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A Bordeaux, le Steampunk à toute vapeur

La sortie de l’encyclopédie « Tout le Steampunk ! », aux éditions Les Moutons électriques basées à Bordeaux, est l’occasion de découvrir cette culture underground avec des Bordelais : l’éditeur, deux auteurs, et un jeune couple de steamers.

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A Bordeaux, le Steampunk à toute vapeur

Un groupe de steamers à Bordeaux (DR)
Un groupe de steamers à Bordeaux (DR)

« Tout sur le steampunk » aux éditions Les Moutons électriques (DR)

Le steampunk, en tant que mouvement culturel underground, fait de plus en plus d’adeptes en France. Loris et Charlène, alias Korben et Gwenwed, sont un jeune couple bordelais de 23 et 22 ans. Ce sont des steamers, mais préfèrent le terme francophone de vaporistes. Ils portent au quotidien des vêtements steampunk, expression d’un XIXe victorien alternatif. Pour ces jeunes comme pour des milliers d’autres, la rencontre avec le steampunk a d’abord été une rencontre esthétique. C’est l’univers post-apocalyptique de la trilogie Mad Max qui les a d’abord séduits. Son monde de rouille et de récup’.

Le steampunk, c’est d’abord des matières : le cuir, le velours, la laine, la toile, la fourrure pour les vêtements, du cuir, du cuivre, du verre, du bois et du métal pour les objets et les machines. Korben et Gwenwed empruntent les codes vestimentaires de l’époque victorienne, mais revendiquent aussi quelques-unes de ses valeurs : le respect, la pudeur, la fidélité, la monogamie, les règles de bienséance, le self-control – restrain en anglais, et surtout le refus de l’hyper sexualisation du corps de la femme comme vecteur de marchandisation.

Korben et Gwenwed, couple de steamers (Ludovic Lamarque/Rue89 Bordeaux)

Artisanat et création

Les archétypes engendrés par les codes et les modes vestimentaires steampunk sont nombreux comme le pilote de zeppelin, le pirate de l’air, le scientifique, le chasseur de fauves, l’aventurier, la Lady. Ils permettent aux vaporistes de créer leur propre personnage. Ceux-ci ne rejettent pas la modernité, Loris est un animateur web, mais l’adaptent à leur convenance. Ils savent très bien dans quel monde consumériste ils vivent. Ils élaborent leurs costumes et leurs accessoires dans une démarche écologique et artisanale. Ils visitent les friperies, les surplus militaires, font les brocantes, et dénichent des trésors chez les ferrailleurs. Ils bricolent le passé, raccommodent le démodé !

Grâce aux nombreux tutorials qui essaiment sur le net, les deux steamers redonnent vie et transforment un objet banal en plastique en une pièce artisanale unique. Sous leurs doigts habiles, un vulgaire pistolet à eau en plastique prend une apparence et une patine d’arme de duel, de cuivre et de laiton qui semble avoir fait trois guerres.

Une identité forte

Imaginer, c’est penser, réfléchir, élaborer pour concevoir. Imaginer réunit travail intellectuel et manuel. L’imagination est la reine des facultés, affirmait Baudelaire.

En portant des costumes et leurs accessoires confectionnés avec passion et patience dans des ateliers, Korben et Gwenwed imaginent, inventent leurs personnages, créent une bible comme disent les romanciers, en leur donnant passé, nom, profession. Ces costumes ainsi créés, ces personnages incarnés sont des garants de leur identité, de leur liberté créatrice et leur permettent de s’affranchir ainsi de la sphère marchande, du moins de la tenir à distance. Revêtus de leurs créations, ils participent à des festivals, des pique-niques, des Murder-party et autres Grandeur Nature.

Au sein d’une communauté de vaporistes qui réunit tous les âges, Korben et Gwenwed créent du lien social. Ils se sont rencontrés lors d’un de ces évènements qui réunissent des centaines de participants. Ils échangent et partagent leurs goûts, leurs découvertes, leur savoir-faire, se refilent des tuyaux, des bonnes adresses et des liens internet.

Par son aspect artisanal, écologique, communautaire, la culture steampunk apparait comme une forme de contestation, de dissidence, pacifique et silencieuse. Comme une Alternatiba de l’imaginaire. En permettant de rester soi-même, en remplissant un rôle ludique et social, la culture steampunk a de beaux jours devant elle.

André-François Ruaud, Denis-Pierre Filippi et Christophe Coronas (LL/Rue89 Bordeaux)

Un mouvement aux origines récentes

Le courant artistique a précédé la culture du steampunk, créée par des geeks et des férus des cultures de l’imaginaire.

Les origines du courant artistique sont assez récentes. L’éditeur André-François Ruaud, directeur littéraire des Moutons Électriques a vu la naissance littéraire du steampunk :

« En bon fan de science-fiction, je suivais l’actualité du genre dans les années 1980, lorsque sont parus les premiers romans de ce qu’un trio de Californiens s’amusèrent à nommer le Steampunk en parodiant le terme de cyberpunk alors à la mode. »

Les trois auteurs en question s’appellent James.B Blaylock auteur d’ « Homonculus », K.J Jeter auteur de « Les Machines Infernales », et Tim Powers avec « Les voies d’Anubis ». Dans ces trois romans fondateurs, on retrouve des personnages picaresques où une révolution industrielle précoce a produit zeppelins, automates, sous-marins à la Jules Verne, peuplée de dandys aventuriers, de savants fous, de loups-garous, de prêtres égyptiens, de poètes, de Ladies aussi séduisantes que dangereuses, et d’une multitude de créatures étranges.

