Rue89 Bordeaux : Pourquoi vous êtes vous lancé dans cette marche lors de l’arrestation de Jérôme Kerviel ?
Patrice Gourrier : Je marche seul depuis le 15 mai, après l’avoir fait une semaine avec lui en Italie, pour le connaître. Mais pour moi tout remonte à 2005, lorsque j’ai écrit un bouquin, « Lettre ouverte au prochain pape », qui m’a valu la haine de l’Opus Dei, et de devenir une des « Grandes Gueules » de RMC. J’y demandais notamment l’ordination des hommes mariés, et on n’en a retenu que ça. Je dénonçais aussi dans ce livre la barbarie économique : toutes les 4 secondes, un être humain meurt de faim dans le monde à cause de la mauvaise répartition des richesses.
En 2008, j’étais chroniqueur à la radio, où j’ai pris la défense de Jérôme Kerviel. Mais il me semblait impossible qu’un homme ait pu engager seul 50 milliards d’euros, dans une banque, la Société Générale, qui disposait d’un des meilleurs systèmes de contrôle interne. Alors qu’il était condamné à trois ans de prison ferme, et qu’il doit 5 milliards d’euros à la Société Générale, j’ai été frappé de sa volonté de voir le pape, un chef d’Etat qui dit et qui fait – François a fermé 3700 comptes mafieux de la Banque du Vatican.
J’ai alors souhaité rencontrer Jérôme Kerviel, après avoir consulté son dossier que m’avait donné son avocat. Il voulait marcher jusqu’à la place de la Bourse, à Paris, pour dénoncer la tyrannie des marchés financiers, qui font de l’argent en spéculant sur les matières premières, la dette ou la guerre. J’ai été touché par sa sincérité, et lui ai promis de terminer cette marche lorsqu’il a été arrêtée à la frontière italienne, en revenant de Rome.
Est-ce un moyen d’action efficace ?
Cela peut paraître candide. Mais c’est une manière modeste d’être visible, une démarche militante et spirituelle. Chaque jour, je parcours environ 25 kilomètres. Là je quitte Bordeaux ce jeudi, et vais traverser le Médoc. Je rencontre 20 à 30 personnes, lors de cafés citoyens organisés, comme à Royan les 29 et 30 juillet prochains. Mais aussi dans la rue où des gens, interpellés par ma petite affiche, veulent discuter avec moi. Je suis habillé comme un curé, avec le col romain, car c’est plus facile de m’aborder ainsi. A Bordeaux, j’ai échangé comme ça avec un ancien trader, qui tente de se remettre de 15 années à travailler dans la finance. Et avec un SDF dans la rue Sainte-Catherine, qui lisait un livre de philo sur le silence.
« Le mariage pour tous, lui, n’a jamais tué personne »
Que leur dites vous ?
L’année dernière, mes paroissiens étaient dans la rue contre le mariage pour tous, et ils voulaient que j’appelle à manifester. Mais le mariage n’a jamais tué personne, alors que chaque jour la finance fait des milliers de morts de façon totalement aseptisée. Les gens ne s’en rendent pas compte, et pourtant on a la chance d’avoir un pape qui va à Lampedusa parler des morts honteuses pour l’Europe des immigrés chassés de chez eux par la misère. Sans doute parce que cet Argentin a vécu la crise colossale qu’a traversé son pays en 2001-2002.
En France, on est très bons pour les conflits corporatistes, mais on n’est pas assez indignés. Beaucoup me disent : « C’est bien ce que vous faites, mais on n’y peut rien ». Je leur réponds qu’il faut s’organiser, faire pression sur leur député quand un projet est constable, comme celui révélé par Mediapart qui menace les lanceurs d’alerte.
Espérez vous vraiment mobiliser un million de personnes pour votre arrivée à Paris, le 16 septembre ?
Frigide Barjot l’a bien fait pour le mariage pour tous ! Si on est quelques centaines, ce sera déjà ça.
