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Energie : nuages sur la transition de l’agglo bordelaise

La loi sur la transition énergétique, en débat au Parlement, va-t-elle aider l’agglomération bordelaise à réduire son addiction aux énergies fossiles et lutter contre le changement climatique ? Décisive pour diviser par 3 la consommation d’énergie, la rénovation thermique des bâtiments marque le pas, et les énergies renouvelables peinent à émerger.

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Energie : nuages sur la transition de l’agglo bordelaise

Panneaux d'électricité photovoltaïque à la technopole Bordeaux Montesquieu (Paul-Michaël Borgne/flickr/CC)
Panneaux d’électricité photovoltaïque à la technopole Bordeaux Montesquieu (Paul-Michaël Borgne/flickr/CC)

La Cub carbure aux énergies carbonées : selon le bilan énergétique réalisé en 2007 par l’Alec (agence locale de l’énergie et du climat), elle consommait alors 35% de pétrole (et de produits dérivés – fioul, diesel…), 30% de gaz naturel et 4% de charbon soit 69% d’énergies fossiles non renouvelables. L’électricité (nucléaire pour l’essentiel) représentait 27% de cette consommation, les énergies renouvelables 3%.

La situation n’était donc pas brillante, même si les émissions de gaz à effet de serre engendrées par habitant sont bien inférieure à la moyenne française : 6,7 tonnes équivalent CO2 par habitant et par an, et même 5,3 tonnes pour un Bordelais, contre 9 pour un Français.

Elle s’est depuis légèrement améliorée : selon la dernière mise à jour de ce bilan, menée en 2010 mais pas encore rendue publique, la consommation de pétrole a légèrement baissée, passant de 7500 Gwh (gigawatt-heure) à 7000, tout comme celle du gaz. En revanche, l’utilisation d’électricité a continué à augmenter, tandis que la part des énergies renouvelables (pour l’essentiel, du bois de chauffage) déclinaient…

A quoi sert toute cette énergie ? D’abord à chauffer (38% des usages), puis à se déplacer (27%). Cela se traduit dans la consommation par postes : les bâtiments (logements et bureaux) absorbent 45% de l’énergie utilisée sur la Cub, les transports 28%, l’industrie 27%.

Accro au pétrole, l’agglo réinvente l’eau chaude

Depuis, le Plan Climat de la Ville et celui de l’agglomération ont été lancés, avec des objectifs extrêmement ambitieux : faire baisser de 66 % la consommation d’énergie et porter à 83% la part des renouvelables d’ici 2050. De la science fiction, vu les performances actuelles ?

« Non, répond Jean-Louis Bergey, directeur de l’Ademe Aquitaine (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Les politiques de ce type ont en général du mal à démarrer, puis la courbe devient exponentielle. Nous avons fait un travail prospectif fondé sur des technologies existantes ou possibles, notamment l’exploitation des ressources en géothermie, car l’agglomération bordelaise a le deuxième potentiel de France après le Bassin parisien. »

Alors la géothermie, comment-ça-marche ? Simple : on fore jusqu’à 1000 ou 2000 mètres de profondeur, pour aller chercher de l’eau chaude (entre 50 et 70°) qui alimente les réseaux de chaleur (et les piscines) des quartiers équipés.

Sur l’agglomération bordelaise, 8 puits géothermiques ont été creusés dans les années 80, après les chocs pétroliers, avant d’être délaissés lorsque le prix du baril a replongé. 5 puits fonctionnent actuellement, dont deux à Bordeaux, la Benauge et Mériadeck, produisant 3,7 Gwh. Des études sont en cours pour réactiver le forage du Grand Parc. Surtout, une délégation de service public vient d’être lancée pour alimenter les futurs quartiers Brazza et Garonne-Eiffel, un investissement de près de 30 millions d’euros, mais qui à l’arrivée se traduira par des économies de 30% pour les habitants.