Le steampunk à la française

Il y a quinze ans, le steampunk touche la France et inspire les auteurs de l’imaginaire. André-François Ruaud se souvient :

« Étant séduit par cette nouvelle esthétique vu que j’étais déjà amateur de Sherlock Holmes et de l’œuvre de Michael Moorcock, j’ai un peu suivi les plongées et les réémergences successives du steampunk, notamment son éclosion en France avec de nouveaux auteurs comme Johan Heliot. J’ai travaillé comme éditeur sur ses deux premiers romans. »

Pour le dessinateur Christophe Coronas, alias Cecil, et le scénariste Denis-Pierre Filippi, la rencontre avec le genre n’a pas été aussi frontale. « La première fois que j’ai entendu parler de steampunk, c’est quand certains critiques ont accolé mon travail à ce style littéraire », explique Christophe Coronas, auteur avec le scénariste Corbeyran, et dessinateur du « Réseau Bombyce », une des premières BD steampunk françaises, qui se déroule en partie à Bordeaux.

« Sinon on peut dire que j’ai rencontré ce genre pour la première fois avec la série “Les Mystères de L’Ouest”, série dont j’étais très fan enfant. Puis à l’adolescence au travers des œuvres de Tardi et de Schuiten qui n’étaient pas à proprement parlé du steampunk. »

« On va dire que le steampunk fait partie de ces sources d’inspiration et d’influence inconscientes et silencieuses », raconte Denis-Pierre Filippi, scénariste de la trilogie Le voyage extraordinaire :

« Une sorte de terrain de prédilection, de vibrations particulières où l’on se sent bien, par définition. Je n’ai pas de référence précise et identifiée de ma première rencontre, même si en creusant, “Les Cités Obscures” (série BD de Schuiten et Peeters), serait un bon début de piste. Il est assez édifiant, en fait, de constater que ce courant a l’air de s’être imposé à moi comme une cour de récréation immuable, sans arriver à dater et identifier une réelle rencontre officielle. »

Trois visions pour un genre

Quand on interroge ces trois acteurs de l’imaginaire, on s’aperçoit que le steampunk est difficile à définir en raison de sa grande richesse et diversité.

« Autrefois, je vous aurais dit qu’il s’agit d’un sous-genre de la science-fiction, maintenant, je dirai plutôt qu’il s’agit d’une esthétique. C’est même à ce jour la dernière esthétique nouvelle produite par la science-fiction, après le cyberpunk », constate l’éditeur André-François Ruaud.

Pour le dessinateur du « Réseau Bombyce » :

« Il s’agit pour moi d’une vision enflée et délirante de l’industrie et de l’objet manufacturé qui répond à des envies technologiques de notre époque par le biais de la technologie à vapeur et des mécaniques à pistons et rouages du XIXe. »

Denis-Pierre Filippi :

« Je dirais qu’il s’agit d’un mélange de genres, une sorte d’hybride entre la référence historique et le fantasme futuriste. Arriver à projeter des univers d’anticipation avec les outils et références du passé où l’on va sur dimensionner le matériel industriel. On pourrait résumer ça à de la science-fiction, l’élégance et l’orfèvrerie (parfois proche du bricolage sentant l’huile et le cambouis), en plus. »

Entre uchronie et folie baroque

Qu’est-ce qui attire dans le steampunk ? André-François Ruaud répond sans hésiter :

« Tout à la fois le jeu historique (d’ailleurs l’uchronie en général me fascine, comme éditeur et comme lecteur), le propos sous-jacent sur la civilisation industrielle et ses aliénations, et encore une fois l’aspect ludique, léger, dans les modulations d’une esthétique très forte. Il y a quelques romans majeurs, en steampunk (je pense en particulier à L’Âge des lumières de Ian R. McLeod), mais jusqu’à présent c’est surtout le domaine des romans populaires amusants et divertissants, un nouvel âge d’imaginaire quasi pulp dans son exubérance. »

Pour Denis-Pierre Filippi :

« C’est le côté polymorphe et parfois dichotomique de ce mélange d’univers qui permet de se libérer de certains limites et d’en créer de nouvelles. Un supplément de liberté si l’on veut, où l’on peut imaginer aller sur la lune dans un vaisseau de cuir, de bois, et de cuivre…C’est tout le paradoxe, on peut être à la fois dans la nostalgie d’une époque révolue tout en se projetant dans un univers à naître. Bref, on réinvente le futur qui aurait pu exister. C’est là le maître mot en fait, l’invention, c’est ce qui procure la vibration en question, un univers inventé, tout en étant probable. »

Christophe Coronas ajoute :

« Pour mon cas, avant d’être un décor purement esthétique, il me permet de montrer la démesure de l’homme dans la mécanisation de son univers et dans ce qu’il y a d’écrasant dans sa production d’objets manufacturés. »

Dans son essence le steampunk est un jeu avec l’Histoire, l’uchronie, qui permet toutes les libertés dans le processus de création. Le steampunk est un puissant moteur de l’imaginaire. Il est aussi un carcan qui concentre tous les travers en devenir de notre société contemporaine dans un XIXe alternatif, iconoclaste et baroque.


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