L’enquête internationale PISA a récemment décerné à la France un bonnet d’âne en matière d’éducation : l’écart de compétences scolaires entre les élèves les plus favorisés et les élèves les plus défavorisés est, en France, l’un des plus élevés des pays développés. Pour réduire ces inégalités, une réforme dite des rythmes scolaires a été engagée qui repose sur deux pieds : mieux répartir les enseignants sur 4 jours et demi au lieu de quatre et mettre en place des temps d’activités périscolaires (les fameux « TAP ») grâce à des partenariats locaux entre enseignants-parents-mairies et replacer ainsi l’école au cœur de la cité, alors même que certains n’ont de cesse de la décrédibiliser.
Le récit d’un cas d’école
Nous sommes en septembre 2013. Je suis la maman d’un garçon de 7 ans, élève de la petite école du village de B., dans le sud de la Gironde.
Dans notre école, nous ne savons rien de la réforme des rythmes scolaires. Aucune information ne nous a été donnée jusque-là ou presque : dans un compte rendu officiel d’un conseil d’école, on nous expliquait simplement, quelques mois auparavant, que cette réforme était très mauvaise pour tout le monde (enseignants, enfants, familles, animateurs…) et qu’en plus, elle allait (nous) coûter très cher !
Avec un petit groupe de parents, nous décidons de nous impliquer en tant que simples « Représentants de Parents d’Élèves » (non affiliés) pour l’école et pour ce projet dont nous pensions, nous, qu’il pouvait être à la source de retombées positives pour tous les enfants de notre petit village rural, surtout ceux n’ayant pas accès à des activités culturelles ou sportives.
Premier round : crispation autour des TAP
La Mairie s’est crispée immédiatement lorsque nous l’avons interpelée sur la question des rythmes scolaires, car le sujet était sensible à six mois des élections. Rien ou presque n’avait été fait jusque-là.
Le choix d’organisation du temps scolaire s’est effectué entre enseignants et Mairie (fin de classe à 15h45 au lieu de 16h30, tous les jours sauf le mercredi), dans une absence totale de transparence vis-à-vis des parents. Il avait aussi été acté par la Mairie que les ATSEM de notre école allaient se débrouiller pour concevoir le contenu des TAP.
Nous avons émis des réserves sur la qualité des TAP sur 45 minutes pour une petite commune comme la nôtre, sur le taux d’encadrement, sur le fait que, mutualiser ces temps périscolaires avec d’autres petites communes voisines aurait pu être une bonne stratégie… il nous a été rétorqué que ce qui se passerait sur ces temps n’était pas à l’ordre du jour et ni le problème des enseignants.
C’est ainsi qu’au premier conseil d’école, début novembre, ces horaires étaient validés et la Mairie de mettre le sujet sous le tapis et de faire silence radio pendant plusieurs mois. La diffusion de notre compte-rendu a posé d’importants problèmes. La directrice de l’école l’a refusé en indiquant qu’il lui faudrait obtenir l’accord de l’inspectrice de notre circonscription !
Un peu plus tard, un lundi matin, jour de sa décharge, je vais voir la Directrice de l’école pour prendre un rendez-vous et poser un peu les choses : nous ne sommes pas en conflit, pourquoi ne pas tenter de réfléchir ensemble pour les enfants ?
Nous partageons un petit moment d’intimité toutes les deux là devant le portail de l’école (puisqu’elle n’a pas de créneau pour me voir dans les 15 prochains jours et qu’après il y aura 15 jours de vacances).
Je crois qu’elle comprend notre inquiétude pour les enfants du village puisqu’elle me dit qu’elle est elle-même très contente que son enfant soit scolarisé dans une grande ville de la CUB où l’enveloppe périscolaire sera conséquente…
Deuxième round : second conseil d’école
Fin février, la Mairie nous annonce finalement sa décision de « refiler » le bébé nommé « TAP » à notre Communauté de Communes. Le président de cette dernière finit par me recevoir, froidement, un jour ensoleillé de mars pour me dire qu’il n’a rien à me dire et que les parents de notre école seront informés en temps utile.
Exceptionnellement, l’inspectrice est présente au second conseil d’école qui se tient le 17 mars. Le point sur les rythmes scolaires est soigneusement placé en dernière position de son ordre du jour. Nous indiquons que ce point mériterait d’être remonté ! Mais la Directrice nous rétorque qu’une réunion entièrement dédiée sera prochainement prévue. Inutile donc de s’inquiéter ! L’inspectrice valide.
