Lacanau-Océan, été 2042. Jean a finalement voulu voir de ses yeux. Sur le bitume dévasté de l’ancienne place du Général de Gaulle, il croise un petit groupe de touristes conduit par un guide de l’Agence de voyage Cataclisma. Quelques jeunes squattent les ruines du Petit Casino.
« C’est un décor de fin du monde ! Il ne reste plus rien », souffle le sexagénaire estomaqué.
Enfant, Jean a passé toutes ses vacances d’été, ici, dans la maison que ses parents louaient avenue Pierre Loti. Le choc est violent. En effet, seuls quelques bâtiments abandonnés au vent rappellent qu’ici se trouvait, il y a encore près de dix ans, une cité balnéaire capable d’accueillir chaque année des milliers de touriste.
Le front de mer et ses restaurants ont cédé la place à la dune. Partout le sable recouvre progressivement les anciennes rues. Quelques années plutôt, Jean avait appris l’évacuation de la ville à l’approche de la tempête Sophie. Il ne pensait pas qu’elle serait définitive. C’était le 3 janvier 2028. Le 4, les vents et l’océan emportaient la ville. Depuis, les plagistes ont laissé la place aux touristes friands d’apocalypse, ceux qui ont vu la Nouvelle-Orléans après Katrina, ou les dernières neiges du Kilimandjaro.
L’érosion actuelle ? Pas prévue avant 2040
Science fiction ? Oui, bien sûr. A l’heure actuelle, rien ne permet en effet de prédire avec certitude ce qu’il adviendra des côtes aquitaines dans les décennies à venir. Mais la multiplication, ces dernières années, de phénomènes météorologiques exceptionnels de plus en plus violents n’incitent pas à l’optimisme : sur la côte, les tempêtes et les fortes houles de ces dernières années accélèrent l’érosion naturelle. Conséquence : le recul du trait de côte prend de la vitesse et les plages perdent de l’altitude.
A Lacanau, par exemple, les tempêtes à répétition de l’hiver dernier – une trentaine, soit à peu près deux fois la normale, selon Météo France – aggravées par de forts coefficients ont eu raison d’une vingtaine de mètres de rivage. Un recul du trait de côte que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) envisageait pour… 2040.
De même, la plage du Petit Nice sur le Bassin d’Arcachon a perdu 25 mètres. Sans parler de Soulac, où l’immeuble le Signal, s’est retrouvé à moins de 16 mètres du rivage et a dû être évacué (lire encadré). Un peu partout le long des 270 km de côte que compte le littoral aquitain, la mer a avancé de plus d’une dizaine de mètres en un seul hiver alors que le recul du trait de côte annuel est en moyenne de de 1 à 3 mètres et jusqu’à 5 ou 7 mètres en cas de tempête.
Le changement (climatique), c’est maintenant
Ces phénomènes exceptionnels, comme les qualifient les scientifiques, sont-ils la preuve d’un réchauffement climatique en marche ?
« Impossible de répondre avec certitude aujourd’hui à cette question, précise le climatologue Hervé le Treut, qui a dirigé la rédaction de l’ouvrage Les impacts du changement climatique en Aquitaine, commandé par le conseil Régional et publié en septembre 2013. La seule certitude que nous avons, reste, que, oui, avec le changement climatique, il est certain que nous allons connaître des événements météorologiques de plus en plus instables. »
Pour le Commissariat général au développement durable (CGDD) du Ministère de l’écologie, qui a publié, le 23 mai, une étude sur le sujet, la conclusion est la même :
« Il n’existe pas à l’heure actuelle de preuves concrètes que le changement climatique ait influé sur les dommages causés par les catastrophes naturelles [en France] au cours des dernières décennies. [… Mais] les travaux prospectifs engagés par les scientifiques dans le domaine des sciences de la nature permettent de considérer que les évolutions à venir du climat ne seront pas sans effet sur un certain nombre d’aléas naturels. »
Pas de preuves scientifiques donc, mais de forts soupçons.
« Le recul du trait de côte s’accentue vraiment depuis 10 ans », note Eric Hamelin, responsable du service travaux à la mairie de Capbreton depuis 25 ans.
« Si l’érosion que nous avons connue cet hiver est naturelle, que se passera-t-il quand elle sera sera vraiment impactée par le changement climatique ? », s’interroge Renaud Lagrave.
Vice-président du Conseil Régional d’Aquitaine, il préside le Groupement d’intérêt public littoral Aquitain (GIP), cette structure créée en 2006 et regroupant Etat, collectivités, associations, acteurs socio-économiques, experts, et établissements publics afin d’assurer une politique intégrée du littoral.
Territoires à risque
La création du Gip n’est d’ailleurs pas anodine : elle est le signe d’une prise de conscience des défis à relever pour envisager un avenir durable à la côte aquitaine. D’autant que l’Aquitaine est particulièrement concernée par une autre des conséquences connues du changement climatique : l’élévation du niveau des mers. Et là encore, les prévisions sont de plus en plus alarmistes : en 2007, les experts suggéraient une augmentation du niveau des mers de 18 à 59 cm d’ici à la fin du siècle. Aujourd’hui, les scénarios tablent plutôt sur une montée des eaux de 1 mètres pour l’année 2100…
Dès sa création, le GIP a d’ailleurs d’emblée identifié sept territoires comme étant fortement soumis au double risque de l’érosion et de la submersion : il s’agit de la pointe du Médoc, de Lacanau, des passes du Bassin d’Arcachon, des stations landaises de Mimizan et Capbreton et de toute la côte Basque.
Toutes ces communes luttent désespérément contre l’avancée de l’océan. D’innombrables travaux de ré-ensablement ou de ré-enrochement, et la construction de digues permettent chaque année de maintenir les plages et de protéger les dunes.
