Pendant deux semaines, les plus grandes nations du rugby féminin vont s’affronter en France. Au pied du podium lors de la précédente compétition, les joueuses de l’équipe de France ont à cœur de faire parler d’elles.
« Notre objectif est d’atteindre au moins les demies-finales. Et pourquoi pas la finale ! On est en France, il y a la famille. Ce serait génial », confie Camille Grassineau.
A 23 ans, l’ailière du Stade Bordelais compte déjà plusieurs sélections en équipe de France de rugby à XV et s’apprête à défendre les couleurs de notre pays lors de la Coupe du monde.
« Tout ce que je fais, je le fais à fond pour essayer d’être la meilleure et de gagner un maximum, indique-t-elle, ce qui lui a fait gravir les échelons très rapidement. J’ai commencé le rugby assez tard, à 18 ans. Je ne pensais pas y arriver aussi vite. »
Une cadence infernale
Mais le rythme à tenir pour arriver à ce niveau est impressionnant :
« On fait au moins une séance de préparation physique par jour, voire deux. On a trois entraînements par semaine avec le club et des matches le dimanche. »
Autant dire que cela ne laisse pas beaucoup de temps pour le reste.
« J’ai la chance de faire des études qui s’adaptent à la pratique du sport de haut niveau. Ma formation me permet d’avoir des temps libres pour me préparer correctement », reconnaît celle qui se destine à devenir éducatrice sportive.
Car même dans le Top 10, l’équivalent féminin du Top 14, pas question de penser au professionnalisme, et aux salaires qui vont avec – 10000 euros mensuels en moyenne dans l’élite du rugby français, arrosée par la manne des droits télé.
« On le fait avant tout pour le plaisir, souligne donc Camille. Rien que le fait d’être en équipe de France et d’avoir les voyages payés, c’est quelque chose d’énorme. »
Pour Anaïs Lagougine, coéquipière de Camille au Stade Bordelais, « la position d’une femme qui joue au rugby à haut niveau est très compliquée. Il faut s’entraîner comme une pro en ayant un statut amateur. L’organisation de l’emploi du temps et le statut de la joueuse sont vraiment problématiques ».
Comme beaucoup de sportives, Anaïs a fait des sacrifices pour atteindre le haut niveau.
« J’ai mis mes études de côté pour le rugby. Mais grâce au statut de sportive de haut niveau, la Fédération m’a donné l’opportunité de reprendre une formation », nous explique celle qui vient tout juste de raccrocher les crampons.
A 32 ans, l’ancienne capitaine de l’équipe de France de rugby à VII se consacre désormais à ses études d’ergothérapie. Mais elle ne délaisse pas le rugby pour autant. La saison prochaine, elle entraînera les trois-quarts de l’équipe féminine du Stade Bordelais. Elle bénéficiera à ce titre d’une indemnisation, « mais pas suffisamment pour en faire [son] métier ».
Et entraîner des garçons ?
« Je n’en suis pas là, s’amuse-t-elle. J’ai dû montrer ce que je valais en tant que joueuse, maintenant il faut que je fasse mes preuves en tant qu’entraîneur. »
Femme, sportive… et maman
La coupe du monde de rugby, Hayate Chrouki va elle aussi la rater. Elle est pourtant trois fois championne de France de rugby… à 13. La trois-quart aile de Bordeaux-Biganos, a d’abord joué au plus haut niveau à XV, avant de mettre sa carrière entre parenthèses pour avoir un enfant. Le Stade Bordelais où elle évoluait venait de monter en Top 10, ce qui signifiait de nombreux et longs déplacements, des week-ends loin de chez elle… Difficile à concilier avec une vie de jeune maman !
Grâce à des copines, elle découvre le rugby à XIII. Plus ancré dans le Sud-Ouest, ce sport lui prend moins de temps.
« Je ne regrette pas du tout d’être passée du XV au XIII. Disons que j’ai fait évoluer ma vie sportive pour concilier sport et vie privée. C’est une forme de concession mais j’estime qu’on ne fait pas des enfants pour partir », explique Hayate.
Compétitrice et hyper active, Hayate ne délaisse pas longtemps ses crampons et baskets pour les layettes.
« A côté du rugby, je suis professeur de fitness. J’ai fait du sport jusqu’à mes sept mois de grossesse ! C’est possible de se mettre à fond dans un sport et d’avoir des enfants. Notre corps a une bonne mémoire et cela revient assez rapidement si on fait les choses correctement. Ce serait toutefois mentir de dire qu’on peut avoir un bébé n’importe quand. C’est souvent en fin de saison ou quand il n’y a pas de grosses échéances. »
Si Hayate regrette de ne pas disputer le mondial en France, elle espère bien faire partie de la sélection féminine du XIII, qui jouera sa coupe du monde en 2016. « Après, j’arrête et je fais un troisième bébé ! », se marre-t-elle.