La Directrice fait d’abord un point « sécurité » et relate les exercices d’évacuation qui ont eu lieu dans les détails : usage de la corne de brume et tout le tralala (34 lignes dans le procès verbal officiel qui sera rédigé par l’école).
Vient ensuite le point projet d’école et actions pédagogiques pour cette année (point traité à notre demande). Climat tendu ! C’est pour moi incompréhensible. La Directrice lit un projet qui date de 2011. L’Inspectrice prend la parole pour expliquer que le projet court sur 4 ans et de toute façon les équipes suivent ses propres directives. C’est éclairant ! Elle rappelle aussi que « le travail fait par le conseil supérieur des programmes dans le cadre de la réforme est axé sur la pédagogie avec une redéfinition et une réécriture du socle »… Comprenez-vous ? La réponse doit être « oui » car il n’y aura pas une seule question posée. Moi je n’ose plus… (17 lignes de compte rendu).
En revanche, les points manifestations (marchés de noël, carnaval, kermesse…), cantine et parking connaissent eux toujours un grand succès dans notre école (plus de 40 lignes de compte rendu !).
Il reste une quarantaine de minutes pour la réforme des rythmes. La communauté de communes nous indique qu’elle a mis en place et réunit un comité de pilotage. Ah bon ? Celui-ci associe les maires, les inspecteurs de l’éducation nationale, la CAF et le conseil général. Et les parents ?
Pas encore eu le temps de les associer vu le retard pris dans le dossier (le Maire est dans ses petits souliers). J’insiste sur ce point. Mais puisqu’on vous dit qu’il va y avoir bientôt une réunion avec les représentants et que les parents seront consultés en temps utile, me répond l’Inspectrice ! Si elle avait pu elle m’aurait envoyée au coin !
On apprend qu’il y aura bien un accueil périscolaire pour les enfants à partir de 15h45 mais que les horaires choisis allaient poser des problèmes. Quelle surprise ! Il y aura donc peut être des TAP l’année prochaine, mais ce n’est pas encore sûr !
Pour le contenu, c’est pareil. Pour le coût, c’est pareil. Qui interviendra ? Des animateurs, peut-être des associations ? Les familles seront-elles consultées sur leurs envies, leurs besoins ? Un questionnaire aux parents devrait être prochainement diffusé. A ce rythme, la rentrée scolaire aura eu lieu que nous n’en connaitrons pas les résultats.
Un troisième round ? Sans nous !
Nous réalisons vaillamment le compte-rendu de ce second conseil d’école. La Directrice nous annonce qu’elle ne le diffusera pas non plus sans l’accord de son inspectrice. Nous apprendrons aussi, juste deux jours avant, la tenue de cette première vraie réunion de concertation. Elle sera prévue à 17h !
Impossible de nous organiser si rapidement et à cet horaire car nous travaillons tous. Nous sommes fin mars. Trop c’est trop. Épuisés par toutes ces barrières et attitudes, nous décidons de démissionner (nous savons que nous ne manquerons à personne, même pas aux parents !).
Nous rédigeons notre courrier de démission que je dépose, un lundi matin à la Directrice en 130 exemplaires. Elle m’indique qu’elle ne pourra pas non plus le diffuser avant que le texte ne soit contrôlé et validé par l’Inspectrice.
Je rentre chez moi et avant de partir au boulot je contacte le DASEN pour vérifier que ces contrôles systématiques sont réglementaires. Un dernier coup d’épée dans l’eau. Je n’ai pas eu de réponse à ce jour. L’Inspectrice me dira elle, simplement, que c’est normal. Le Médiateur de l’éducation nationale (Gironde) me répondra la même chose (et que pour le reste cela ne le regarde pas).
Un décret paru dans le Journal Officiel du 29-7-2006 précisant l’importance du rôle des parents dans l’école et de leurs représentants indique pourtant qu’il ne peut y avoir aucun contrôle a priori sur les textes des délégués.
Les rythmes scolaires, une mayonnaise locale
Cette réforme a ainsi été pensée en donnant un rôle central aux acteurs locaux. Le résultat dépend naturellement du rôle et des efforts que chacun aura décidé de consacrer à sa mise en place et des partenariats qui auront vu le jour à cette occasion.
