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Les Combattants de Thomas Cailley : « Filmer en Aquitaine ou rien »

Après avoir raflé tous les prix de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Les Combattants, premier film de Thomas Cailley ne cesse d’emballer la critique. Soutenu par la Région Aquitaine (Ecla), il sort dans les salles aujourd’hui. Impressions et parole donnée à son réalisateur.

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Les Combattants de Thomas Cailley : « Filmer en Aquitaine ou rien »

"Les Combattants" de Thomas Cailley (DR)
« Les Combattants » de Thomas Cailley (DR)

La première scène commence à un moment critique. Arnaud et Manu doivent enterrer leur père. Pour ces jeunes menuisiers qui viennent d’hériter de l’entreprise familiale, plus encore que pour n’importe qui, la tâche est rude. Le bois proposé par les pompes funèbres est bien trop basique. Loin de se satisfaire d’un choix au rabais, les voilà engagés dans une nuit de coupe et de ponçage pour un résultat artisanal à la hauteur de leurs attentes. Et si c’était dans cette scène apparemment anodine que résidait toute la sève du film ? Ne pas se contenter de ce qu’on nous propose. Ne pas prendre la vie comme elle va mais s’en emparer à bras le corps.

En stage commando

Voici en quelque sorte le défi que se lancent Arnaud, promis à un avenir tout tracé, et Madeleine diplômée de macro économie et bien décidée à se préparer à la fin du monde. Pourtant entre eux, l’approche est pour le moins rugueuse. Arnaud doit construire un abri de jardin sur le bord de la piscine où Madeleine s’astreint à des séances de natation plutôt musclées. Elle est drôle malgré elle, Madeleine, avec ses lunettes de plongée sur le nez, visage fermé, tout entière concentrée sur sa mission, intégrer l’armée.

Arnaud aura fort à faire pour l’entrainer dans les plaisirs d’un été landais, la plage, les potes, les soirées, les tours en scooter. Rien n’y fait. Madeleine part faire un stage commando négocié bec et ongle au dernier moment sous un orage apocalyptique. Ni une ni deux, Arnaud l’accompagne malgré la déception de son frère et l’incrédulité de sa mère.

Multiplication des genres ?

Là commence la deuxième partie du film, moins convaincante que la première, où l’on perd un peu de vue nos deux héros dans le lot des futures recrues, vite désabusés par ce nouveau monde qu’ils découvrent. Madeleine surtout qui supporte mal l’ordre hiérarchique et l’esprit de corps. Vient alors le temps de la fuite, du monde qu’ils vont s’inventer au cours d’un périple à travers la forêt pour enfin mettre à l’essai leur capacité de survie. Ou plutôt (et enfin), le début d’une nouvelle vie qu’offre Arnaud à Madeleine jusqu’au dernier retournement final.

À la frontière de la chronique sociale, de la romance amoureuse, du récit initiatique, du film d’aventure voir d’émancipation, Thomas Cailley a peut être trop multiplié les genres, aurait gagné à se concentrer sur ces (anti)héros très vrais, sur cette relation si sensible entre deux jeunes gens d’aujourd’hui, à explorer plus encore certains rôles secondaires comme le personnage du frère.

Le film pose les bonnes questions et interroge justement une génération que l’on dit perdue. Quelques scènes plus resserrées l’aurait mieux servi encore comme celles en forêt, magnifique décor certes, et filmées d’un œil amoureux mais parfois un poil trop contemplatif. Qu’on se le dise en tout cas, Thomas Cailley est bel et bien le nouvel enfant du pays.

Échanges avec Thomas Cailley

Thomas Cailley (DR)

Filmer ici, en Aquitaine ?

Mon désir premier est venu de filmer la région avant même d’avoir une histoire à raconter. J’ai grandi en Gironde et j’ai toujours ressenti une émotion particulière dans ces Landes de Gascogne. Avec le grand lac, la forêt de pin. Je suis revenu il y a peu voir ce que j’avais envie de faire ici. Le décor doit avoir du sens. Ces deux personnages pouvaient s’identifier au paysage. Arnaud à travers le calme du pays avec son horizontalité, ce côté immuable. Madeleine symbole d’un cataclysme à venir, les incendies fréquents dans la région. Il y avait un côté organique, sauvage dans cette nature qui renvoyait à ces deux caractères contraires.

Le tournage ?

J’ai choisi de tourner dans la continuité du récit en seulement deux ou trois prises pour ne pas perdre la spontanéité. Comme pour les personnages, ce film a été initiatique pour les acteurs. Ce qu’ils ont fait, ils ne l’avaient jamais fait avant. C’est un premier film pour les ¾ de l’équipe. Ce qui était au départ plutôt une faiblesse s’est transformé en force, en énergie. Le grand saut dans l’inconnu. Sur ce territoire presque vierge, on avait l’impression d’être sur une île avec une troupe qui se déplace.