Crampons, gants et sacs à main
L’ancienne internationale de rugby à XV se souvient d’une conversation avec Sébastien Chabal, à Marcoussis pendant le Tournoi des Six nations :
« Il m’a avoué qu’il n’aimerait pas que sa fille fasse du rugby car il sait les impacts qu’on se donne. Pour lui, la femme doit être bichonnée ! Beaucoup d’hommes pensent qu’on peut perdre notre féminité. Ce n’est pas faux. Beaucoup de filles sont des garçons manqués, surtout quand on arrive au niveau international et qu’il faut miser sur la musculation. Le corps change et il faut l’accepter. Mais cela ne nous empêche pas de rester femmes. Après les matches, on se pomponne. Brushing, lissage, maquillage, on assortit nos chaussures à nos sacs. »
Les championnes restent des femmes avant tout. Même si elles choisissent des sports masculins comme le rugby ou la boxe. Pour Sandra Sevilla, championne du monde de boxe thaïlandaise, « quand on est une femme, on a un temps pour tout. Un temps pour faire du sport et un temps pour sa vie de famille ». Si elle a découvert la boxe tard, à 20 ans, Sandra voue une véritable passion à sa discipline, qu’elle contribue à développer :
« Avec le Stade Bordelais et la mairie de Bordeaux, j’ai monté un projet de développement de la boxe thaï chez les femmes. A partir de la rentrée, au gymnase Virginia à Bordeaux-Caudéran, il y aura des sessions spécifiques pour les filles avec des cours adaptés. Beaucoup de femmes ont envie de faire de la boxe, mais ce n’est pas évident de passer la porte d’une salle. Les femmes se mettent elles-même des barrières. »
D’autres plongent dans le sport par tradition familiale, comme Peggy Bergère. Championne de France de hockey sur gazon avec Mérignac, elle a débuté à 6 ans dans le club de Porcheres (Gironde) – « Mon père y jouait, ma sœur y joue encore. »
Elle intègre l’équipe de France très jeune et joue pour des grands clubs : à Cambrai, mais aussi aux Pays Bas, « le plus haut niveau ». Elle déplore le manque de médiatisation de son sport :
« C’est le 5e sport collectif le plus pratiqué dans le monde, mais en France, le hockey sur gazon est un petit sport. Il n’y a pas beaucoup d’argent. »
Alors, même au plus haut niveau, il faut travailler. Peggy s’oriente vers le journalisme.
« J’ai dû arrêter le sport pendant 4 ans pour me consacrer à mon métier. En tant qu’athlète, j’ai toujours rêvé de faire les Jeux Olympiques… et c’est grâce à mon métier de journaliste sport que j’ai pu le faire en couvrant les Jeux de Pékin. »
Revenue ensuite près de sa famille dans la région bordelaise, elle a cédé aux avances du SA Mérignac. Aujourd’hui, à 35 ans, elle a décidé de ranger sa crosse. Un beau départ puisque le SAM vient d’être sacré champion de France Elite. Quelques jours avant la finale, elle nous confiait être « contente d’arrêter » pour pouvoir se consacrer à sa nouvelle carrière : chargée de communication du club de handball de Mios-Biganos. Du sport, encore et toujours !
Retour aux sources
Peggy y croisera la nouvelle recrue du club, Audrey Deroin. A 24 ans, elle incarne une nouvelle génération de sportives qui tente de concilier le haut niveau et les études. Mais elle bénéficie pour cela d’un vrai salaire de joueuse (non communiqué par le club, il serait supérieur à 1500 euros bruts par mois, salaire moyen des handballeuses pro en France).
« Je n’ai jamais rencontré trop de difficultés, confie la jeune joueuse qui vient de boucler sa licence en entrepreneuriat et création d’entreprise. On gagne notre vie avec le hand alors on peut prendre notre temps pour faire des études, à notre rythme. J’ai mis trois ans, au lieu de deux, pour décrocher mon DUT car c’était une période chargée où on jouait la Champions League ».
Après avoir joué à Châtenay-Malabry, Issy-les-Moulineaux et à Toulon, elle revient à l’Union Mios-Biganos, club dont elle a déjà porté les couleurs il y a quelques années.
« Ça fait des années que je vis loin de mes proches. Ma famille et mon ami sont sur le Bassin d’Arcachon, où on a une maison. Venir à l’UMBB me permet donc de concilier ma vie privée, mes études car je souhaite suivre une formation sur le monde viticole, tout en jouant dans un club à gros potentiel, où j’espère gagner des titres. C’est parfait ! »
« A nous d’être à la hauteur »
Ces titres semblent être le seul moyen pour les femmes de s’imposer et de faire parler de leur sport. « La médiatisation est liée aux résultats. A nous d’être à la hauteur », lance la jeune handballeuse plusieurs fois sélectionnée en équipe de France.
Comme pour défier les hommes et le public qui boudent parfois les matches des équipes féminines ? Si l’on parle de plus en plus de sport féminin grâce aux prouesses des Bleues du football, du basket et du handball, notamment, le fossé est encore immense entre la visibilité des équipes masculines et féminines : selon une étude du CSA, le sport féminin ne représentait en 2013 que 7% du volume horaire des retransmissions du sport à la télévision, dont 95% sont sur des chaînes payantes.
Mais la handballeuse Audrey Deroin se veut positive :
« Il y a encore 10 ans, si on demandait aux gens de citer un nom de championne en judo, en foot ou en hand, ils n’auraient pas su quoi répondre. Maintenant, c’est différent. »
Le sport féminin parait en effet mieux épaulé : le Ministère des Sports qui a vu se succéder à sa tête Roselyne Bachelot, Valérie Fourneyron et Najat Vallaud Belkacem, en fait sa priorité. Parions que les filles n’ont pas fini de faire parler d’elles.
Et si cela commençait avec les filles de l’équipe de France de rugby ?
« On a commencé à être médiatisées quand on a fait le grand chelem en février, rappelle Camille Grassineau. Si on fait un bon coup à cette Coupe du monde, ça va vraiment aider au développement du rugby féminin ».
Rien de tel que de déloger les All Blacks, actuelles championnes du monde, pour se trouver en pleine lumière.
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