Dans certaines communes, on préférera construire des stades de football. Dans certaines écoles, les résistances des uns et/ou des autres auront été telles que la mayonnaise n’aura pas pris (ce ne sera pas irréversible !). Dans d’autres, elle sera réussie, avec des budgets raisonnables, l’adhésion de tous les acteurs et dans l’intérêt des enfants.
Enfin, certaines écoles n’auront pas attendu la réforme pour mettre en place de tels projets sous la forme d’expérimentations et apparemment avec succès (à Lille, à Toulouse…). A cet égard, il est assez ahurissant de constater aujourd’hui que les mêmes qui plébiscitent (ou pourraient plébisciter) ces expérimentations, sont les premiers critiques de la réforme et annonciateurs du démantèlement de l’ « école républicaine ».
L’ « échec Peillon », une mauvaise cuisine nationale !
Si les médias se font trop rarement l’écho de ces réussites, ils sont en revanche de fidèles porte-voix de tous les mécontents qui ont annoncé, tels madame Soleil, qu’avec cette réforme les apprentissages des enfants seraient dégradés, qu’ils seraient plus fatigués, qu’elle allait accroître les inégalités puisque certaines communes auraient les moyens et les infrastructures pour mettre en place des activités enrichissantes et variées, d’autres pas (comme si cela n’était pas déjà le cas !), et qu’en plus elle couterait chère aux contribuables !
L’opinion publique au départ favorable s’est petit à petit retournée, même si les mouvements de contestation devaient malgré tout rapidement s’essouffler.
Car mécontentements il y a, au-delà des intérêts des enfants. Ainsi, les familles qui avaient la possibilité de proposer à leurs enfants, le mercredi et/ou le samedi, des activités de qualité (dont le coût est prohibitif pour les familles modestes) et de leur offrir plus généralement un environnement sécurisant et riche favorisant leurs apprentissages ont vite compris qu’elles n’en retireraient individuellement pas grand avantage, au contraire (je peux le dire très tranquillement : j’en fais partie) !
Face au flot des critiques, les communes ont bien perçu que cette réforme, coûteuse et clivante devenait, à l’approche des municipales, dangereuse. Au niveau national, la vague était bien belle pour le principal parti politique d’opposition. Il faut croire que le sommet de l’Etat lui-même n’a bientôt plus réellement assumé cette réforme qui apparaissait pourtant clairement dans le programme politique de François Hollande pour l’élection présidentielle et dont la mise en œuvre rapide avait également été annoncée. Ce trop faible soutien est, pour l’historien Claude Lelièvre, l’un des points clés ayant conduit à ce que certains nomment désormais « l’échec Peillon ».
PISA : Un bonnet d’âne mérité
Le décret version Peillon était à la fois « trop rigide et en même temps trop fourre-tout » si l’on en croit Monsieur Sihr, médiatique secrétaire général du SNUipp-FSU, syndicat majoritaire des enseignants du Primaire qui, manifestement, ne craint pas les grands écarts.
Pourtant, sa seule préconisation concernant l’organisation du temps scolaire est l’assouplissement de la réforme pour que des dérogations soient possibles : par exemple, 5 matinées et 3 après-midi seulement d’école (permettant de libérer le vendredi après midi par exemple)… Cette proposition du SNUipp-FSU va-t-elle dans le sens de l’intérêt des enfants ? Il semblerait que Monsieur Hamon, notre nouveau Ministre de l’éducation, ait néanmoins entendu le message du puissant syndicat.
Finalement, l’administration elle-même (les DASEN), n’a, semble-t-il, pas joué son rôle. Vincent Peillon se serait ainsi heurté à de nombreuses oppositions émanant des inspecteurs académiques. Selon le secrétaire général de l’Unsa, Christian Chevalier, ils n’auraient pas « joué le jeu de la réforme, n’en auraient pas fait la pub, or c’est leur rôle ».
Ce manque criant de communication et d’enthousiasme est flagrant lorsque l’on consulte, sur les sites officiels des DASEN, les pages réservées à la réforme des rythmes scolaires…
Oui, l’enquête PISA a décerné à la France un bonnet d’âne en matière d’éducation. Au fond, nous le portons très bien !
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