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Food trucks : dur à négocier, le créneau fait saliver

Implantés dans le paysage urbain et appréciés du public, ces camions-cantines ambulants peinent à décrocher des autorisations pour un emplacement, quand ils ne sont pas tout bonnement interdits sur l’espace public, comme à Pessac et Mérignac. Mais beaucoup contournent les obstacles. Balade dans la Communauté urbaine de Bordeaux.

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Food trucks : dur à négocier, le créneau fait saliver

Marie-Laure et Marion, du "Mamasfood" à Talence, se sont démenées pour monter leur affaire. Aujourd'hui, leur food truck mauve attire un large public, désireux de manger vite et bien sans se ruiner (Photo Florence Heimburger/Rue89 Bordeaux)
Marie-Laure et Marion, du « Mama’s food » à Talence, se sont démenées pour monter leur affaire. Aujourd’hui, leur food truck mauve attire un large public, désireux de manger vite et bien sans se ruiner (Photo Florence Heimburger/Rue89 Bordeaux)

Depuis trois ans, c’est la déferlante « food trucks » en France. Concept importé des Etats-Unis, ces camions-cantines qui proposent de la restauration rapide dans la rue se sont d’abord implantés à Paris avant de gagner la province. A Bordeaux et dans quelques autres villes de la CUB, on en compte désormais une dizaine, voire plus.

Leur « streetfood » séduit les clients par sa cuisine souvent gourmande et inventive, réalisée avec des produits sains et locaux. Elle est mijotée par des passionnés de cuisine à l’âme d’entrepreneurs. Au volant et aux fourneaux, on trouve en général des jeunes gens désireux de changer de crémerie après d’autres expériences professionnelles.

De plus en plus de chefs en herbe ou confirmés, n’hésitent pas à se lancer dans l’aventure dès que l’occasion se présente, séduits par la mouvance « cuisine » du moment, la liberté et/ou l’indépendance vis-à-vis d’un patron ou encore l’appât du gain potentiel – l’investissement initial, entre 20 000 et 90 000 euros chez les cuistots ambulants que nous avons rencontrés, est en effet moins important qu’un resto en dur.

Mais les places sont chères et rares sont ceux qui obtiennent une autorisation d’installation.

Après avoir vécu six ans en Californie, Virginie et Philippe proposent désormais des spécialités californiennes (tacos, quesadillas…) dans leur Combi rouge vintage. (DR)

« De retour de six années passées à Los Angeles (Californie) avec mon épouse, nous avons voulu monter notre food truck », raconte Philippe Saint-Jeannet ancien manager dans la grande distribution.

Parcours du combattant

Il est propriétaire avec sa femme Virginie, ancienne graphiste et styliste de mode, du Combi Volkswagen rouge « El Taco Del Diablo », proposant des tacos californiens.

« J’ai fait une demande à la mairie de Bordeaux en septembre 2012. La première réponse a été négative. J’ai pris mon bâton de pèlerin et suis allé voir les élus qui ont, pour la plupart, trouvé mon projet très bien. J’avais besoin d’une lettre de leur part pour lever des fonds. Mais ils n’ont pas voulu se mouiller, et je ne l’ai pas obtenue. Là, j’ai compris que cela allait être compliqué », se souvient l’entrepreneur.

L’un des premiers food trucks implanté à Bordeaux, le flamboyant « El Taco Del Diablo » compte bien faire voyager les papilles des Bordelais jusqu’à la Californie. (DR)

Très déterminé, il n’a pas abandonné son projet pour autant et a contacté différents propriétaires de terrains privés à Mérignac, qui ont accepté, notamment le propriétaire de la jardinerie « Truffaut ».

« Puis la machine s’est emballée : nous avons eu quelques articles – dont un dans le Huffington Post qui classe “El Taco Del Diablo” parmi les dix bonnes adresses de street food en France –, auxquels la mairie n’a peut-être pas été insensible », raconte Philippe.

Le quadragénaire a obtenu le Prix de l’entrepreneur de Bordeaux 2013 dans la catégorie seconde chance.

« J’ai obtenu un chèque de la mairie de 3000 € mais toujours pas d’emplacement !, ironise-t-il. Finalement, je suis passé devant une commission de 6 membres (des élus et représentants du commerce ambulant) en même temps que d’autres prétendants. Il a fallu convaincre, séduire les gens autour de la table. »

Des affaires qui roulent

Mais cela a fini par porter ses fruits : son projet obtient différents emplacements publics à Bordeaux (Bordeaux Lac, à l’écosystème Darwin et place Paul-Doumer…) en… janvier 2014.