« La géothermie profonde représente un potentiel certain, qui pourrait atteindre jusqu’à 20 fois sa production d’aujourd’hui (…) soit 16% de toutes les énergies renouvelables mobilisables sur l’agglomération bordelaise », estime l’Alec.

Forage d’un puit géothermique (Ademe-BRGM/DR)

Bordeaux veut envoyer du bois

On est encore loin du compte. La mairie de Bordeaux et l’Ademe se réjouissent du développement des réseaux de chaleurs raccordés aux incinérateurs de Bègles et Cenon, un point de vue que ne partagent évidemment pas les écologistes, pour qui la « valorisation énergétique » des déchets est une hérésie tant économique qu’environnementale.

Mais c’est la biomasse (bois énergie, principalement) qui est censée représenter la plus grosse part des renouvelables avec32% de l’objectif en 2050 (au risque d’ailleurs de poser à court terme quelques problèmes de pénurie d’approvisionnement, le massif landais étant très sollicité pour le bois d’oeuvre et la papeterie, et les forêts de Dordogne trop morcelées entre propriétaires privés).

Déjà, les chaufferies bois se multiplient, comme celles de l’écoquartier Ginko et de l’Université de Bordeaux, à Talence. Les Bassins à flot et les Chartrons seront aussi bientôt chauffés au bois (mais aussi aux calories des eaux usées de la station d’épuration Louis Fargue).

La ville de Bordeaux se veut ainsi une vitrine avec ses nouveaux quartiers comme avec ses équipements phares – la Cité municipale est un bâtiment à énergie positive (qui produit au moins autant d’énergie qu’elle n’en consomme) grâce à ses 850 panneaux photovoltaïques.

« A Bordeaux, on essaie d’être très volontariste, estime Anne Walryck, adjointe au maire de Bordeaux, et depuis peu vice-présidente de la Cub en charge du développement durable. On est bien conscients qu’il faut aller encore plus de l’avant sur les énergies renouvelables. Celles-ci représentent toutefois déjà 23% grâce à l’installation des panneaux photovoltaïques sur le parking deu Parc des expositions. Cela répond à 70% des besoins en éclairage public de la ville, ou à la consommation de 5000 ménages ».

Chasse au gaspi

Pierre Hurmic, conseiller municipal écologiste, indique lui que la centrale du lac « n’améliore que de 0,3% la part des énergies renouvelables dans la consommation de Bordeaux, énergies renouvelables qui ne représentent elles-mêmes que 2,3% de cette consommation. L’objectif n°1 du plan climat de la ville de Bordeaux, passer la part des EnR à 10% en 2016 et 23% en 2020, est pourtant peu ambitieux. Il y a bien des opportunités, comme le toit du parc des expositions, mais elles sont pour l’instant délaissées ».

Anne Walryck répond que ce projet n’est pas enterré, et fait valoir que la baisse des tarifs de rachat de l’électricité renouvelable a plombé nombre de projets dans le solaire photovoltaïque. La mairie s’adresse en revanche un satisfecit sur la chasse au gaspi :

« Nous avons lancé un Plan Climat en 2008 après un premier bilan carbone, et le deuxième dressé fin 2012 montrait une baisse de 4% des émissions de gaz à effet de serre, liée à la gestion du patrimoine de la ville, signale l’adjointe au maire. Sur près de 700 bâtiments municipaux, nous consacrons 2 millions d’euros par an à l’amélioration de l’enveloppe des bâtiments, et avons enregistré des résultats plus qu’encourageants, avec une réduction de 30% des dépenses d’énergie. Notre objectif est de la baisser de 50% d’ici 2016 ».

Mais l’immobilier appartenant à la ville ne constitue qu’une petite partie  des bâtiments qu’il conviendrait de rénover – 105000 construits avant 1975 à Bordeaux, un peu moins de 300000 sur la Cub. Dont un sacré paquet de passoires thermiques : si les logements neufs sur la Cub, désormais à la norme BBC (bâtiment basse consommation), consomment en moyenne 35 kilowatt-heure (kWh)/m2/an, un logement existant est à 170 kWh/m2/an !

