolaire
La hausse des inégalités vient aussi de la ségrégation scolaire, souvent beaucoup plus marquée que la simple ségrégation urbaine, sous l’effet des déplacements des familles les moins démunies vers les établissements du haut de la hiérarchie locale. Pour lutter contre la ségrégation scolaire, on peut regarder ailleurs.
En Finlande, pays où il y a le moins d’inégalités entre les élèves, les politiques sont parvenus à limiter au maximum le processus de hiérarchisation des établissements. Tout est fait pour donner envie aux familles de scolariser leur enfant dans l’école de secteur. Cela passe par des conditions de vie pratique (transports scolaires gratuits notamment…) mais surtout en assurant une bonne qualité d’enseignement partout : avec des personnels qualifiés aux compétences complémentaires intervenant à plusieurs dans les classes. On ne voit jamais ainsi en Finlande le cercle vicieux qui veut que les plus jeunes professeurs enseignent dans les établissements les plus difficiles, avant d’en partir dès que leur ancienneté le leur permet. En Finlande, le métier d’enseignant est extrêmement valorisé et attractif.
A Shanghai, qui est en tête du classement PISA 2013, dans les écoles avec des élèves en grandes difficultés, on envoie les enseignants les plus expérimentés. En France, on pourrait très bien imaginer des classes de CP à cinq ou six élèves, avec des professeurs bien formés, à côté de CP à 30 ou même 35 élèves dans les milieux et quartiers plus favorisés. La notion d’« écoles aimants » (magnet school) est aussi à développer : à quartier répulsif, école attractives (par des options rares par exemple).
∎ Faire réussir tous les élèves, et en particulier les 20 % en grand échec
La grande difficulté scolaire débouche sur la grande difficulté économique, sociale et personnelle. Aujourd’hui et demain, on ne peut réussir sa vie sans avoir réussi ses études. L’échec scolaire n’est pas seulement une affaire individuelle mais de toute la société : des entreprises et des administrations, qui perdent en compétitivité ; de la vie collective qui gagne en violence. La réussite de tous, et notamment des 20 % en grande difficulté, se doit d’être grande cause nationale.
Pas de demi-mesure là non plus. Plus de redoublement ni de sélection avant la fin de la scolarité obligatoire, mais une école apaisée, inventive, diversifiée, coopérative, ouverte à la différence, motivante. Il faut que les élèves sachent qu’apprendre vaut vraiment la peine. C’est un cercle vertueux, qui repose sur la confiance en soi et l’autorégulation : « Plus je travaille, plus je suis satisfait de mon travail, plus j’ai envie de travailler. » L’école doit être un lieu où l’on est content d’aller, parce que c’est intéressant, stimulant et valorisant, y compris dans son système de notation.
Au bac, par exemple, en 2011, il y a seulement 38 élèves qui ont obtenu 20 sur 20, soit 0,0058 % des lycéens. En Angleterre c’est 8 % ! Autant l’objectif central de la scolarité obligatoire est le même pour tous les élèves (maîtriser le socle commun), autant les voies pour y parvenir doivent être différentes selon les élèves. D’où, en plus de la diversification juste et maîtrisée des moyens, une très grande liberté des équipes enseignantes et des chefs d’établissement dans le choix des pratiques éducatives.
Une révolution de pensée et des choix politiques s’imposent
Enseigner autrement est possible notamment dans des projets pédagogiques collectifs pour susciter motivation, coopération et accès diversifié aux savoirs. Il ne faut pas oublier que 65 % des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés.
Pas de naïveté ni de démagogie. Si l’on veut dépasser le stade des déclarations d’intention, il faut se montrer vigilant et inventif : savoir négocier, mobiliser des compétences, mener des expérimentations (et pas au compte-gouttes), identifier les obstacles et les ajustements nécessaires. C’est seulement à ce prix que les tendances ségrégatives et inégalitaires peuvent être inversées, en construisant par étapes des solutions viables et qui fassent consensus.
Tous les systèmes éducatifs à travers le monde sont engagés dans des processus de réforme. La réussite en cours de la massification de l’éducation au XXe siècle engage désormais un mouvement vers une plus grande personnalisation de la plupart des systèmes éducatifs. Les TICE (Les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) sont les outils par excellence qui permettent cette personnalisation autant que la montée des compétences de travail collaboratif, et celle des capacités d’initiative, d’expression ou d’innovation. En France une révolution de pensée s’impose, et de vrais choix politiques.
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