« Le christianisme peut faire tomber la finance sale »
Quelles propositions faites vous pour encadrer la finance ?
Un candidat à la présidentielle voulait s’attaquer à un ennemi, la finance, mais il n’a rien fait du tout. Nous reprenons sa proposition, passée à la trappe suite à un intense lobbying, de séparer les activités d’investissement et de dépôt des banques. Nous voulons une taxe sur les transactions financière. Et voulons remettre la finance au service de l’homme, à travers notamment l’impact investing, du trading sans spéculation sur l’eau, les matières premières agricoles, etc.
Pourquoi la Banque centrale européenne renfloue-t-elle les comptes des banques à hauteur de 1600 milliards, et n’investit-elle pas pour les plus pauvres ? On dit que le christianisme a fait tomber l’empire romain et le communisme, je crois qu’il peut faire de même avec la finance sale. Kerviel connaît parfaitement le système et sait comment le réformer.
Comment l’église a-t-elle réagi à votre engagement à ses côtés ?
Le pape nous pousse à aller dehors, à aller rencontrer d’autres gens que les 3% de catholiques pratiquants. Pourtant, j’ai dû démissionner de ma paroisse de Saint-Porchaire, en accord avec mon évêque. Plus précisément, je suis en congé sabbatique, et je finance cette marche après avoir cassé mon assurance-vie. Je regrette de ne pas pouvoir la réaliser dans le cadre de mes fonctions. Et je suis plus ou moins bien reçu selon les endroits. A Bordeaux, je n’ai rencontré personne du diocèse.
Kerouac, Kerviel et Davina
Qu’avez vous appris ?
J’ai été confronté au non-droit. Arrêté trois fois par la police, dont une fois conduit au poste. A Nice, j’avais les RG aux fesses, qui craignaient que j’aille faire du scandale pendant le festival de Cannes. A Toulouse, j’étais tout le temps suivi par des policiers. Mon téléphone est sur écoute. J’ai pris ça comme des intimidations pour arrêter ma marche.
Et puis j’ai côtoyé la misère, comme celle de ces SDF qui vivaient sous une quatre voies près de Montpellier, et m’ont demandé de l’aide car un des leurs s’était suicidé. 6700 SDF sont morts ainsi dans la rue entre 2008 et 2010, vient de révéler le Quotidien du Médecin.
Que ferez vous ensuite ?
Mais à 54 ans, je fais mon Kerouac. C’est un voyage initiatique, à l’issue duquel ma vie ne sera plus la même. Je voudrais devenir la voix des sans-voix, comme nous invite à le faire le pape. « J’espère que tu vas faire des petits », m’a d’ailleurs dit Guy Gilbert, le curé des loubards. J’espère aussi, mais pas sur la route, hein, c’est une image ! Et puis à la rentrée j’ouvre à Poitiers un centre de méditation. Je devais le faire avec Davina (ex présentatrice de Gym Tonic, NDLR), mais on ne s’est pas mis d’accord.
Avez vous des nouvelles de Jérôme Kerviel ?
Il est toujours à l’isolement à Fleury-Mérogis, pour le protéger des détenus qui ont compris qu’il avait planqué 5 milliards et qui veulent leur part… Le 29 juillet, son avocat va demander sa libération anticipée. Comme il a trouvé un emploi et qu’il a un appartement, il y a droit. Madame Taubira dit qu’il y a trop de monde en prison, c’est le moment de faire de la place !
Sur le fond du dossier, trois plaintes de Kerviel contre la Société Générale viennent d’être acceptées, dont une pour subornation de témoins, alors que le procureur s’était prononcé contre. L’affaire Kerviel devient une affaire Société Générale. Et le 17 septembre, la justice décidera de l’éventualité de lancer une expertise ce qui n’a pas encore été fait. Nous espérons que tout ceci permette in fine d’établir un non-lieu.
Aller plus loin
Portraits de Patrice Gourrier dans Libération et dans La Nouvelle République
Un dossier sur l’affaire Kerviel dans L’Express
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