Les copros se fâchent

Davantage encore que nos voitures et camions, ce sont ainsi nos chaudières à gaz ou au fioul et nos radiateurs électriques qui pompent près de la moitié de l’énergie consommée dans l’agglomération bordelaise. Sachant que le parc immobilier se renouvelle d’1% par an, il faut donc rénover, ce qui permet de diviser la consommation par trois, ou presque.

Et les passoires thermiques ne sont pas forcément celles que l’on croit, explique François Menet-Haure, directeur d’Alec, l’agence locale pour l’énergie et le climat :

« Les appartements du centre ancien de Bordeaux ou les échoppes classiques, mitoyennes, qu’on trouve aussi à Talence ou Pessac, permettent de « mutualiser » les besoins de chauffage, et apportent plus de confort thermique que les pavillons avec quatre murs à isoler ».

Les enjeux portent sur les bâtiments construits avant 1975 et la première réglementation thermique, c’est à dire plus de la moitié du patrimoine de la CUB, poursuit Jean-Louis Bergey, de l’Ademe :

« Les constructions les plus sensibles sont celles construites avant et après guerre. La réhabilitation du patrimoine des offices HLM est déjà bien engagée, à l’image des travaux en cours au Grand Parc, et a bénéficié d’importants fonds publics. C’est plus délicat pour les maisons individuelles (40% des logements de la CUB) et l’habitat collectif en copropriété (le plus gros morceau, 42% des logements de la CUB). Par exemple, à la copropriété du Burk à Mérignac, certains petits propriétaires ont les moyens de faire des travaux, d’autres non, et c’est compliqué de mettre en branle tout le monde. »

Rénovation des barres du Grand Parc (SB/Rue89 Bordeaux)

18% de l’objectif annuel de rénovation thermique atteint

Pour atteindre le fameux facteur 4 en 2050, il faudrait rénover 9500 logements par an jusqu’en 2050. « On en est très loin », reconnaît François Menet-Haure. Selon des estimations communiquées à Rue89 Bordeaux par l’Alec, le rythme actuel de la rénovation lourde sur la Cub est d’environ 1700 logements par an, soit 18% de l’objectif visé dans le Plan climat. Ce chiffre grimpe à 3900 logements si on inclut les rénovations partielles, c’est à dire un ou deux travaux ayant une influence sur les consommations énergétiques.

Cette tendance est proche de celle observée ailleurs en France, indique l’Ademe. A Bordeaux, les élus écologistes ont néanmoins critiqué lors du dernier conseil municipal l’ambition « étriquée » de la ville, rénover 70 logements par an, alors qu’il faudrait selon EELV (Europe écologie-Les Verts) en remettre à niveau 2000 par an, sur les 140000 logements de la ville. En outre, les conseillers municipaux dénoncent un faible taux de réalisation : seulement 24% des 191000 euros prévus en 2012 utilisés, 34% des 290000 euros de crédits dépensés l’an dernier.

« Ce n’est qu’un dispositif parmi d’autres, rétorque Alexandra Siarri, adjointe en charge de la cohésion sociale, citant notamment les médiateurs d’Unis-Cité et le Slime (service local d’intervention pour la maîtrise de l’énergie, destiné à repérer les ménages en situation de précarité énergétique). Et la ville à elle seule ne peut pas tout rénover. Le FART (fonds d’aide à la rénovation thermique) devait permettre d’abonder les projets or un certain nombre d’entre eux n’ont pas pu se faire car ce fond n’a pas été abondé cette année. Il y a un manque cruel d’ambition au niveau de l’Etat. »

Jean-Louis Bergey, de l’Ademe Aquitaine, le déplore lui aussi :

« Quand on a voulu relancer la construction de logements après-guerre, ou que démarrer le programme nucléaire, la demande politique était clairement affirmée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et c’est pourtant ce qu’il faudrait faire si on veut vraiment faire des économies d’énergie et des renouvelables. »

