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Nous vieillirons ensemble : l’habitat partagé par les seniors

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(Photo P-M. Borgne/Rue89 Bordeaux)

Les anciens membres de Cocon 3S  Aquitaine mettent au point les derniers détails de leur nouvelle association, Les Cologis. (Photo P-M. Borgne/Rue89 Bordeaux)

Pour ne pas être seul(e)s et mutualiser des moyens d’existence, les retraité(e)s créent des co-habitations sur mesure. En voici trois exemples dans la métropole bordelaise : la colocation de Cocon3S, les logements intergénérationnels de Vivre avec, et la coopérative d’habitants des Boboyaka, qui organisent ce samedi une journée

Cocon3S, les triplettes de Ginko

« Vivre avec » : bon plan appart contre mamie-sitting

Les Boboyaka construisent leur retraite

 

Cocon3S, les triplettes de Ginko

Si le départ à la retraite a pu les angoisser un temps, les trois locataires de Cocon 3S Aquitaine ont enfin trouvé la sérénité, celle-là même que l’on pourrait attendre d’un repos bien mérité. Installées depuis un an dans un T5 de 93m2, avec jardin et terrasse, dans l’écoquartier de Ginko, Martine, Jeanne et Danièle, toutes les trois sexagénaires, sont ainsi les pionnières de la cohabitation entre seniors à Bordeaux.

Ce mode d’habitat partagé a été initié par Christiane Baumelle, psychosociologue résidant en Bretagne, suite à la canicule de 2003. Du fait de leur isolement et de leur fragilité, les ainés avaient été les principales victimes de cet été meurtrier – 14800 décès. L’association nationale Cocon3S est créée pour encourager les seniors à rejoindre des petits groupes d’habitats partagés.

« Christiane m’ayant dit qu’il n’y avait rien à Bordeaux ni personne pour monter une association locale, j’ai lancé l’affaire avec celles qui l’avaient également contactée pour se renseigner, explique Martine. En mars 2012, on a créé Cocon3S Aquitaine. »

Les trois retraitées relèvent leurs manches et montent ex nihilo le projet d’un cocon à Bordeaux. Puis Jeanne, Martine et Danièle apprennent à se connaître pendant 9 mois, autour de la même envie de créer et d’expérimenter quelque chose.

« Je n’ai pas mis une annonce sur le Bon Coin pour chercher une cohabitation, souligne Jeanne. Ça ne se fait pas comme ça. J’ai essayé de rencontrer d’autres personnes qui étaient aussi dans ce désir-là et on a donc travaillé ensemble à envisager concrètement une cohabitation. »

Ainsi, chaque mercredi après-midi, pendant 4 mois, elles ont tout mis sur la table, explique Martine :

« On a passé en revue tous les sujets du quotidien qui nous passaient par la tête. Par exemple, est-ce qu’on veut une maison en ville ou à la campagne ? En ville, on sera proche des transports en commun…  Avec une seule contrainte et une évidence, le respect de l’autre. »

L’écoquartier Ginko leur apparaît alors comme l’endroit idéal. Proche de toutes les commodités (transports, commerces, soins…), elles trouvent le cadre de vie propice à leur bien-être de jeunes retraitées. Elles repèrent une maison au bord du lac, avec des parties privatives pour chacune, plus cuisine, salon, salle à manger, terrasse et jardin. Malgré son originalité, le dossier est retenu par les bailleurs.

Si aujourd’hui le soleil est au beau fixe sur la cohabitation, le trio anticipe d’éventuelles animosités en organisant un apéro en soirée, où chacune peut dire ce qu’elle ressent. C’est une recette efficace qui, selon elles, permet de ne pas réagir sous le coup de l’emportement. Et si malgré tout, l’une d’elles décidait de quitter la cohabitation, cela n’aurait pas d’incidence sur son existence même puisqu’elles se sont engagées, en signant le bail solidaire, à continuer de payer l’intégralité du loyer en attendant de trouver une nouvelle locataire.

Mamie Gâteaux et Mère la rigueur

Ainsi en s’installant ensemble, les trois aînées n’ont pas seulement mis un terme à leur isolement passé, elles ont aussi réussi à créer les conditions de leur bien-être moral et physique. Indépendantes et solidaires, toutes sont en effet ravies de savoir qu’elles peuvent dorénavant compter l’une sur l’autre. Il faut par ailleurs savoir que si les femmes de 80 ans sont 7 fois plus nombreuses que leurs homologues masculins, le montant des retraites des femmes est bien plus faible que celui des hommes.

