« Ô chercheurs, ô trouveurs de raisons pour s’en aller ailleurs. » Saint-John Perse, Anabase, Poésie/Galimard.
Je ne suis pas le seul à attendre. Mes voisins attendent. La ville entière attend. Il y a plusieurs couches, plusieurs degrés, plusieurs surfaces d’attente. Je suis assis sur une pelouse du Jardin Public, à Bordeaux. Je regarde les grands arbres fouillés au corps par les bourrasques, j’observe les gros cumulus gris hésiter entre la guerre et la paix. J’entends le silence épais qui rôde derrière les grilles. Nous savons tous quelle clameur il contient et ce qu’il faudrait pour la libérer. Devant nous, un piano à queue et un micro. Ils attendent, eux aussi. Je me demande s’il est possible de jouer de la musique et de lire de la littérature dans de telles conditions. Mon avis est plutôt que non. Que François Rossé et Emmanuelle Pagano n’y parviendront pas.
Il y a d’abord une note, puis deux, puis trois. Le début hésitant d’une averse. Un murmure. La désocclusion secrète d’une source. Quelque part une brèche a du s’ouvrir car c’est maintenant un flux vif et limpide qui court, glisse, rebondit, cherchant activement son chemin par, entre, dessus, dedans, solide, friable, raccourci, détour, Monk, Debussy. Le piano s’est tu. Le texte s’élance à son tour dans le méandre vacant. Il saisit l’eau dans sa jouissance impatiente. Il enregistre l’eau dans son obstination géologique. Il rappelle les clivages : eau sauvage/eau domptée, eau frontière/eau miroir, eau filante/eau tisseuse… Mon kayak est sur ces eaux.
On revient au silence, heureux du voyage. Le silence est intact. Il ne s’est pas déchiré. Il n’a pas prêté sa voix à l’euphorie de la victoire. C’est bien ici qu’il fallait être, en kayak, sur les eaux improvisées de François Rossé et celles, composées, d’Emmanuelle Pagano.
Emmanuelle Pagano et François Rossé étaient invités par le Festival Littérature en Jardin organisé par Permanences de la Littérature, le vendredi 4 juillet à 18h30. Pendant ce temps l’équipe de France de perdait en quart de final de la coupe du monde de football contre l’équipe d’Allemagne.
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« Stevenson en kayak »
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