Mais aujourd’hui, la gestion à court terme moyennant quelques millions d’euros de réparations commence à poser des questions. Que l’ampleur des dégâts occasionnés par les événements de l’hiver 2013-2014 n’ont fait que conforter.
« A un moment donné, les aménagements saisonniers vont coûter tellement chers que nous devrons faire des choix stratégiques », glisse Eric Hamelin, de la mairie de Capbreton.
« On ne peut pas lutter contre l’érosion, il faut s’y adapter »
Dans sa commune, un ré-ensablement annuel, assuré depuis 2008, par la mise en place d’un « By Pass », un système de tranfert hydraulique des sables à travers l’embouchure du chenal du Boucarot, est nécessaire pour que la commune puisse mettre à disposition des touristes une plage à marée haute. Mais aussi pour maintenir un cordon dunaire protégeant habitations et station d’épuration. L’installation d’un tel système a coûté près de 8 millions et son entretien pèse chaque année sur le budget de la commune. Même constat à Lacanau :
« Sans les travaux d’enrochement réalisés chaque année, Lacanau n’aurait plus de plage centrale à marée haute depuis 10 ans », souligne David Rosebery de l’Office national des forêts (ONF).
Or, ces travaux de ré-enseablement, de ré-enrochement ou de renforcement des digues opérés sur les plages et les dunes, n’ont qu’un effet limité quand il n’est pas à double tranchant :
« Renforcer une partie du littoral pose des problèmes, car, de fait, cela fragilise une autre partie du littoral qui se creuse davantage », souligne Hervé Le Treut.
Guillemette Rolland, déléguée Aquitaine du Conservatoire du littoral, abonde dans ce sens :
« Les travaux d’enrochement, par exemple, ne font en fait qu’accentuer l’érosion car en fixant le mouvement du sable, on prive le rivage de sa respiration naturelle, celle qui lui permet de se régénérer. On ne peut pas lutter contre l’érosion, il nous faut l’admettre. »
« Oui, nous savons que nous ne pouvons pas lutter contre l’érosion. Nous devons nous y adapter », renchérit Cyril Mallet, du BRGM.
La stratégie du repli, nouveau far-west
Aussi, le GIP réfléchit-il de plus en plus sérieusement à des solutions alternatives. Et notamment à celle d’une relocalisation de certaines communes ou plages à l’horizon 2040. Aujourd’hui une étude de faisabilité dont les conclusions devraient être rendues à la fin de l’année 2014 se focalise sur trois lieux les plus exposés : le plan-plage de Labenne, les cinq campings situés au pied de la dune du Pyla à La Teste-de-Buch et le front de mer de Lacanau qui compte 1200 appartements et commerces.
Invitée dans la campagne municipale de 2014, cette question de la relocalisation a suscité les plus vifs débats et reste pour beaucoup de l’ordre de la science-fiction. Quant aux questions pratiques, elles aussi sont aujourd’hui sans réponse. Quels financements ? A Lacanau, un tel scénario coûterait 350 millions d’euros uniquement en terme d’indemnisation des personnes concernées. Ensuite où relocaliser ? Faudra-t-il modifier la loi littoral qui préserve certaines zones du littoral de toute urbanisation ?
Et surtout, comment anticiper une situation que beaucoup ne parviennent pas à croire possible ? A Lacanau-Océan, les commerçants se refusent à envisager la disparition de la station.
« On essaie de nous habituer à cette idée de la relocalisation mais c’est irrationnel, personne n’y pense de manière sérieuse, soupire Arnaud Lanciaux, le patron de l’Assiette, un restaurant situé boulevard de la plage à Lacanau Océan. Nous, qui sommes en première ligne, nous allons nous retrouver derrière ? C’est un nouveau far-west. Qui nous indemnisera ? Pour moi, ce n’est pas possible. Tant qu’on ne sera pas contraint personne ne bougera, comme au Signal. »
« Nous avons affaire effectivement à un problème très complexe, commente David Rosebery de l’ONF. La solution d’une relocalisation à long terme implique que, aujourd’hui, sur le court et moyen terme, le maximum soit fait pour protéger les biens et les personnes dans les zones où l’érosion menace. Mais, cela laisse croire qu’il est possible de maintenir la situation en l’état sans mesures de fond. Or, cela n’est pas vrai. Tous les curseurs sont dans le rouge aujourd’hui. La solution du repli serait salutaire pour toute la gestion côtière. »
« Il faut réfléchir à l’hypothèse d’une relocalisation »
Du côté des élus, le sujet est lui aussi pris avec des pincettes : pour le maire de Lacanau, Laurent Peyrondet, aux premières loges dans ce débat, pas question de se retrouver dans le cas du Signal, à Soulac.
« Il faut anticiper et assurer l’avenir. Il faut donc réfléchir à l’hypothèse d’une relocalisation… Même si cela ne se fait pas. »
Pourtant, si l’idée d’une relocalisation évoque pour beaucoup l’avènement d’un scénario-catastrophe, ce ne serait pas une première.
« On préconise et on fait de la relocalisation depuis belle lurette, explique Guillemette Rolland du conservatoire du littoral. Au pied de la dune du Pyla, par exemple, on a déjà fait enlever un commerce il y a plus d’un an, et heureusement ! Sinon cet hiver il se serait pris la moitié de la dune sur sa surface commerciale. Bien sûr, la relocalisation coûte aussi très cher. Et elle est très difficile à faire accepter socialement. Mais au moins, c’est une solution définitive qui évite d’attendre que les limites soient atteintes. »
La question n’est donc plus de savoir si certains scénarios catastrophe vont se réaliser, mais quand.
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