« Je n’ai pas attendu la mairie pour travailler, sinon j’aurais dû patienter un an et demi !, lance-t-il. Il faut dire que la municipalité n’avait pas de stratégie bien précise face à ce phénomène nouveau. Il a fallu s’armer de patience, être irréprochable, tenir bon, convaincre, séduire, faire en sorte que cela plaise à la ville. Les commerces locaux se montrent aussi jaloux. Il faut vraiment s’accrocher, faire preuve d’une détermination énorme ! », recommande l’ex-californien, à la tête d’une affaire qui roule.

Même parcours du combattant pour Margot et Tristan Théophile, couple de jeunes globe-trotteurs vingtenaires, propriétaires du « Seasons », un camion Citroën vintage, qui fonctionne depuis février 2014, et leur a coûté 35 000 € aménagement compris. Coup de cœur des trophées Business Cup 2014, ils servent une cuisine british (English muffin, bacon, œufs grillés, pommes de terres rôties…) à base de produits frais, locaux et de saison, dans des emballages recyclables et compostables.

« Après avoir parcouru le monde, nous sommes revenus à Paris et avons constaté la montée en puissance des food trucks, raconte Tristan. Comme j’avais été chef cuisinier à Sydney (Australie), nous nous sommes dit que nous allions monter notre food truck à Bordeaux, une ville dynamique en bord d’estuaire qui ressemble à la ville australienne. En parallèle, nous avons aussi sollicité Nantes, Lyon et Bruxelles. Bordeaux a été la première ville à nous répondre, cela tombait bien : c’était là que l’on voulait vivre ! »

Leur demande, transférée au service du domaine de l’occupation publique de Bordeaux, puis examinée devant une commission, a pris un an à aboutir. Mais aujourd’hui, « le bilan est très positif », s’enthousiasme Tristan sans pour autant vouloir communiquer le chiffre d’affaires de sa petite entreprise.

« Nos recettes dépendent vraiment de l’emplacement, et les plus lucratifs sont ceux fournis par la ville davantage que le terrain privé de Mérignac, précise sa compagne Margot. Le plus rémunérateur étant l’événementiel, les représentations privées et les manifestations… »

La friture doit plaire aux huiles

Selon Tristan, Bordeaux « a voulu intégrer les food trucks car il y avait une forte demande des riverains et des professionnels. Ils ont joué le jeu à fond. Aujourd’hui, à Paris, la mairie est saturée de demandes, si bien qu’elle a tout bloqué », précise l’ex-Parisien.

La capitale girondine n’a, elle, pas complètement levé le frein à main. Depuis le début de l’année, la ville a reçu une cinquantaine de dossiers, pour six autorisations accordées depuis 2013.

« Un certain nombre de rêveurs croient qu’ils vont faire fortune sur la place publique avant de trouver leur banquier. C’est plus compliqué, c’est plus difficile », prévient Jean-Louis David, adjoint au maire chargé de la vie urbaine et des politiques de proximité. « Pour nous, il s’agit d’une expérimentation avec un certain nombre d’exigences assez contraignantes : nous devons expertiser la qualité du food truck, la nourriture qu’il propose et son impact sur les commerces de bouche alentours… Et le camion doit bien s’intégrer, esthétiquement, dans l’espace public, il doit répondre à des normes de développement durable (en matière de production d’énergie, huile recyclée…). On privilégie l’innovation et les propositions de qualité. »

Il ne s’agit donc pas de simples baraques à frites ! D’ailleurs, souligne l’adjoint, l’occupation du domaine public est temporaire et d’une durée d’un an.

Margot et Tristan promènent leur jolie Citroën vintage dans Bordeaux, où ils proposent une street food de saison, locavore et so british! (DR)

Devant les food trucks, d’autres communes de la Cub font davantage encore la fine bouche. Les municipalités de Pessac et Mérignac les ont pour l’heure tout simplement bannis du domaine public. Seuls ceux situés sur des terrains privés sont autorisés. Mais les choses pourraient évoluer :

« La rédaction d’un règlement sur ce sujet est actuellement en cours de finalisation, précise l’attachée de presse de la ville de Pessac, Laurence Defard. Ce dernier vise à mieux répartir les points de vente sur le territoire communal et délivrer des autorisations uniquement sur des espaces publics qui s’y prêtent en termes d’accessibilité, de sécurisation de l’espace et de stationnement notamment. »

