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Demandeurs d’asile : les trains de la honte à Saint-Jean

Une soixantaine de demandeurs d’asile venus du Sahara occidental vivent entassés dans des wagons abandonnés derrière la gare Saint-Jean. Tous les jours, la police leur intime l’ordre de quitter les lieux, mais pour aller où ? Rue89 Bordeaux les a rencontrés.

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Demandeurs d’asile : les trains de la honte à Saint-Jean

Les demandeurs d'asile Sahraouis s'entassent des wagons désaffectés dans le quartier Belcier (Marie Udu/Rue89 Bordeaux)
Les demandeurs d’asile Sahraouis s’entassent des wagons désaffectés dans le quartier Belcier en cours de rénovation (Marie Udu/Rue89 Bordeaux)

Ahmed (tous les noms ont été modifiés) a été le premier à découvrir le bon plan. « On vivait dans des tentes de réfugiés, on peut bien s’installer dans des wagons ! » Mais le demandeur d’asile a vite déchanté : les hivers sont rudes ; le gel et la glace envahissent le wagon dès le mois de décembre.

« Pour faire un thé, il faut briser le bloc de glace dans un sac en plastique et récupérer la glace pilée dans la théière ! »

Nous sommes en 2013, dans le quartier Belcier en cours de rénovation derrière la gare Saint-Jean. Un abri de fortune dans un wagon désaffecté que la police a vite repéré. Première descente, un matin du mois de février. Ahmed vient d’arriver de Paris où sa demande d’asile a été refusée. Comme la loi l’autorise, il a fait appel auprès de la Commission européenne (ce qui rallonge d’un ou deux ans l’attente). Il a préféré s’installer à Bordeaux : « C’est moins cher qu’à Paris et il fait moins froid. »

Le renvoi en appel lui permet d’avoir des papiers en règle. Il ne bénéficie pas de l’hébergement que l’État français est censé proposer aux demandeurs d’asile. La police le prévient :

« Il ne faut pas rester ici, nous allons revenir demain pour s’assurer de votre départ. »

Ahmed est le premier à s’être installé dans un wagon à Belcier (Marie Udu/Rue89 Bordeaux)

 

Une filière organisée ?

Depuis l’arrivée d’Ahmed, d’autres réfugiés et demandeurs d’asile se sont installés dans les trains à l’abandon. Ils s’entassent jusqu’à 12 personnes par wagon. L’un d’eux possède des fenêtres en plexiglas. C’est la demeure « luxueuse » des plus anciens.

« Ils ont dû se passer le mot, estime Jean-Claude Guicheney, président de la Ligue des droits de l’homme de Gironde. Il est étonnant de voir venir autant de personnes sur un temps aussi court, quasiment en même temps et quasiment de la même région. On pourrait croire qu’il s’agit d’une filière organisée. Ils arrivent d’une manière isolée et se regroupent par la suite. Ce qui n’est pas une bonne chose pour eux. Une dizaine de personnes sont plus faciles à gérer qu’un groupe de soixante personnes. »

Faute de place dans les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) – les familles de réfugiés étant prioritaires –, chacun d’eux bénéficie d’une allocation temporaire d’attente (ATA) de 11,30 € par jour.

« Les cas des hommes seuls sont rarement traités pour leur assurer un logement, souligne Olivier Bres, président de La Cimade Gironde (Comité inter-mouvements auprès des évacués), une association d’assistance juridique aux étrangers. Le 115 est saturé (Samu social, ndlr) ; il refuse en moyenne 75 demandes d’hébergement par jour sur la Gironde. »

Des conditions sanitaires difficiles

Les Sahraouis passent leurs journées à attendre la décision de leur demande d’asile, entre partie de cartes et tasses de thé. Il y a plusieurs semaines, l’un d’eux a reçu une amende pour avoir puisé de l’eau à la borne incendie.

Sans eau courante, sans électricité, et sans sanitaires, les déchets s’entassent tout autour et, avec les chaleurs de l’été, une odeur épouvantable émane de ces décharges improvisées.

Le groupe est composé d’hommes âgés entre 19 et 50 ans. Certains sont célibataires, d’autres ont laissé femmes et enfants et certains ont perdu toute leur famille dans les conflits que connaît le Sahara occidental.

Les Restos du cœur leur donnent l’occasion de se laver et de se nourrir quelques fois dans le semaine. Le reste du temps, c’est la grande débrouille.

« Tant qu’ils sont en attente de la décision, ils sont en règle et on peut rester en contact avec eux. Ensuite, après une première réponse négative et une fois déboutés en appel, ils vivent dans la clandestinité. Ce qui rend leurs conditions encore plus compliquées », ajoute Jean-Claude Guicheney.

