Les images de liesse des supporters de l’équipe de France de football sont passées en boucle après la qualification des Bleus contre le Nigéria (2-0), lundi soir. Un écran géant de 40 m² avait été installé pour l’occasion devant l’Hôtel de Ville, à Paris, et environ 20 000 personnes se sont amassées devant pour l’occasion. Le dispositif sera reconduit ce vendredi, dans la capitale, pour le quart de finale France-Allemagne. Idem à Lyon, Toulouse, Lille, Marseille… Et même à Coutras, en Gironde ! Mais pas à Bordeaux.
La mairie a choisi de ne pas proposer de diffusion à une foule massive, contrairement à ce qui s’était fait lors des coupes du monde 1998 et 2006 en foot, mais aussi 2007 et 2011 en rugby. Adjointe au maire en charge de la jeunesse et des sports, Arielle Piazza s’en explique :
« Nous n’avons pas trouvé cela opportun pour plusieurs raisons. La rencontre est diffusée sur une chaîne généraliste (TF1, mais aussi BeIN Sports, NDLR), donc accessible pour tous, chacun peut regarder le match gratuitement. Nous préférons aussi favoriser l’économie locale : la Coupe du monde permet aux bars et restaurants de s’ouvrir à la population et de générer plus de recettes. Certains se sont d’ailleurs équipés en conséquence. Par ailleurs, nous avons le souci de diluer la joie dans toute la ville, et pas à un seul endroit. Enfin, le match est à 18h et au niveau de l’ensoleillement, ce n’est pas pratique pour regarder un écran géant. »
Autre raison : le coût, jusqu’à 70 000€, une somme qui inclut aussi bien la location du matériel que la mise en place d’une sécurité adaptée.
Arielle Piazza parle d’une décision « mûrement réfléchie ». Le maire, Alain Juppé, avait pourtant annoncé la couleur dès le 19 juin au Club de la presse : « On mettra des écrans géants si la France va en finale ». C’était la veille de l’écrasante victoire (5-2) contre la Suisse, qui a définitivement lancés les Bleus dans la compétition.
Un écran pour la ferveur
Depuis, les Français ont continué leur bonhomme de chemin, en même temps que l’engouement pour leur parcours allait crescendo. Lundi soir, ils étaient quelques dizaines à fêter la qualification française place de la Victoire. Cela n’a pas duré plus d’une demi-heure, faute d’un point de ralliement clair et, surtout, d’un nombre suffisant de fêtards. Pierre et Léo, lycéens bordelais de 16 ans, étaient justement à la Victoire pour le match contre le Nigeria.
« Quand on est arrivés avant le match, il y avait beaucoup de monde, c’était impossible de trouver une place dans un bar. Du coup on s’est mis un peu plus loin, sur le trottoir, même pas sur la terrasse, de manière à pouvoir regarder l’écran du bar. Et les serveurs nous ont obligés à consommer, sinon on devait dégager. On s’est dit que ce serait vraiment sympa qu’un écran géant soit installé. »
Le lendemain, à 13h, les deux compères lancent leur page Facebook, logiquement intitulée « Pour un écran géant à Bordeaux« . Trois jours plus tard, elle compte déjà près de 6000 likes et des dizaines de messages allant dans le sens des lycéens.
« On ne pensait pas que ça prendrait autant d’ampleur. On aimerait qu’il y ait un écran géant pour que tout Bordeaux soit réuni devant le match et puisse supporter les Bleus. On passerait un bon moment, pas forcément avec des gens qu’on connaît, et cela montrerait qu’il y a une vraie ferveur. Pour le titre des Girondins en 2009, aux Quinconces, c’était une belle fête, sans incidents, et pourtant il y avait 80 000 personnes. Et les bars feront quand même le plein… »
Les bars gavés dans tous les cas
Si un écran géant était installé en ville, cela ne gênerait effectivement pas Aurélien Guimaud, responsable du pub Saint-Aubin à la Victoire, qui voit son chiffre d’affaires augmenter de 30 à 40% les soirs de match des Bleus. Bien au contraire :
« Il n’y aurait pas de concurrence, car ce n’est pas le même public. Il y a toujours des gens qui préfèrent regarder les matchs dans un bar plutôt que dehors ou chez eux. Il y a l’ambiance, de bonnes boissons, et ils sont assis. Du coup, un écran géant serait seulement un plus pour nous : effectivement, on aurait peut-être un tout petit peu moins de monde au moment du match, et encore, mais les gens viendraient une fois le match terminé. Un écran géant, ça ne peut nous faire que du bien. »
Même son de cloche du côté de Franck Guinaudeau, patron du Bodegon, quelques mètres plus loin :
« Il y a eu des écrans géants par le passé. Et bien quand les matchs sont terminés, les gens viennent à la Victoire, ou dans d’autres bars d’ailleurs. S’il y avait eu un écran géant cette année, on aurait été autant gavés qu’on l’est maintenant. »
Les petits sur la touche ?
Car un tel dispositif attirerait forcément un public venu de toute la CUB, voire même du département. Plusieurs milliers de personnes qui affluent pour un match à 18h, ce sont autant de clients potentiels qui auront envie d’aller fêter la qualification – ou noyer leur désespoir – dans une pinte de bière, ou simplement d’aller manger un morceau dans un restaurant.
Le constat d’une fréquentation identique ou presque vaut pour les grosses structures, capables d’accueillir plusieurs centaines de personnes sur une même soirée, type Saint-Aubin ou Café des Arts au croisement du cours Victor Hugo et de la rue Sainte-Catherine, qui accueille 500 personnes sur sa terrasse pour les matchs des Bleus.
Mais un écran géant serait sans doute plus pénalisant pour les petits établissements, où la clientèle est plus restreinte, et qui bénéficient d’une marge de manœuvre plus étroite si pareil rassemblement était organisé en ville. C’est le cas du bar Le Riche, place Gambetta, où Myriam est serveuse :
« Il y aura toujours un peu de monde, mais je suis persuadée que cela ferait forcément baisser notre chiffre d’affaires. Ce serait embêtant pour nous. Mais c’est logique : il fait beau donc les gens préfèrent être dehors, en plus il y aurait une belle ambiance… Même moi, s’il y avait un écran, j’irais là-bas. Et puis ça coûte moins cher. »
Peut-être pour le Brésil
Voilà le nerf de la guerre du supporter de foot : une coupe du monde, c’est aussi un budget. Et le portefeuille est moins sollicité quand un écran géant est mis à disposition des amateurs de ballon (en cuir). Exemple avec Guillaume :
« C’est pas compliqué : dans un bar, il faut arriver au moins une heure avant le match pour avoir une place. Du coup, ça laisse le temps de consommer deux verres. On en rajoute deux autres pendant le match, et selon si tu prends des demis ou des pintes, tu t’en tires entre 12 et 25€. Alors qu’un pack de 12 bières que t’achètes au supermarché et qui te servira devant l’écran géant va coûter 8€… »
Pour un quart de finale de Coupe du monde entre la France et l’Allemagne, l’affluence devant un écran géant aurait été de taille, forcément. En cas de qualification et de demi-finale contre le Brésil mardi à 22h, la mairie pourra-t-elle faire l’économie d’une telle installation ?
« Je ne vous cache pas que je suis en train d’étudier des devis, révèle Arielle Piazza. Vu le contexte, toutes les dépenses sont réfléchies, aujourd’hui plus que jamais. L’idée, c’est de voir les prix et les dimensions. On reverra la situation après le résultat du match. Ce soir, on sera tous derrière notre équipe. »
Mais pas devant un écran géant.
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