« Pignon sur rue pour trois fois moins cher que les restaurants »

Point d’interdiction en revanche à Talence, mais on y est très tatillon, comme l’explique Bertrand Cousin, responsable du service développement économique à la mairie :

« Il faut remplir plusieurs critères : proposer une offre complémentaire à celle existante ; l’emplacement doit être sécurisé, permettre le passage d’une poussette ou d’un fauteuil roulant ; il ne doit pas se situer dans la zone d’achalandage trop proche des restaurants, soit à 300 m minimum, pour éviter la concurrence directe, mais doit être commercialement rentable. Avec un collègue, nous avons repéré une petite dizaine d’emplacements possibles, que nous avons soumis à M. Alain Cazabonne, le maire. Celui-ci a préféré en écarter quelques-uns qui se situaient trop près d’une grosse concentration de restaurants. Cela aurait été de la concurrence déloyale compte tenu des prix bas pratiqués par les camions, vis-à-vis des restaurateurs qui payent des impôts locaux, une redevance, une taxe foncière, une taxe sur les enseignes… Les food trucks, eux, ont pignon sur rue pour trois fois moins cher ! »

Du coup, seules deux localisations répondaient à l’ensemble des critères et ont obtenu l’aval politique.

« Mais nous continuons à recevoir énormément de demandes, précise Bertrand Cousin. Toutes seront instruites et classées par ordre d’arrivée. Elles prendront effet si des places se libèrent. »

Rester zen et motivé

De quoi en refroidir plus d’un. A Talence, Marie-Laure Héritié et Marion Vayssettes, deux quadragénaires courageuses qui rêvaient de ne plus avoir de patron sur le dos et de se lancer dans la cuisine, ont donc renoncé à un emplacement public et louent un terrain à un particulier.

« On voulait s’installer sur le campus, à côté du restaurant universitaire, mais le CROUS nous a renvoyées vers la CUB qui nous a redirigées vers la mairie de Talence, raconte Marie-Laure. Au final, le campus appartient à tout le monde et à personne ! Puis, on a repéré un terrain vide, on a récupéré les coordonnées du propriétaire au cadastre, le courant est bien passé avec lui et on a obtenu un bail précaire (d’un mois). Ce fut ensuite très compliqué à nouveau d’obtenir un papier auprès de la mairie pour la Chambre de commerce de Bordeaux…Il faut vraiment être motivés et savoir rester zen. »

Végétarienne, Emilie a monté le « Tofu’toi » sur un terrain privé pour s’épargner les lourdeurs administratives. Elle y propose de bons petits plats sains et veggie. Qui a dit que la nourriture végétarienne était fade ?! (DR)

Ce n’est qu’un an après le début de leurs démarches que ces deux mères entrepreneuses ont pu ouvrir le « Mamas food », avec un camion et du mobilier de jardin acheté sur Le Bon Coin. Le truck, qui propose entre autres des burgers au pain traditionnel, attire une clientèle diverse : des salariés, des professeurs des écoles, d’autres à la fac, des ouvriers, quelques étudiants, des habitants du quartier s’y retrouvent le midi…

Un autre food truck talençais, le B.B.S., implanté près de la Business School, a quant à lui mis deux ans à obtenir une autorisation.

Lorsqu’ils recherchent un emplacement, certains n’ont pas le courage de faire les démarches ni le temps d’attendre :

« J’avais entamé des procédures auprès de plusieurs municipalités (Bordeaux, Mérignac, Lacanau…), et je me suis d’emblée rendu compte que ça allait être compliqué, raconte Emilie Roptin, du food truck « Tofu’toi ». Du coup, je n’ai jamais déposé les dossiers et comme j’étais dans l’urgence, j’ai opté pour des terrains privés. Par chance, je suis tombée sur le « food park », un terrain dans le quartier du Tondu à Bordeaux pour food trucks.

Dessinatrice sur ordinateur, Emilie a elle aussi voulu changer de métier pour se mettre aux fourneaux. Elle a profité de ses indemnités de chômeuse pour se lancer dans l’aventure et investir 90 000 € dans une camionnette rutilante. A la tête du végétarien implanté à côté du CHU de Pellegrin, elle ne cuisine que des choses saines et bios, et ses menus changent chaque jour : pâtes aux champignons, sandwichs équilibrés, gaspachos…

« J’avais envie de montrer que l’on peut se régaler en mangeant végétarien ! », raconte la trentenaire.