« La solidarité c’est important pour nous : si on a une difficulté de santé, il est évident que les autres se doivent d’être là pour nous aider. Chacune trouve son domaine pour les autres dans la maison. Danièle, c’est notre Madame gâteaux, qui nous régale, et qui s’occupe du jardin avec Jeanne, et moi, je m’occupe des comptes : il y un partage des tâches qui se fait naturellement. On mutualise tout, explique Martine. »

Elles se sont aussi mises d’accord sur la mutualisation des moyens afin de partager entre elles les dépenses courantes.

« Pour le loyer, l’eau, l’électricité, le téléphone et internet, l’alimentation, les taxes, les assurances… on a calculé une quote-part mensuelle que nous versons tous les mois sur un compte commun que nous avons créé spécialement à cet effet, poursuit Martine. En moyenne, on verse 695€ chacune. Et si l’une de nous ne mange pas à la maison, on se rembourse alors le repas : 3€. On se libère ainsi des moyens et du temps pour tout le reste. Comme Jeanne, j’habitais avant dans une petite maison à Bordeaux qui me coûtait le double par rapport à aujourd’hui, et la décision de la vendre pour devenir locataire a été prise rapidement. »

Et afin de faire profiter le plus grand nombre de leur expérience, la triplette de Ginko vient de lancer avec d’autres, un réseau, Les Cologis. Conscientes de l’intérêt de la cohabitation pour les seniors, elles veulent promouvoir ce dispositif auprès des pouvoirs publics. D’ici 2050, les plus de 60 ans représenteront plus du tiers de la population française. Compte tenu de la mauvaise réputation des maisons de retraite et du coût élevé des établissements spécialisés, les modes de vie alternatifs se décident aujourd’hui.

« Vivre avec » : bon plan appart contre mamie-sitting

Suite à une bonne expérience de cohabitation intergénérationnelle durant ses études, Élise Renet décide de développer ce dispositif à Bordeaux, en fondant en 2004 l’association « Vivre avec ». Davantage répandu en Espagne qu’en France, ce dispositif consiste à former des « binômes » où un jeune en formation est hébergé au domicile d’une personne âgée. Cette dernière, en favorisant la réussite scolaire de l’étudiant – parce qu’il n’a pas à travailler pour payer son loyer – reçoit en retour de la compagnie au quotidien, cinq jours sur sept.

Psychosociologue en charge de la sélection des étudiants et de l’accompagnement des binômes, Florence Aigrot-Lutard dresse pour nous le portrait des seniors adhérents au dispositif :

« Il y a d’abord des femmes veuves, entre 70 et 85 ans, qui suite au décès de leur mari, appréhendent la nuit avec une certaine anxiété, et qui sont donc rassurées d’avoir quelqu’un chez elles, avec qui échanger et discuter, curieuses de voir comment vivent les étudiants d’aujourd’hui. Et il y a aussi des femmes de 85 ans qui, suite à un accident les fragilisant, cherchent la présence d’un étudiant pour assurer une veille passive la nuit, et qui pourrait appeler les secours en cas de besoin. Généralement, dans ce cas là, la cohabitation intergénérationnelle vient en complément d’autres dispositifs, tels que les infirmières et les auxiliaires de vie. »

De vieilles dames consentantes

La solitude, le sentiment d’insécurité, la peur de la nuit et l’envie de faire réussir un jeune motivent donc ces personnes âgées à former des binômes.

« Pour elles, partir en maison de retraite, cela signifie vendre sa maison, et elles n’ont pas envie de dilapider l’héritage des enfants. Or la garde de nuit, c’est un coût énorme, parfois plus élevé encore qu’une maison de retraite. C’est pourquoi la cohabitation intergénérationnelle est alors une alternative », poursuit Florence Aigrot.

Cependant toutes les propositions des seniors ne sont forcément retenues par Élise et Florence.