Les acteurs ?

On a rencontré des gens, discuté avec eux avant l’idée de construire un personnage. Chez Adèle et Kevin, quelque chose m’a touché. Kevin a quelque chose de doux, de disponible à l’autre. Adèle est à la fois dans la puissance et la fragilité, le rationnel et l’irrationnel. À partir de ce qu’ils sont, on peut construire autre chose. Filmer des personnes avant des personnages. Je voulais approcher au plus possible l’aspect documentaire plutôt que la construction psychologique des rôles. Dans le meilleur des cas, je voulais qu’ils ne jouent pas. L’histoire est très fictionnelle voire surréaliste, le réalisme doit venir d’eux.

Les personnages ?

Je ne crois pas qu’il y ait d’un côté la douceur d’Arnaud contre la force de Madeleine. La douceur d’Arnaud est une force. Sa patience aussi et son instinct de protection. Madeleine n’est pas masculine, elle est juste dans un instinct de survie, dans une démarche guerrière. Cette rencontre est l’histoire d’une double contamination où chacun apprend de l’autre pour découvrir qu’à deux on est plus fort que tout seul. Le but final est d’arriver à vivre avec ses angoisses. Le projet de survie se transforme en une vraie vie possible.

Le récit ?

Laisser les personnages partir dans un voyage, dans une fiction qu’ils s’inventent. Elle attend la fin d’un monde, il lui fait découvrir le début d’un autre. Au départ, si le film s’incarne dans une réalité, il lâche rapidement les amarres, laisse la fiction suivre son cours. Ça m’a excité de changer de genres, de prendre des libertés. On ne sait jamais où les personnages vont aller. Ils se fabriquent leur propre décor à eux.

Le stage militaire ?

J’ai échappé de peu au service militaire mais je garde un souvenir fort de la Journée d’Appel à la Défense que j’ai vécu comme la photo d’une génération. Et quand j’ai découvert ces bus du recrutement, j’ai tout de suite perçu leur côté anachronique avec tous leurs gadgets marketing. Lors des dernières campagnes de promotion, l’armée nous a sorti des slogans comme « Devenez vous même », « S’engager pour soi. Pour les autres ». Plutôt étonnant pour une institution qui défend le collectif, la patrie de parler d’épanouissement personnel. En fait, c’est exactement le discours qui fonctionne avec ces jeunes, dont la majorité viennent de quartier populaire, qui ne cherchent pas seulement un métier mais un avenir.

Être jeune aujourd’hui ?

Je ne crois pas du tout au discours qu’on fait habituellement sur une jeunesse apathique, sans rêve ni projet. Pour moi, c’est le portrait fait par des vieux sur des jeunes qu’on a biberonnés à la crise tout en leur imposant une paradoxale injonction au bonheur. La solution est une forme d’adaptation, elle n’est ni dans l’apathique ni dans la transgression. Derrière cette fin du monde il y a toute une métaphore. Trouver sa place. Est ce que je dois transiger avec qui je suis ? Est ce que je dois faire ce qu’on attend de moi ? Chacun doit s’adapter, inventer des solutions.

Le personnage du frère, Manu ?

A la mort de leur père, Manu hérite de responsabilité, d’un métier, d’une entreprise. L’artisanat, et notamment le travail du bois omniprésent dans les Landes, représente quelque chose de concret. Il va devoir apprendre à laisser son frère trouver sa voie. Il arrive à un moment dans sa vie où il doit faire son deuil. Difficile travail qui revient par mégarde avec une carte de fidélité au nom du père. L’idée était de parler de sujet sensible avec légèreté, décalage. Comme une pause dans l’air. Qu’est ce qu’on va faire de cet héritage ? de cette famille ? de cette fratrie ? Je travaille moi aussi avec mon frère (chef opérateur du film) et c’est un sujet qui me parle.

Le langage ?

Aujourd’hui avec les nouvelles technologies, on accumule des connaissances qui ne sont pas liées les unes aux autres comme lorsqu’un copain d’Arnaud monologue sur la destruction de l’écosystème par les poissons chats. Chacun est dans sa solitude. Comment on dépasse le discours rapporté pour se l’approprier. Le langage devient alors une matière. Madeleine parle très vite. On ne peut pas tout entendre donc on oublie ce qu’elle dit mais il y a une énergie qui passe et qui fait que le dialogue dépasse le stade de l’information. À la fin, Madeleine et Arnaud se sont inventés leur propre langage.


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