Camionneuses ou Midinettes

Et aujourd’hui, elle est ravie : sa clientèle composée de médecins, infirmiers, chercheurs et étudiants n’est à 95 % pas végétarienne, une victoire pour elle ! Comme les autres food trucks, elle se lance aussi dans l’événementiel (mariage, anniversaire) et privatise son camion. Elle vient d’embaucher quelqu’un, signe que cela tourne.

Au bord de l’eau, Charline et Sophie, prouvent que manger bon pour pas cher n’est pas incompatible. (© Les Midinettes)

Charline et Sophie ont elles aussi fait slalomer leur camion entre les obstacles administratifs. Toutes deux âgées de 44 ans, habitantes du quartier Bacalan à Bordeaux, elles n’ont jamais voulu négocier un emplacement public.

« Nous avions quelques contacts au Port autonome, explique Charline. Nous avons pu obtenir un emplacement en les sollicitant et en versant une patente au Port. »

Leur projet a néanmoins mis un an à éclore, le temps de suivre une formation de six mois à l’Atelier de la cuisine nomade à Blanquefort (Gironde) imaginé par le chef étoilé Thierry Marx, d’acheter le camion, d’obtenir une réponse du port autonome…

Dans leur camion baptisé « Les Midinettes » et implanté au niveau du Hangar 36 depuis juin 2013, elles proposent une cuisine à leur image, simple et inspirée : croque-monsieur au poulet et petits légumes, porc au caramel et riz, tarte carottes oignons accompagnée d’une salade de boulgour et crudités… Et cela fonctionne plutôt bien. Les food trucks attirent les foules – comme en a témoigné l’affluence au comptoir des camions présents à Agora, la biennale d’architecture et d’urbanisme, le week-end dernier à Bordeaux. Mais ils plaisent moins aux restaurants qui se trouvent à proximité.

Food trucks : nos bonnes adresses

El Taco Del Diablo

A Bordeaux de 11h30 à 14h30 sur le parking plage du Lac, boulevard Chaban-Delmas (le mardi), au 87, qui de Queyries (le mercredi), au 11, avenue Pythagore (le jeudi), et place Paul-Doumer (le vendredi).

Tél. : 06 07 15 04 08 – Le site internet

 

Le B.B.S – burger, bagel, samoussa

Cours de la Libération à Talence, en face du CREPS (du lundi au vendredi, de 11h30 à 14h et de 19h à 21h30).

Tél. : 06 45 28 59 40 – La page facebook

 

Le Byolivertruck

Place Paul Doumer, à Bordeaux (le mardi, le jeudi et le vendredi soir et le dimanche soir), place Saint Bruno, à Bordeaux (le mercredi), Parc de L’Ermitage à Le Bouscat (le samedi midi).

Tél. : 06 77 72 96 73 – Le site internet

 

Le Mamas Food

469 cours de la Libération, à Talence (lundi au vendredi de 10h30 à 15h).

Tél. : 06 51 99 99 41 – Le site internet

 

Les Midinettes

Quai du Maroc, à Bordeaux (lundi au vendredi, 11h à 14h).

Tél. : 07 81 02 49 39 – La page facebook

 

Les Petits plats dans les grands

9, avenue Pythagore, à Mérignac (du lundi au vendredi, de 11h à 15h).

Tél. : 06 37 86 92 14 – Le site internet

 

Le Seasons

Avenue Magudas à Mérignac (le mardi, de 11h30 à 14h), place Paul-Doumer, à Bordeaux (le mercredi, de 11h à 14h), 2 bis, rue Achard, à Bordeaux (le mercredi, à partir de 18h, à Saint-Bruno, à Bordeaux (le jeudi, de 11h30 à 14h), et au parc des Angéliques, quai de Queyries, à Bordeaux (le vendredi, de 11h30 à 14h).

Tél. : 06 31 86 58 03 – Le site internet

 

Le Tofu’toi

39 rue Eugène-Jacquet, à Bordeaux (lundi au vendredi, 11h30 à 14h30).

Tél. : 06 76 98 02 11 – Le site internet

 

BON A SAVOIR

Sur le site pouet-pouet.com, on accède en un clic à une carte astucieuse, qui localise au jour le jour les foodtrucks dans chaque ville, en fonction de sa région.


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