« Il faut d’abord que la personne ait une chambre à part, car chacun doit avoir son lieu d’intimité. Ensuite, elle doit être suffisamment autonome pour émettre le souhait d’héberger un étudiant. Car il est arrivé que la famille ait fait les démarches sans son consentement. Enfin, il faut qu’elle soit aussi autonome du point de vue cognitif, qu’elle soit partie prenante de la démarche et qu’elle ait bien compris que l’étudiant ne va pas se substituer à un garde de nuit. »

Viens pas chez moi, j’habite chez une copine

Et en ce qui concerne les jeunes, venus à Bordeaux pour leurs études et qui rentrent chez eux les week-ends, ils doivent s’engager à passer 5 nuits minimum par semaine au domicile.

« Ils ont des profils différents. Par exemple, on a un étudiant qui vient d’une famille nombreuse, qui a été en internat et qui a toujours fait l’expérience de la collectivité, et qui ne veut pas être seul. D’autres qui arrivent en première année d’étude à Bordeaux et dont les parents ne veulent pas qu’il soit tout seul. Ou encore un étudiant qui vient passer une année à Bordeaux pour clore un master, et qui se dit que ça serait chouette de vivre avec une mamie gâteaux. »

Elise et Florence  sont très attentives quant aux motivations des jeunes. En effet, si la participation aux charges est de l’ordre de 80 euros par mois en moyenne – et ne peut excéder 100 euros –, faire des économies de loyer ne doit pas être leur seul objectif ; ils doivent avoir envie de s’investir dans la relation. D’ailleurs le règlement intérieur peut en refroidir plus d’un : l’alcool et les petit(e)s ami(e)s sont strictement interdit(e)s au domicile.

« Ensuite on propose à l’étudiant de rencontrer la personne pour voir si ça leur conviendrait : la décision leur revient. On ne propose pas une liste à l’étudiant. On se donne rendez-vous chez la personne pour qu’ils se posent mutuellement des questions et puissent voir s’ils ont des affinités. Le lendemain, ils nous donnent la réponse. Après quoi, ils ont un mois de découverte pour savoir s’ils sont à l’aise ensemble, choisir à tout moment de s’arrêter ou continuer. Ensuite, nous faisons des visites trimestrielles, et ils peuvent nous appeler quand ils le veulent. »

Dépasser les stéréotypes

A temps partiel dans l’association, Florence travaille aussi dans un hôpital où elle anime des groupes de paroles. Ainsi elle a connaissance des difficultés du personnel soignant en relation avec les personnes âgées, qui regrette ne pas avoir suffisamment de temps, pressé par un souci de rentabilité.

« C’est plus facile de vieillir quand on a des moyens financiers, ce qui ne va pas être le cas pour tout le monde : les caisses de retraite ont moins d’argent et les femmes sont les plus touchées. Ça va poser des problèmes ! Je me dis qu’il y a plein de choses à créer. Mais la cohabitation intergénérationnelle ne peut se faire à grande échelle : cela ne convient pas à tout le monde, il faut de l’encadrement, de l’écoute, du temps et de la présence. Mais on défend ce projet comme une alternative avant la maison de retraite pour des gens suffisamment autonomes et qui ont envie d’apprendre des jeunes. Il faudrait arriver à dépasser un peu plus les stéréotypes, des jeunes envers les personnes âgées, et inversement. »

En 10 ans de fonctionnement, l’association bordelaise est parvenue à former plus de 130 binômes à Bordeaux et sur la CUB, sans jamais pouvoir répondre à toutes les demandes des jeunes. En moyenne, chaque année, 300 demandes sont formulées par des étudiants pour seulement 40 offres d’hébergement.

Les Boboyakas construisent leur retraite


« Solidarité, autogestion, laïcité, écologie, non-spéculation immobilière… » Ce ne sont pas des slogans de manifestants en colère, mais des valeurs qui rassemblent aujourd’hui les membres de l’association bordelaise Boboyaka autour du projet d’une coopérative d’habitants pour une vingtaine de « personnes vieillissantes », comme ils aiment se définir.

« Nous sommes animés par l’idée de ne pas aller en maison de retraite et de ne pas être tout seul, indique Tonie, 59 ans, présidente de l’association, et assistante sociale en psychiatrie à Bordeaux. Car l’isolement, c’est dur, surtout quand on est diminué par l’âge et qu’on devient un poids pour les enfants. Grâce à ce projet d’habitat coopératif, nous voulons continuer à être ce qu’on est, d’avoir envie de vivre, de créer ensemble, et de transmettre. Parce que selon moi, les vieux, c’est fait pour transmettre. »

Pour l’instant, ils sont 14. Parmi eux, il y a Édith, 61 ans, psychanalyste ; Nicole, 59 ans, responsable d’un service de formation dans une collectivité et qui réside à Talence ; Mimi, 62 ans, à la retraite à Bordeaux ; Raoul, 67 ans, à la retraite à Bègles, et d’autres encore en dehors de Bordeaux, comme ce couple de 60 ans, résidant en Ariège, ou d’autres en Corrèze ou à Toulouse. Tous réunis autour du projet de faire changer le regard de la société sur le vieillissement.