« Je préfère dormir dans ma voiture »

A quelques centaines de mètres des wagons, Adib préfère vivre dans sa voiture. Après avoir contracté une maladie de peau due à la rouille dans les wagons, il a acheté cette auto grâce à son allocation temporaire, et quelques boulots saisonniers qu’il préfère ne pas évoquer. Il dort sur les sièges arrière et entasse dans son coffre un peu de nourriture, des habits pour travailler et même un costume froissé « pour les soirs de fête ».

« Malgré tout, je ne peux pas me séparer du groupe. Je me sentirai seul. Je passe mes soirées avec eux. Mais je préfère dormir dans ma voiture. »

Si Adib a tant de mal à avouer bosser au noir, c’est parce qu’il est interdit à un demandeur d’asile de travailler durant la durée de traitement de son dossier. Ce qui ne prive pas certains secteurs de faire appel à cette main d’œuvre à bas prix comme pour les vendanges.

En octobre 2012, lors des vendanges à Pauillac, des vendangeurs sahraouis et marocains se sont affrontés à cause d’un tee-shirt portant l’inscription « Sahara Occidental Libre ». Ces affrontements ont mobilisé plusieurs centaines de gendarmes et ont dévoilé l’exploitation de certains demandeurs d’asile selon les Sahraouis de Belcier, auxquels Rue89 Bordeaux a rappelé cet événement.

« Parce que c’est un terroir viticole très connu, on a préféré ne pas en parler. Ils étaient peu nombreux, tous les autres Sahraouis étaient naturalisés espagnols. Alors, on les a relâché avec un avis transmis à l’OFPRA (Office Français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr). »

4 demandes d’asile sur 5 rejetées

Leur entrée en Espagne est tolérée par des accords datant du passé colonialiste de Madrid dans la région saharienne. Les immigrants répondaient surtout aux besoins de main-d’œuvre de l’économie espagnole, mais depuis la crise, les Sahraouis poussent vers la France. Certains s’arrêtent à la première grande ville rencontrée, comme à Bordeaux.

« Ils doivent être au courant de la crise en Espagne, donc ils évitent d’être identifiés sur le territoire espagnol puisqu’ils ont l’obligation d’immatriculation dans le premier pays d’accueil européen. De ce fait, la France devient leur pays d’accueil, » constate Jean-Claude Guicheney.

Cependant, la traversée de la Méditerranée et l’arrivée jusqu’aux frontières espagnoles s’effectue avec des passeurs et peut coûter minimum 3500 €.

« C’est nos économies et celles de toute la famille et de nos parents. Il n’est absolument pas envisageable pour nous de retourner de là où on vient pour dire que nous n’avons pas réussi, ce serait déshonorant ! »

« Quand on donne de nos nouvelles, on dit que tout va bien. On aurait honte de dire que nous vivons dans ces conditions. »

Et pour mieux faire croire à leurs familles la réussite de leur vie rêvée dans l’Eldorado français, ils envoient une partie de leurs indemnités laissant supposer une situation professionnelle rentable.

La réalité est moins rose. Selon la préfecture, en 2013, une réponse favorable a été accordé à environ 17% des demandes traitées (moins d’1 sur 5). Et en 2014, jusqu’à aujourd’hui, 25%.

Par ailleurs, la préfecture a enregistré 837 demandes d’admission au séjour au titre de l’asile en 2013 (la plupart toujours à l’examen) et jusqu’à 31 mai 2014, 318 demandes depuis le 1er janvier.

Une nouvelle loi est à l’étude

Les droits des demandeurs d’asile sont clairs dans la législation française : la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour d’une durée d’abord d’un mois pour effectuer les démarches auprès de l’OFPRA, puis d’une durée de 3 mois renouvelable jusqu’à la notification de la décision définitive sur la demande d’asile.

Le mardi 27 mai dernier, un débat était organisé sur ce sujet à l’Assemblée nationale en présence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. En avril, deux parlementaires du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques – Jeanine Dubié (groupe radical) et Arnaud Richard (UDI) ont dressé un état des lieux alarmiste du système d’asile : saturé, trop onéreux…

Un projet de loi sur l’asile est depuis à l’étude et doit être présenté d’ici à fin juin, M. Cazeneuve en a confirmé les grandes lignes et le principal objectif : ramener à neuf mois les délais d’examen des dossiers. Un traitement express pour accueillir, ou le plus souvent se débarrasser, des demandeurs d’asile comme ceux des wagons de Belcier.

ALLER PLUS LOIN

Le Sahara Occidental sur Wikipédia

L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

Le site de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration)

La page consacrée aux demandeurs d’asile sur le site de La Cimade (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués)

La page consacrée aux demandeurs d’asile sur le site d’infos des droits des étrangers


#Belcier

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