Les clés pour isoler sa maison

La loi sur la transition énergétique va-t-elle changer la donne ? Pierre Hurmic, conseiller municipal EELV, en doute :

« Les objectifs sont louables, visant une diminution de moitié de la consommation d’énergie en 2050, mais ils ne sont pas réellement contraignants. Le financement est léger, et table sur les initiatives individuelles : 10 milliards d’euros sur 3 ans, essentiellement en crédits d’impôts, prêts ou incitations fiscales, quand selon les ONG il faudrait mettre 20 milliards par an ». Sans parler évidemment de la position « pas très claire sur le nucléaire, dont il est question de plafonner la puissance à son niveau actuel, mais sans parler de fermer des centrales alors que l’EPR de Flamanville va entrer en fonction en 2016 ».

Vue aérienne de Bordeaux (Photo Thomas Valadon/flickr/CC)

François Menet-Haure, lui, veut y croire :

« II y a trois clés à la rénovation thermique des bâtiments : d’abord, inciter les gens, et on peut espérer que les 30% de crédit d’impôt annoncés par le gouvernement, ou encore la simplification des démarches administratives, qui n’imposeront plus de bouquets de travaux pour bénéficier des aides, y contribuent.

 

Ensuite, il faut faciliter l’accès au crédit, or jusqu’à présent l’écoprêt à taux 0 était compliqué à obtenir des banques, et difficilement applicable au logement collectif ; la loi va favoriser un mécanisme innovant, le tiers investissement : si je ne peux pas mettre moi-même de l’argent, je demande à quelqu’un, ou à un organisme, de prêter pour moi, et de se rémunérer sur les économies d’énergie réalisées (comme la société créée par la région Rhône-Alpes, NDLR). C’est une piste qui sera développée par la région Aquitaine, qui a un projet de ce type là. Elle doit être appuyée, tout comme la participation citoyenne dans les projets énergétiques (comme Enercoop Aquitaine, NDLR).

 

Enfin, le conseil est un troisième point essentiel : il existe beaucoup d’aides de l’Etat, de la région, des communes, conditionnées à des critères techniques ou de revenus différents. Les gens n’en ont peut-être pas suffisamment connaissance ou ne tapent pas à la bonne porte. Les Espaces Info Energies, qui peuvent aiguiller vers les dispositifs adaptés, sont malheureusement peu connus, alors qu’ils sont indépendants, neutres et gratuits. On aura besoin que la collectivité centralise tout cela, et organise la gouvernance qui permettra le passage à l’acte ».

Les agents immobiliers passent à table

Jean-Louis Bergey confirme le lancement d’un tel projet :

« La CUB s’est portée candidate pour les plateformes de la rénovation énergétique. L’objectif est de mettre tout le monde autour de la table et de fédérer les énergies, afin que les professionnels se mettent en mouvement plus rapidement qu’aujourd’hui. Petite particularité en Aquitaine : nous allons aussi impliquer les professionnels de l’immobilier, les notaires et les agences, car c’est souvent au moment de l’achat d’un bien que se prend la décision de faire des travaux, et qu’il faut donc bien informer les nouveaux propriétaires. »

Pour le directeur de l’Ademe Aquitaine, la volonté comune est bien là,  y compris sur les questions de mobilité :

« On le voit à Bordeaux, où la volonté de réduire la place de la voiture dans Bordeaux est claire : sur le quartier Euratlantique, par exemple, on divise par 3 les espaces des voitures, avec une place de parking pour 150 m2 alors que la norme est plutôt d’une pour 50 m2… Mais on passe par de la contrainte plutôt que par de l’incitation. Va-t-on assez vite ? Agir sur les comportement des ménages ou des entreprises, c’est long et forcément très aléatoire. Il suffit d’être sur la rocade à 8h du matin pour constater que cela ne va pas assez vite, à tous les sens du terme ! »


#Ademe

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Photo : Wikimedia Commons

Photo : SB/Rue89 Bordeaux

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