« Lorsqu’on a lancé le projet, on s’est réuni tous les deux mois, un week-end entier, pour penser d’abord sa philosophie. Puis on a pris six ans pour le construire, notamment lors de nos « universités d’été et d’automne », indique Edith.

Les Boboyakas se lancent le défi d’une « maison de retraite » sur mesure, avec des espaces de vie collectifs et privés, dans le cadre d’un projet immobilier qui ne soit pas spéculatif : la coopérative d’habitants.

« Jusqu’en 1947, des lois permettaient de créer des coopératives d’habitants, rappelle Raoul, le mari d’Édith. Aujourd’hui, grâce à la loi ALUR, on peut à nouveau s’organiser juridiquement. Dans une coopérative, la plus-value liée à la rente foncière ne sera pas accaparée par un ou des individus, mais restera latente dans la structure.

Le 2ème point important, c’est le foncier, transmis par la collectivité locale sous la forme d’un bail emphytéotique : la commune reste propriétaire et du terrain et de l’immeuble. A la fin du bail, soit l’immeuble revient à la collectivité et l’on négocie un nouveau bail, soit on rachète le terrain à la collectivité. Dans une coopérative, chacun devient propriétaire de parts sociales dont la valeur est bloquée et égale à l’apport initial. Le ticket d’entrée s’élève aujourd’hui à 20 000 euros et il en sera toujours ainsi pour nos successeurs. »

Mimi acquiesce :

« On ne veut pas être propriétaire : on veut être locataire de la coopérative, car c’est elle qui gère et signe le bail. Nous, on verse un loyer et si on meurt ou quitte la coopérative, quelqu’un peut nous remplacer, sans problème de vente ni d’héritage. »

D’ici 2018, date butoir du projet et de la retraite pour chacun d’entre eux, d’autres viendront en effet rejoindre les Boboyakas. Pour l’heure, ils doivent d’abord trouver le foncier, là où ils feront bâtir leur projet architectural, conçu par leur architecte, Christophe Hutin. Si entre Bègles et Bordeaux, leur cœur balance, la commune de Noël Mamère est ouverte à la signature d’un bail emphytéotique, pas celle d’Alain Juppé.

« On a choisi la ville car il fallait qu’il y ait à proximité un hôpital, un train, un bus pour rester autonome, poursuit Mimi. Sinon c’était reposer le problème de l’isolement à plusieurs. Cela a pris du temps de se mettre d’accord car on a choisi une méthode de prise de décision à l’unanimité : il faut argumenter ses choix et convaincre ensuite les autres de leur légitimité. »

Influencés par une coopérative de Vaulx-en-Velin, montée par l’association Charamel en 2009, qui va construire et gérer un immeuble de 16 appartements, les Boboyakas souhaiteraient eux aussi être un lieu expérimental au bénéfice de tous.

« On veut être un centre de recherche, affirme Edith. Contrairement à d’autres, on ne veut pas que les espaces collectifs ou mutualisés se limitent à la buanderie, par exemple. Non ! On veut imaginer des espaces communs ouverts vers l’extérieur pour échanger et transmettre notre savoir. »

Qu’il s’agisse de lutter contre la spéculation immobilière, d’instaurer un mode de vie en autogestion animé par le principe de la démocratie directe, ou de proposer une nouvelle solidarité inter-générationnelle, ces initiatives bordelaises pourraient faire mûrir des espèces encore inconnues.

Aller plus loin

Depuis mars 2014, les membres de Cocon3S Bordeaux ont quitté l’association pour former un nouveau réseau : Les Cologis – plus fonctionnel et plus propre à faciliter la création de nouvelles colocations sur tout le territoire national.

Renseignements : Martine – 06 87 56 23 66

Le site de Vivre avec

Les Boboyaka

Informations au sujet de la loi ALUR  par l’association Habicoop


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Photo : Sylvie Dumard/DR

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